Intervention de Monsieur Jacques Bessy, Président de l’ADEFDROMIL-Aide aux victimes devant la Commission de la Défense nationale et des Forces armées le 5 octobre 2017

COMMISSION DE LA DEFENSE 

Jeudi  5 octobre 2017

INTERVENTION DE M. JACQUES BESSY

ADEFDROMIL

 

 

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés,

Dans l’entretien qu’il a accordé au Point n°2347 du 31 août 2017, et qui a été présenté comme un programme de gouvernement, le Président de la République, Chef des armées a déclaré : « Nous devrons engager une réflexion profonde sur la condition militaire. »

L’Adefdromil pense assez bien connaître la condition militaire à travers les dossiers individuels qu’elle traite depuis plus de 15 ans.

Augmenter le budget de la Défense comme le prévoit le PLF 2018 est indéniablement une source d’espoir d’abord pour nos concitoyens qui attendent une amélioration de l’outil de défense en termes d’efficacité, mais aussi pour nos camarades servant sous l’uniforme, qui attendent la reconnaissance par l’Etat et la Nation de leur engagement et des servitudes qu’il comporte.

Je remarque également que le Président de la République a incité le Parlement a mieux contrôlé l’action du Gouvernement comme la Constitution le prévoit, ce qui peut laisser espérer de la part de votre commission un examen scrupuleux des problèmes de condition militaire et un effort pour les résoudre.

L’amélioration de la condition militaire passe sans doute par  l’augmentation des ressources budgétaires, mais aussi par une meilleure qualité de la dépense et de l’organisation du dialogue social.

1 – Améliorer le dialogue social.

Les APNM créées fin 2015 sont encore balbutiantes et loin d’avoir la place qu’elles méritent. Il faut rationnaliser désormais le système de concertation dans les armées et permettre aux dirigeants d’APNM  d’être déchargés de leur service.

L’article 12 de la loi n° 2015-917 du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense, qui a fondé les APNM, dispose que : « Dans un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur la mise en œuvre de l’ensemble des dispositions relatives à la concertation et au dialogue social des militaires. Ce rapport justifie notamment les seuils fixés en application du 2° de l’article L. 4126-10 du code de la défense ainsi que, le cas échéant, leurs modifications. » 

 Ce rapport devrait être l’occasion de proposer au Gouvernement de rationaliser le système de concertation dans les armées et la gendarmerie :

  • en instituant le mode électif pour la désignation des représentants à tous niveaux ;
  • en rendant obligatoire le vote aux élections professionnelles comme cela existe d’ailleurs pour les élections sénatoriales ;
  • en permettant aux APNM de traiter les dossiers individuels de militaires ;
  • en ouvrant la plupart des commissions, dont l’avis est statutairement , aux APNM en application du principe de paritarisme (avancement, aides au départ, mobilité outre-mer, accès aux formations qualifiantes, etc.), ce qui laisserait à l’autorité compétente la responsabilité décisionnelle.

Par ailleurs, la loi devrait réserver les postes de dirigeants d’APNM aux seuls militaires en position d’activité, alors que la rédaction actuelle de la loi permet à un militaire placé en non-activité pour troubles psychiques de diriger une APNM et de parler au nom de ses camarades en activité.

2 – Mettre fin au scandale Louvois.

De nombreux militaires –en particulier de l’armée de terre- ayant quitté le service récemment et en général depuis moins de quatre ans sont harcelés par le Centre Expert des Ressources Humaines et de la Solde (CERHS) de Nancy et les directions départementales et régionales des finances publiques en vue du recouvrement de créances incertaines ou prescrites.

Dans de nombreux dossiers, le service du contentieux de la défense conclut désormais ses écritures par la formule suivante :

« Dans ce contexte sensible et à fort enjeu social, car touchant à la condition militaire, les différents services chargés de la solde ont pour mission prioritaire de fiabiliser le processus de notification des trop-versés tout en continuant à garantir le versement de la solde des militaires. Ils ne sont dès lors pas en capacité de produire dans des délais raisonnables les éléments de justifications dans les dossiers contentieux les plus complexes (en termes de nombre d’éléments de rémunération concernés, ou selon les périodes en cause, ou encore en raison de pertes d’historiques de données dues aux dysfonctionnements du calculateur).

Dans ces circonstances, je m’en remets à la sagesse de votre juridiction. »

La loi devrait donc décider d’un abandon de créances à partir d’une date à déterminer.

C’est une question non seulement de respect de l’Etat de droit, mais aussi de dignité à l’égard des militaires. Le coût éventuel de la mesure devrait être supporté par le budget de la défen

3 – Supprimer la condition de durée de deux ans de PACS pour les militaires.

