Les procureurs, aussi, sont mutés d’office. (Par Jacques BESSY, président de l’Adefdromil)

On oublie parfois que les magistrats du Parquet, qui sont les employeurs des gendarmes dans le domaine de la police judiciaire, ne sont pas inamovibles comme les juges du siège, et qu’ils peuvent faire l’objet de déplacements d’office dans l’intérêt du service.

C’est ce que viennent rappeler deux arrêts du Conseil d’Etat, rendus l’un en 2013, l’autre en 2015.

Dans la première espèce, il s’agit de la mutation du Procureur de la République de Nanterre nommé avocat général près la Cour d’Appel de Paris par décret du 12 août 2012.  L’affaire a fait l’objet de l’arrêt du Conseil d’Etat n°361698 du 12 juin 2013. Elle avait été largement médiatisée au moment du déplacement d’office de l’intéressé.

Dans la deuxième espèce, c’est le Procureur de la République de Saint Denis de la Réunion, qui contestait sa mutation en tant qu’avocat général près la Cour d’Appel de Grenoble. Son recours a été rejeté par le Conseil d’Etat par un arrêt n°381902 du 27 mars 2015.

Le principe.

Aucune disposition ni aucun principe général du droit n’interdisent au Président de la République, chargé par l’article 28 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature de prendre les décrets portant nomination aux fonctions exercées par les magistrats, de muter d’office dans l’intérêt du service les magistrats qui ne bénéficient pas de l’inamovibilité.

L’ouverture d’une enquête ou d’une procédure disciplinaire contre le magistrat concerné  ne fait pas obstacle au prononcé d’une mesure de mutation d’office dans l’intérêt du service.

L’exigence du respect de la communication préalable du dossier.

La mutation d’office dans l’intérêt du service d’un magistrat ne bénéficiant pas de l’inamovibilité ne peut être prise sans la communication préalable de son dossier à l’intéressé.

Dans la première espèce, M. A avait été mis à même de demander la communication de son dossier. Dans la deuxième espèce, la possibilité avait été donnée à M. B…de consulter son dossier à l’issue de l’entretien du 7 mai 2014 à la direction des services judiciaires. En outre, M. B…avait bénéficié d’un accès électronique à celui-ci à compter du vendredi 23 mai 2014 à partir de 20 heures, soit cinq jours avant son audition par la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature. Il ne ressort pas des pièces du dossier que cette communication aurait eu lieu dans des conditions irrégulières.

Le rejet de divers arguments de forme et de procédure.

Le Conseil d’Etat rejette toute une série d’arguments parfois spécieux ou inexistants tels que : – le moyen tiré de l’absence de signature du décret attaqué par les autorités compétentes qui manque en fait ;
– celui d’une procédure prétendument irrégulière faute d’une réception par la Garde des sceaux préalablement à la saisine du Conseil supérieur de la magistrature;
– celui selon lequel la Garde des sceaux se serait dispensée de porter sa propre appréciation sur la situation et aurait, dès lors, méconnu l’étendue de sa compétence en s’estimant à tort liée par l’avis du Conseil supérieur pour formuler sa proposition ;

– celui d’une irrégularité – non démontrée- de la convocation de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature ;

– celui de l’incompétence du Garde des sceaux pour proposer les nominations, contredite par l’article 28 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature ;
– celui du défaut d’information des syndicats et organisations professionnelles représentatifs de magistrats concernant la proposition de nomination ;
– ou enfin, celui de la participation de l’un des membres de la formation du Conseil supérieur de la magistrature ayant rendu un avis sur la proposition de nomination contestée à une mission d’information à la Cour d’Appel de Saint-Denis de La Réunion, participation « qui ne saurait conduire, par elle-même, à regarder l’avis du Conseil supérieur de la magistrature comme ayant été rendu en méconnaissance du principe d’impartialité rappelé à l’article 10-2 de la loi organique du 5 février 1994 » ;

L’absence de rétrogradation et de sanction disciplinaire déguisée.

Le fait de confier à un magistrat hors-hiérarchie un nouvel emploi qui figure, comme l’emploi qu’il occupait précédemment, au nombre des emplois hors-hiérarchie énumérés à l’article 3 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, ne constitue pas une rétrogradation au sens des dispositions de l’ordonnance du 22 décembre 1958 relatives à la discipline des magistrats. La même formulation se retrouve dans les deux arrêts.

Dans la deuxième espèce, le Conseil d’Etat précise de plus que la mutation attaquée, a été motivée par l’objectif de rétablissement du bon fonctionnement du parquet du tribunal de grande instance de Saint-Denis. Elle n’a donc pas revêtu le caractère d’une sanction disciplinaire déguisée ;

Le motif tiré de l’intérêt du service.

Il ressort des pièces du dossier que la nomination de M. A…comme avocat général près la cour d’appel de Paris a été motivée par « le souci de rétablir un fonctionnement serein du tribunal de grande instance de Nanterre, affecté notamment par le retentissement médiatique des procédures disciplinaires et pénales engagées contre le requérant et par des dissensions entre magistrats ».

De même, les pièces du dossier de M. B font apparaître que la mutation contestée comme avocat général près la Cour d’Appel de Grenoble a été motivée par « le souci de rétablir un fonctionnement serein du parquet du tribunal de grande instance de Saint-Denis de La Réunion, alors que des difficultés relationnelles marquées troublaient le fonctionnement du service et qu’était constaté un climat persistant de défiance entre les magistrats du parquet, portant atteinte en outre, dans la mesure où la presse locale en a fait état, à l’image de l’institution judiciaire ».

Dans ces deux affaires, les requêtes formulées par les deux magistrats du parquet en vue de l’annulation des décrets de nomination sont donc logiquement rejetées. Dura lex, sed lex !

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