Acheter la paix avec les Généraux contre le refus de transposer la directive européenne sur le temps de travail aux militaires hors opérations, est-ce un « good deal », Mister Président ?.(Par Jacques BESSY, Président de l’Adefdromil – Aide aux victimes)

 

Le 19 octobre 2017, lors de sa grande messe sur la sécurité devant les  hauts responsables des forces armées, de la police, de la gendarmerie et tutti quanti, le Président de la République, chef des armées a surpris tout le monde en indiquant qu’il avait décidé tout seul comme un grand, que la France n’appliquerait pas aux militaires la directive  de l’Union Européenne sur le temps de travail datant de 2003.

« Ma détermination est complète pour que aussi bien la gendarmerie que le ministère des Armées ne soient pas concernés par la directive bien connue. Les choses sont claires, notifiées à qui de droit, et seront portées jusqu’à leur terme ». Fermez le ban !

Cette déclaration ne peut que susciter de nombreuses interrogations.

Tout d’abord, cette annonce contrevient à l’ordre juridique de l’UE. En effet,  les Etats membres doivent transposer dans leur droit interne et dans un certain délai (dix huit mois en moyenne selon une fiche de l’Assemblée Nationale), les directives de l’UE, prises collectivement après de longues concertations. Or, cette directive sur le temps de  travail, prise à l’initiative de la France, est applicable à tous les travailleurs définis par l’UE comme « toute personne qui produit des services sous la direction d’une autre personne en contrepartie d’une rémunération ». 

Rappelons, en outre, pour les non juristes, que le Président veille au respect de la Constitution (article5) et que la Constitution (article 55) dispose que : « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés, ont dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois »…Pour employer de grands mots, un Président qui ne respecte pas la Constitution commet une forfaiture. Après 6 mois de mandat, ce serait un exploit !

Le Président met ainsi en porte à faux les hauts fonctionnaires qui ont déjà commencé à travailler sur le sujet. Ainsi lors de son audition, le 4 octobre 2017, devant la Commission de défense à l’Assemblée Nationale, le Secrétaire général pour l’administration n’a-t-il pas déclaré : « La directive sur le temps de travail, qui date de 2003, est un sujet sur lequel nous travaillons Nous ne sommes pas à l’abri d’un recours contentieux et d’une décision d’un juge qui considérerait que la France n’a pas rempli ses obligations de transposition.

Cette directive avait été proposée par les Français. Une démarche interministérielle a été engagée et nous nous employons à faire avancer le dossier.

Il faut, en parallèle, faire une lecture aussi exhaustive et critique que possible de la directive – pour définir les exonérations d’application. Les activités opérationnelles au sens strict peuvent être facilement sorties du champ de la directive, mais c’est plus ambigu pour d’autres activités, liées à l’entraînement ou à la formation.

Par ailleurs, et je pense que le chef d’état-major des armées a dû vous le dire ce matin, la directive pose une question de principe : elle pousse à compter le temps de travail des militaires, alors que l’institution a en tête qu’on ne le fait pas, le militaire étant disponible en tout temps et tout lieu. C’est un élément central du statut auquel d’autres aspects sont attachés, notamment en matière de rémunération, indiciaire et indemnitaire. Si l’on commence à détricoter un élément essentiel du statut, il faut regarder avec attention jusqu’où l’on va.

D’un point de vue juridique et technique, on doit regarder tout ce que l’on peut faire à partir de la directive, y compris en examinant ce qui se passe dans les pays voisins. Nous avons ainsi quelques retours nous venant d’outre-Rhin.

Il faut réaliser ce travail d’analyse, en attendant qu’une décision soit prise sur le plan politique. »

Bref, la déclaration inattendue du Président de la République laisse indubitablement une impression de précipitation, de cafouillis, d’inconséquence, de b…. Après l’ordre, le contre-ordre, selon le mot bien connu des militaires.

Ensuite, force est de relever que la prise de position « anti-directive européenne » du Président est en contradiction complète avec ses déclarations pro-européennes. Est-il bien crédible de faire la leçon à certains Etats membres comme la Pologne ou la Hongrie pour leur manque de solidarité en matière d’immigration et, en même temps, de montrer le mauvais exemple en déclarant à la cantonade qu’on n’appliquera pas telle directive jugée trop contraignante ? Il ne peut y avoir d‘Union Européenne à la carte…Nul doute qu’on va lui resservir sa déclaration dans quelques belles réunions internationales.

Et puis, le Président a déclaré à plusieurs reprises que l’avenir militaire de l’Union Européenne doit être recherché dans une plus grande coopération entre armées européennes. Comment dès lors justifier auprès d’armées alliées que la France refuse d’appliquer la directive de 2003, alors que, par exemple, le temps de travail hebdomadaire de la Bundeswehr est passé en 2015 de 46 heures à 41 heures et que ce même temps peut être flexibilisé.

(http://www.acteurspublics.com/2014/10/22/la-ministre-de-la-defense-allemande-veut-une-armee-plus-sexy).

