Pendant les travaux (de la Commission de révision du SGM), les liquidations continuent…

C’est une histoire pas drôle, celle d’une toute jeune femme issue d’une communauté souvent décriée mais irrémédiablement liée et de façon légitime à la collectivité nationale. Elle porte le joli prénom d’une floraison nocturne au parfum entêtant, mais ce n’est ni Rose, ni Marguerite. Bref, nous sommes assez éloignés d’une Anne-sophie du XVIème, et les espaces de son enfance se limitèrent longtemps au Nord-est parisien, entre Villette et  Courneuve.

Elle y apprend les contours diffus de l’existence en découvrant notamment qu’un territoire de jeu est aussi un terrain de lutte, jungle luxuriante, étouffante et protectrice à la fois. L’intéressée comprend qu’il sera difficile de s’en sortir sans en sortir.

Parvenue à l’âge adulte (et Dieu sait qu’en de telles conditions on ne s’attarde pas trop dans la béatitude de l’adolescence), recherchant un emploi sérieux, elle se laisse convaincre par une armée professionnalisée en quête de volontaires.

Certes, les clauses du contrat proposé sont des plus précaires, le gendarme adjoint volontaire (GAV) restant essentiellement, et pour une hiérarchie parfois sans état d’âme, ce remplaçant du défunt conscrit, taillable et corvéable à merci. Il faudra donc solliciter chaque année le renouvellement de ce gagne-pain et faire en sorte de satisfaire, en permanence, son employeur.

Mais le challenge lui paraît à hauteur de ses forces, et la situation géographique recouvre celle du triangle natal, ce qui est inespéré. Notre volontaire pourra continuer à vivre parmi ses habitudes, sa famille, ses amis, au moins en dehors des heures de service, et librement, du moins le croit-elle.

De fait tout se passe merveilleusement bien les premiers mois. Et aussi les mois suivants, c’est à dire plus d’une vingtaine en tout.

La recrutée est intelligente, de cette intelligence pragmatique qui sert une personnalité disponible, plus ouverte sur les autres que contemplative d’elle-même. Elle offrira son temps sans compter, ses compétences, son énergie et fera preuve d’une remarquable adaptation au milieu et d’excellentes initiatives. Elle devient même un élément de cohésion du service médical dans lequel on l’a affecté comme secrétaire, conductrice d’ambulance et quelques fonctions subsidiaires. Affectée ? Plutôt, "mise pour emploi" ce qui n’est pas exactement la même chose, elle le comprendra plus tard.

Apparemment reconnaissante des services rendus, la gendarmerie mobile d’Ile de France (LGMIF) ne tarira pas d’éloges, et la notation annuelle reflétera cette lune de miel que rien ne semble pouvoir altérer: "Elle effectue ses tâches de façon remarquable. Volontaire et travailleuse, elle remplit toutes les missions confiées avec beaucoup d’assiduité et de sérieux. D’une discrétion irréprochable… A suivre et à encourager."

Le contrat d’engagement sera donc tout naturellement reconduit et notre auxiliaire prendra même du galon.

Quiconque invité à lire l’avenir, jusqu’en ces débuts de l’année 2003, aurait prédit une carrière plus qu’honorable à l’intéressée, et son orientation, tôt ou tard, vers les écoles de sous-officiers de la gendarmerie. Et ce, avec d’autant plus de certitude que le niveau de recrutement des GAV n’est pas à la hauteur des prophéties, et qu’il est loin de constituer le même bassin subsidiaire de recrutement que les anciens gendarmes auxiliaires.

Le pouvoir de transmutation sociale dont les armées sont capables ne vient-il pas d’être rappelé par la ministre de la défense avec une belle histoire d’un fils d’ouvrier agricole accédant aux responsabilités de chef d’état major ?

En bonne gestion des ressources humaines, on pouvait espérer qu’à l’occasion de cette complicité durable entre deux mondes que tout semble vouloir opposer, chacun accumulait les éléments qui le confortaient dans sa découverte et sa confiance de l’autre. Et que, survenant improbablement un nuage, c’est à l’aune de ce crédit et de ce potentiel que l’on jugerait une éventuelle défaillance.

Il n’en fut rien !

Une broutille immatérielle, montée en épingle par des gens qui témoignent ainsi de l’immense intérêt qu’ils portent à leurs subordonnés, à leur dignité et au fonctionnement de la boutique vient d’anéantir tout le crédit, tout le potentiel et tous les espoirs.

En quelques jours de printemps, la recrue émérite et louée subira une notation désastreuse, une sanction disciplinaire de 20 jours d’arrêts fermes, et le non renouvellement de son contrat, notifié 7 jours avant sa prise d’effet (cette dernière façon de procéder en disant long sur les garanties en matière de reconversion, d’autant que les jours d’arrêts interdirent à la punie toute démarche extérieure – logement, ANPE, etc.).

