La légalité de la décision de vaccination obligatoire pour les militaires

L’Adefdromil est sollicitée par de nombreux adhérents et sympathisants qui souhaitent savoir s’il est possible de refuser de se faire vacciner contre la grippe A, dans le cas où cette mesure serait prescrite par décision ministérielle (instruction), voire par décret et quelles peuvent être les conséquences d’un tel refus.

Cet article ne prétend pas être exhaustif, mais vise à rassembler les principaux arguments du débat connus de nous. Ce qui n’exclut nullement que certains peuvent nous avoir échappé.

Un fondement scientifique ?

Depuis les affaires du sang contaminé, de l’hormone de croissance ou de la vaccination contre l’hépatite B, on ne peut reprocher aux citoyens en uniforme que sont les militaires de s’interroger sur le caractère potentiellement nuisible des substances qu’on veut leur inoculer pour leur bien.

Innocuité et efficacité du vaccin.

A ce jour, nul ne peut sérieusement affirmer que les vaccins élaborés sont nuisibles pour la santé. Inversement, nul ne peut affirmer qu’ils sont totalement inoffensifs.

Toutefois, la mise sur le marché de médicaments est régie par des règles strictes, dont on peut penser qu’elles ont été respectées.

Et, au moment où nous écrivons, aucun élément scientifique ne permet de mettre en doute, ni le respect des procédures, ni le caractère protecteur du vaccin. De même, rien ne permet d’affirmer qu’il pourrait avoir des effets secondaires susceptibles d’apparaître a posteriori.

L’appréciation du bien fondé ou non de cette vaccination nous paraît donc relever plus d’un acte de foi que de l’aboutissement d’une démonstration scientifique. Dès lors, nous concevons mal qu’un médecin chargé de vacciner des militaires puisse s’engager sur l’innocuité du vaccin. De même, il nous semble impossible d’engager sa responsabilité à moins de démontrer qu’il a connaissance de la nocivité du produit qu’il est chargé d’injecter.

Proportionnalité de la vaccination obligatoire face au risque épidémiologique.

La question qui  semble plus pertinente est celle de l’appréciation de la proportionnalité de la mesure face aux risques encourus du fait de la maladie.

Finalement et après la flambée mexicaine et américaine de la grippe A, il apparaît que, si cette maladie est très contagieuse, ses effets mortels sont moindres que ceux de la grippe saisonnière, maladie contre laquelle il, est seulement recommandé de se faire vacciner, notamment lorsqu’on fait partie des « populations à risque ». Et les effets incapacitants de la grippe A restent limités dans le temps (quelques jours) dans la plupart des cas et peuvent être traités par l’administration de l’anti-virus Tamiflu. Par ailleurs, il est indiscutable que la contamination par le virus a été contenue dans les départements d’outre-mer. Un autre argument réside dans le fait qu’il n’y a aucun dépistage systématique de la maladie et que de nombreuses personnes suspectes d’avoir été contaminées par le virus H1N1 peuvent, en fait, avoir pris simplement un coup de froid.

Sans y voir la main du « lobby pharmaceutique »,  on peut tout de même s’interroger sur la résonnance médiatique donnée à cette pandémie pour l’instant moins dangereuse que la grippe saisonnière et que d’autres maladies contagieuses qui parcourent la planète en se moquant des frontières. Etait-il dès lors justifié de vouloir vacciner l’ensemble de la population française au nom du « principe de précaution » face à une pandémie méconnue ? Seul l’avenir le dira. Mais, on ne peut exclure que, soucieux de vouloir utiliser les millions de doses commandées, l’Etat impose à certains de ses agents de se faire vacciner « pour rentabiliser l’opération » ou la justifier en termes de santé publique, même si, en définitive, le risque désormais un peu mieux connu ne le justifie pas totalement.

Des arguments juridiques.

La dangerosité de l’ordre.

Le décret n°82-453 du 28 mai 1982 modifié, relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la prévention médicale dans la fonction publique stipule que tout agent a le droit de se retirer dune situation de travail dont il estime qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ou s’il constate une défectuosité dans les systèmes de protection. Il doit en aviser immédiatement son chef de service qui prend les mesures nécessaires pour remédier à la situation.