La méthode éruptive de l’annonce faite aux armées fait apparaître une  autre contradiction de la parole présidentielle. Il est difficile de ne pas analyser comme du mépris l’absence de concertation préalable avec les instances représentatives des militaires, y compris les associations professionnelles, créées en 2015 à la suite de la condamnation de la France par la CEDH, à la demande de l’Adefdromil. Pourtant, ceux qui ont écouté le Président, le 15 octobre dernier, ont bien entendu qu’il « a de la considération et du respect pour ceux qui travaillent », ajoutant qu’il ne les considérait pas « comme de la chair à canon ».  

Et encore, n’a t-il pas déclaré au Point du 31 août : « Nous devrons engager une réflexion profonde sur la condition militaire ». Il faut en conclure qu’elle est déjà terminée, eu égard à la vitesse de fonctionnement du cerveau présidentiel !

Tout cela nous semble un tant soit peu…croquignolesque, pour reprendre un mot du Président !

Qu’on se rassure, le rétropédalage a déjà commencé.

Dans la Gendarmerie, le directeur général s’est fendu d’un communiqué de presse du 20 octobre, dans lequel il rassure ses troupes : « Tout en indiquant que le travail avec le ministère des Armées se poursuivait sur les dispositions de la directive, dont l’application ne serait pas compatible avec le statut militaire, il (Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur) a confirmé que celles relatives au temps de récupération des gendarmes (en vigueur depuis le 1er septembre 2016) n’étaient, quant à elles, pas remises en cause… Le Directeur général de la gendarmerie nationale a assuré à chacun des acteurs du dialogue interne que le sujet est traité avec toute l’attention due à un corps social dont la disponibilité et le dévouement à la protection de nos concitoyens sont unanimement salués.».

Car, il y a un risque réel pour la Gendarmerie d’être en décalage flagrant par rapport à la Police Nationale.

Notons au passage l’inversion de la hiérarchie des normes, le statut des militaires prenant le pas sur les normes européennes prescrites par la directive..

Finalement, quelles sont les raisons de cette prise de position jupitérienne ?

En Allemagne, le coût de la diminution du temps de travail, donc de la disponibilité de la Bundeswehr a été estimé à un milliard d’euros sur 4 ans. Ne pas transposer la directive de 2003 aux militaires français, c’est mathématiquement faire des économies. Mais ces économies sont faites en toute illégalité sur le dos des militaires, qui, en tant que citoyens européens en uniforme, ont aussi le droit de bénéficier des avancées sociales  de l’Union Européenne qu’ils servent et protègent.

Nul doute que le Président a lu le 11ème rapport du Haut Comité d’Evaluation de la Condition Militaire (HCECM), présidée par le conseiller d’Etat Pêcheur, père de la loi sur les APNM. Pourtant, cet organisme conformiste et conservateur, créé en 2005 lors de la révision du statut général des militaires, n’a pas recommandé la non- transposition de la directive sur le temps de  travail aux militaires, mais, a plus subtilement suggéré de :

  • Préserver le principe de disponibilité des forces armées dans la transposition de la directive européenne sur le temps de travail (2003/88/CE).
  • Anticiper les mesures qui permettront aux forces armées de demeurer en phase avec les standards de vie attendus des jeunes générations, tout en préservant les fondamentaux de la fonction militaire.

Il est vrai que cette formulation alambiquée débouche plus sur la quadrature du cercle que sur des solutions concrètes.

Mais surtout, on ne peut s’empêcher de penser que le Président a voulu faire plaisir aux généraux, notamment à ceux de l’armée de terre, qui voient d’un mauvais œil l’irruption du droit européen dans l’organisation et le fonctionnement des armées, que ce soit celui imposé par la CEDH au regard du droit d’association ou celui voulu par l’Union Européenne, s’agissant du temps de travail. Car, le Président sait que  « l’armée, par nature, est réfractaire aux changements..Vivant de stabilité, de conformisme, de tradition, l’armée redoute d’instinct, ce qui tend à modifier sa structure. » Charles de Gaulle – Vers l’armée de métier.

On peut donc penser que le Président ne voulait pas braquer les généraux en leur indiquant que le dogme de la disponibilité totale des militaires hors opérations est désormais révolu, au risque d’essuyer une nouvelle salve de critiques ou une démission tonitruante. Il devrait tout de même se méfier des mots qui sortent trop vite de sa bouche. Car, les mots font toujours plus mal que les coups. Et les militaires n’ont pas forcément la mémoire courte..

In fine, la France devra tôt ou tard transposer la directive sur le temps de travail de 2003 –voulue par… la France, directive qui est d’ailleurs en cours de révision.

Une première approche pour les Armées et la Gendarmerie pourrait consister, par exemple, à créer un compte « Epargne Temps » pour les militaires, à l’instar de ce qui se fait pour les fonctionnaires. Car, beaucoup de militaires ne peuvent bénéficier de la totalité de leurs droits à congés annuels en raison de la disponibilité exigée pour l’accomplissement des missions. Et, ils n’obtiennent que rarement et difficilement  que ces droits soient reportés d’une année sur l’autre. Le compte Epargne temps permettrait ainsi aux militaires de ne pas perdre leurs droits et devrait être apuré en totalité avant de quitter le service.

24 octobre 2017

 

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