Alors, on peut s’économiser toute compassion en s’obligeant à croire que la faute fut à la hauteur du déchaînement punitif. Le motif de la cascade de sanction, et qui apparaît en gras dans chacun des documents administratifs, annonce effectivement haut et fort un "comportement répréhensible".

Pour la notation du 18 mars, la brigadier X "vient de se faire remarquer défavorablement et a perdu la confiance du commandement".

Pour la sanction du 28 avril, la GAV X "par son comportement a porté atteinte au renom de l’armée et de la gendarmerie en particulier".

Pour la décision de non renouvellement de contrat de ce même 28 avril, "Considérant que l’intéressée a eu un comportement incompatible avec le statut de gendarme adjointe".

Justice est faite.

Peu importe que la brigadier X eût, ces dernières années, un comportement qui faisait honneur à sa communauté et à sa jeunesse, deux facteurs plus habituellement accusés péremptoirement de tous les maux.

Peu importe que son autorité d’emploi se soit fendue d’un plaidoyer de satisfaction des services rendus, en réclamant bienveillance et justice (on rapporte même que cette action intempestive d’un médecin colonel eut un effet aggravant sur les sentences).

Peu importe la précieuse formation acquise, le fonctionnement du service, la pénurie de volontaire.

Peu importe, enfin, que la procédure de sanction à l’origine de ce désastre humain soit d’une vacuité sidérante, et la suite illogique et surprenante d’un acquittement pénal.

Et c’est bien là que réside la totalité de l’injustice. Si l’impétrante avait été postière, téléphoniste, aide-soignante, ou que sais-je encore, jamais son employeur n’aurait été averti d’une mise en cause pénale le dimanche, d’un jugement en comparution immédiate le mardi, ni du non lieu qui suivit ce même jour.

Aurait-il pris connaissance de cet enchaînement implacable, initié par un simple soupçon policier, expéditif pour le moins, que le jugement d’innocence balayait définitivement les éléments de l’accusation sordide : "res juricata pro veritat habetur".

Mais pour son gendarme de capitaine, et nouveau chef de corps, "la chose jugée n’est tenue pour vérité" que pour autant qu’il la juge à son tour. Et ses conclusions diffèrent malheureusement de celles du juge pénal.

Quelle que soit la solidité juridique du principe de son infaillibilité, il n’appartient évidemment pas au chef de corps de discuter un jugement et de tenir pour avérés des faits invalidés lors d’un procès. Et le règlement de discipline générale n’autorise une poursuite disciplinaire en dépit d’un acquittement pénal que si la procédure disciplinaire a précédé la poursuite pénale (cas d’un vol à l’unité par exemple). En d’autres circonstances : "la matérialité des faits (jugés) ne peut être contestée et la punition ne peut avoir pour motif des faits présentés sous leur qualification pénale" (art 30).

Or c’est bien un comportement, "hors service" et finalement jugé exempt de tout délit ou infraction qui entraîne le déluge des sanctions.

La divergence de traitement entre les deux procédures, pénale et disciplinaire, est de taille. Dans la première la citoyenne est innocentée, dans la seconde la militaire est gravement coupable, condamnée et exécutée.

La différence tient cependant à une évidence. Dans l’une un avocat défendait les intérêts de sa cliente face à une accusation publique, particulièrement réactive en ce moment (faut faire du chiffre). Dans l’autre, ce devoir de défense revenait au chef, c’est-à-dire au procureur.

C’est un peu sommaire, mais diablement efficace et forcément plus expéditif.

J’appelle respectueusement les autorités hiérarchiques, et, le cas échéant madame la ministre, à accueillir avec bienveillance et justice le recours gracieux introduit prochainement par l’intéressée.

Il n’est pas inutile, de surcroît, que les membres de la commission de révision du statut général des militaires (et pourquoi pas les conseillers des CFM et du CSFM) prennent connaissance de cet exemple caractéristique qui soulève deux points essentiels :

Le premier est la précarité anormale d’un contrat que l’on peut déclarer caduque une semaine avant son renouvellement, livrant la victime aux difficultés financières de tout ordre (et du jour au lendemain compte tenu de la privation de liberté qui a précédé). Ces engagements "kleenex" doivent cesser.
Le second est le principe du cumul des sanctions qui permet au chef de corps, et à partir d’une mise en cause pénale, de motiver trois démarches punitives dramatiques, y compris quand la procédure causale a abouti à un acquittement. Ces dérogations au principe de force de la chose jugée, tout autant que la présomption de culpabilité du militaire sont incompatibles avec un Etat de droit.

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