Cette condition a été fixée par un décret de janvier 2011.  Elle vise à éviter des fraudes hypothétiques de la part de militaires qui se pacseraient uniquement pour percevoir l’indemnité pour charges militaires au taux n°1 (marié et/ou chargé de famille).

Régulièrement des couples pacsés depuis moins de deux ans sont mutés en métropole ou outre-mer. Dans ces cas, le cubage est calculé sur celui prévu pour un célibataire. De même les frais de voyage outre-mer du ou de la  partenaire ne sont pas pris en compte. Le Conseil d’Etat a estimé dans un avis n° 357793 du 13 juin 2012 que :

« La différence de traitement ainsi instituée n’apparaît pas manifestement disproportionnée au regard des différences existant entre le régime juridique du mariage et celui du pacte civil de solidarité. »

Il semble bien que seule la loi peut désormais mettre fin à cette discrimination, touchant en France la seule catégorie socioprofessionnelle des militaires.

4 – Créer un médiateur militaire, autorité indépendante.

En 2015, la Commission des recours des militaires a comptabilisé 6614 recours, dont 3701 concernaient des dysfonctionnements du logiciel de solde Louvois.

D’une manière générale, cette commission donne des avis au ministre uniquement sur le plan juridique. Elle fait la part belle aux arguments de l’administration et ne cherche quasiment jamais la conciliation entre le militaire et sa hiérarchie. Et lorsqu’elle constate une irrégularité grave, elle n’est pas capable, sauf exception, d’infléchir la décision de l’armée concernée (retrait illégal d’un renouvellement de contrat, par exemple).

Alors qu’un délai allongé a été fixé à quatre mois pour que le ministre rende une décision, ce délai est souvent dépassé, ce qui contraint le militaire a saisir le tribunal administratif.

Le taux d’agrément des recours par le ministre après avis de la CRM reste faible : 16% environ.

Le passage devant la CRM apparaît donc plus comme une formalité procédurale consommatrice de temps qu’une chance pour le militaire d’obtenir satisfaction même partielle à sa demande.

5 – Favoriser le départ de ceux qui le souhaitent.

Les directions de personnels ou des ressources humaines refusent quasi systématiquement les départs anticipés avant la fin d’un contrat ou avant l’acquisition de droits à pension de retraite à jouissance immédiate (17 ans de services pour les non-officiers et 27 ans de services pour les officiers).

Cette position prise au nom de « l’intérêt du service » conduit à :

  • des congés maladie, puis au placement des militaires en congé de longue durée pour dépression, puis en fin à leur réforme avec pension immédiate. Le coût pour les finances publiques n’est pas négligeable.
  • des désertions (plus de deux mille par an selon un rapport de 2011 de M. Cléach, alors sénateur de la Sarthe.
  • Le coût budgétaire  des refus de départs n’est pas connu. Le métier militaire requiert de la motivation et de l’enthousiasme. On ne peut pas forcer une personne à rester sous l’uniforme sous la contrainte.

Une meilleure gestion des demandes de démissions serait de nature à épargner les finances publiques, sans compter l’économie du temps consacré par la Justice à gérer ce type de dossiers.

Le code de la défense pourrait ainsi prévoir la possibilité pour un engagé de rompre  son contrat à partir de 4 ans de services pour un contrat de cinq ans et à partir de huit ans de services pour un contrat de dix ans.

6 – Favoriser la prévention des risques psychosociaux et l’application de la règle de droit.

Les politiques engagées dans ces domaines semblent encore insuffisantes, tout comme leurs résultats.

Le bilan social 2015 de la gendarmerie (paru en octobre 2016) donnait le chiffre de 1005 militaires (officiers et sous-officiers) en congés  de longue  durée, soit un peu plus de 1%.

Quant au bilan social 2015 de la défense, il s’abstient de livrer ce chiffre.

Les taux de suicide restent plus élevés que dans la plupart des armées européennes occidentales.

De même, de nombreux litiges, voire de situations conflictuelles résultent d’une ignorance de la règle de droit, ou parfois de la volonté délibérée de ne pas l’appliquer. Ainsi des militaires du rang réformés quittent le service sans que leur modeste retraite n’ait été liquidée. Plusieurs années après leur radiation des contrôles, ils se retrouvent à quémander un arriéré de pension et parfois au delà des quatre années prévues par le code des pensions.

Là encore, une meilleure connaissance du droit de la fonction publique militaire, une formation aux droits de l’homme (et surtout de la femme) sont de nature à améliorer la gestion des personnels et à diminuer les coûts des accidents de « parcours » inévitables comme dans toute organisation, en intégrant tout de même le fait que  les missions confiées aux armées sont de nature à amplifier le phénomène.

Il serait sans doute judicieux de connaître les formations dispensées aux officiers et sous-officiers dans ces deux domaines.

Voir également

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.4957425_59d5d681835a3.commission-de-la-defense–auditions-diverses-5-octobre-2017

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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