Sanctionné pour la vérité

Le Sud Ouest – Jeudi 15 mai :

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« La machine reste aveugle, je suis muté à Châteauroux le 26 mai ! » Le médecin principal Pierre, médecin de corps de troupe dans un régiment de Pau dépendant de la région terre Sud-Ouest, a reçu son ordre de mutation vingt jours avant l’échéance. Du jamais-vu, d’autant que ces mutations n’interviennent qu’en été, de juillet à septembre, le premier de chaque mois.
Il est vrai que ce médecin militaire, ancien navalais, qui a accumulé les diplômes spécialisés, avait sévèrement secoué le cocotier quand il avait dénoncé l’utilisation, pendant trois ans, par de simples soldats et non des manipulateurs diplômés, d’un appareil de radiologie. Les risques étaient multiples : mauvaise lecture d’une radio et pour ces « opérateurs » un possible cancer généré par les rayonnements sans compter les déformations éventuelles chez leurs futurs enfants. De surcroît, il avait aussi mis au jour de curieuses pratiques qui amenaient de simples militaires du rang à faire des vaccinations.
C’était trop pour la grande muette et autant de mauvais points pour celui qui était, jusque-là, plus que bien noté. Les punitions n’ont pas tardé à tomber sur celui qui ne voulait pas fermer les yeux sur ces agissements dangereux.
On alla jusqu’à le mettre en arrêt maladie, en « psychiatrisant » son dossier médical. Après bien des batailles, si la qualification de troubles psychiatriques a été abandonnée, en début d’année on lui a annoncé (oralement) un déplacement d’office. Une sanction qui ne dit pas son nom et qui prend effet dans onze jours.

Des rapports mensongers.Ce n’est pas vraiment une surprise car, ayant eu accès à son dossier personnel, il a découvert deux rapports accusateurs qu’il dit « mensongers » et contre lesquels il a fait des observations écrites point par point, qu’il a transmises par la voie hiérarchique à la direction centrale du service de santé des armées mais elles ne sont jamais arrivées à destination. Il a dû les envoyer par La Poste, en recommandé. Il n’a jamais baissé les bras et, en début d’année, a déposé une plainte devant le doyen des juges d’instruction avec constitution de partie civile, devant le tribunal de grande instance de Pau.
Aujourd’hui, à quelques jours de son départ, il dit son « écoeurement ». « Je suis l’otage de la lâcheté. » Marié, père de famille, le médecin principal Pierre va être éloigné des siens, perdre un quart de son salaire et ne pourra mettre ses compétences au service des parachutistes alors que c’est justement sa spécialité. En juillet dernier, il faisait encore un stage pour accompagner des paras dans des sauts à 8 000 mètres…

Dégradation.A l’évocation de cette affaire, on ne s’étonnera pas que la Cour des comptes ait pointé dans son récent rapport « une croissance importante du nombre de départs anticipés dans le Service de santé des armées. Alors qu’il était prévu 113 départs en 2001, 170 médecins ont demandé leur radiation des cadres d’active. »
Si l’attrait d’une seconde carrière dans le civil n’y est pas étranger, les rapporteurs mettent en cause « la dégradation des conditions de travail des médecins des armées qui assurent, depuis la disparition des appelés, l’essentiel des gardes et des permanences ».
Cette dernière affaire aurait pu figurer dans l’ouvrage du Bordelais Stéphane Lewden (1), Marc Lemaire, et du député Dominique Paillé, « le Service de santé des armées : la face cachée » (L’Harmattan) (2) contre lequel d’ailleurs aucune plainte n’a été déposée. « Cette mutation disciplinaire, commentent les auteurs, est une illustration des méthodes que nous dénonçons. Nous sommes surpris que de pareilles pratiques perdurent ! »

(1) Il vient d’être nommé secrétaire général de l’association Police justice pour la justice (PJPJ) qui réunit des magistrats, des avocats et des officiers de police judiciaire.
(2) On peut envoyer un e-mail à livressa@yahoo.fr.

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