Outre le fait qu’il est impossible de sérieusement démontrer « un danger grave et imminent », l’invocation de ce texte est vouée à l’échec puisque le « droit de retrait » n’existe pas dans l’armée, les militaires accomplissant, par définition, un métier dangereux.

De même, l’idée naïve de demander au médecin une attestation d’innocuité du vaccin ne peut que conduire dans une impasse car nous ne voyons pas comment un médecin pourrait sérieusement signer un tel document.

Une décision contraire au Code de la santé publique ?

L’article L1111-4 du code la santé publique  dispose que :

« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé…Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. »

Cet article confère à toute personne le droit de décider de suivre ou non un traitement, donc une vaccination.

Mais les militaires n’étant pas des citoyens comme les autres, la question est donc de savoir si l’autorité qui dispose du pouvoir hiérarchique, c’est-à-dire le ministre de la défense, peut se passer de leur consentement pour leur imposer une vaccination par ailleurs non légalement obligatoire pour les reste de la population.

Une décision tout simplement illégale au regard du Code de la Défense.

– L’appréciation des pouvoirs du ministre par le Conseil d’Etat (arrêt Conseil d’Etat n°222918 du 3 mars 2004).

Le Conseil d’Etat a été amené à juger de la légalité d’une instruction du ministre ordonnant des vaccinations obligatoires « Considérant, en deuxième lieu, que l’instruction litigieuse rend obligatoires, d’une part, pour l’ensemble des militaires, la vaccination contre la méningite, d’autre part, pour les militaires appelés à servir outre-mer ou en opérations extérieures, la vaccination contre la typhoïde et l’hépatite A, ainsi que, pour les militaires appelés à servir outre-mer ou en opérations extérieures et les plongeurs subaquatiques, la vaccination contre l’hépatite B ; que c’est sans méconnaître sa compétence que le ministre de la défense, responsable de l’emploi des militaires placés sous son autorité et du maintien de l’aptitude de ces derniers aux missions qui peuvent à tout moment leur être confiées, a édicté ces dispositions qui sont directement liées aux risques et exigences spécifiques à l’exercice de la fonction militaire ; »

– Toutefois, cette légalité n’a pas été appréciée au regard même du code de la défense qui dispose:

Chapitre Ier : Exercice des droits civils et politiques

Article L4121-1 « Les militaires jouissent de tous les droits et libertés reconnus aux citoyens. Toutefois, l’exercice de certains d’entre eux est soit interdit, soit restreint dans les conditions fixées au présent livre. »

Certains ne manqueront pas d’objecter que le droit à la santé ne fait pas partie stricto sensu des droits « civils ». Il n’est pas sûr que cette objection soit pertinente, car le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui fait partie du bloc de constitutionnalité dispose que : la Nation « garantit à tous…la protection de la santé… ». Dès lors, il serait inconcevable que les militaires ne puissent bénéficier du  droit à la santé et des règles le concernant alors même que leur statut ne prévoit pas expressément qu’ils en soient exclus.

– La mesure contredirait les dispositions de l’INSTRUCTION N° 1230/DEF/DCSSA/AST/SST/MP relative à l’exercice de la médecine de prévention au ministère de la défense du 26 avril 2007 qui prévoit:

« 8.3. Vaccinations.

Sur la base de l’article L. 3111-1 du code de la santé publique, les médecins de prévention peuvent participer, dans le cadre de leurs missions, à la mise en œuvre de la politique vaccinale élaborée par le ministre chargé de la santé pour ce qui ressort des vaccinations obligatoires..

Les vaccinations sans rapport avec une exposition professionnelle aux postes de travail ou avec le milieu de travail ne relèvent pas de l’exercice de la médecine de prévention.

Les campagnes de vaccinations sans rapport direct avec les expositions professionnelles du personnel

(vaccination antigrippale) sont à la charge financière des chefs d’organisme. »

Il serait ainsi paradoxal que le ministre de la défense estime que l’exposition au risque de grippe A relève d’une exposition professionnelle tandis que l’exposition au risque de grippe saisonnière manifestement plus dangereux à ce jour n’en relève pas selon les termes de cette instruction. Cette appréciation serait également contraire à l’arrêt du Conseil d’Etat qui reconnait la compétence du ministre de la défense pour des mesures « directement liées aux risques et exigences spécifiques à l’exercice de la fonction militaire ».

Une décision contraire au principe du droit au respect de la vie privée reconnu par la CEDH ?

Il faut enfin rechercher si l’obligation de vaccination n’est pas susceptible de se heurter au principe du droit au respect de la vie privée et de la vie familiale reconnu par la CEDH (article 8), tout en notant que l’article 11 de la charte sociale révisée dispose que les « parties s’engagent à…prévenir dans la mesure du possible, les maladies épidémiques… ».

De fait, l’ingérence des autorités publiques dans ce domaine doit être conforme à la loi de l’Etat et nécessaire à la protection de la santé.

Pour s’en tenir à un strict respect de la légalité, le ministre de la défense devrait donc avoir recours à la loi pour imposer une nouvelle vaccination obligatoire.

Les conséquences éventuelles.

Conséquences du refus de se soumettre à la vaccination

L’Instruction n°3200/DEF/DCSSA/AST/TEC/EPID relative à la pratique des vaccinations dans les armées du 18 février 2005 (BOC/PP n°13 du 28 mars 2005) stipule que :

« le commandant de la formation ( 3.2. Responsabilités du commandement.)

est responsable de l’application des vaccinations prévues par le calendrier vaccinal au personnel placé sous ses ordres.

veille au respect des prescriptions médicales concernant les précautions à prendre avant et après certaines vaccinations.

prend les mesures disciplinaires qui s’avéreraient nécessaires à l’égard de ceux qui, par négligence ou refus délibéré, ne se soumettraient pas aux immunisations prescrites.

Les responsabilités du service de santé.

Le médecin chargé du service médical de la formation est seul responsable des contre-indications qu’il évalue après examen clinique et étude du dossier médical auquel il annexe les documents et certificats médicaux remis par les intéressés.

Chaque fois que cela lui semble nécessaire, il sollicite l’avis du spécialiste consultant de rattachement.

Les contre indications à la vaccination identifiées lors des opérations d’incorporation entraînent une inaptitude à l’engagement.

Les conséquences des contre-indications à la vaccination

Les contre-indications générales permanentes ne sont dues qu’à des maladies graves, incompatibles avec l’admission au service.

L’impossibilité de recevoir certaines immunisations peut entraîner l’inaptitude à l’engagement et à servir outre-mer.

En cours de carrière, une contre-indication à certaines vaccinations amène à proposer une restriction d’emploi et une inaptitude à l’embarquement et/ou à servir outre-mer

ATTENTION : L’usage de certificats de contre-indication de complaisance peut donner lieu à des poursuites judiciaires pour faux et usage de faux.

Personnels ne se soumettant pas aux immunisations.

Le refus de se soumettre aux immunisations prévues par le calendrier vaccinal des armées constitue un motif d’inaptitude à l’engagement ou au rengagement.

En cas de refus, le médecin fait remplir et signer par l’intéressé une déclaration de refus de se soumettre aux immunisations (vaccinations…) réglementaires dans les armées. Sur cette déclaration, l’intéressé peut exposer éventuellement les raisons de son refus (religieuses, scientifiques, désaccord du médecin des armées responsable avec une contre-indication prise par le médecin traitant de l’intéressé, etc.)

Si l’intéressé refuse de signer, la déclaration lui est lue en présence de deux témoins qui signent à sa place en indiquant leurs noms, prénoms et qualités.

Cette instruction a un caractère réglementaire puisqu’elle édicte des règles applicables à tous les militaires. En cas de contentieux, sa légalité doit être contestée en se fondant sur les arguments précédemment exposés.

Conséquences de dommages résultant de la vaccination obligatoire.

La réparation des dommages liés aux vaccinations obligatoires résulte d’un régime législatif de responsabilité de la puissance publique qui institue un véritable droit à indemnisation au profit des victimes. En revanche, s’agissant des vaccinations facultatives, la jurisprudence exige qu’une faute soit commise pour que la responsabilité de la puissance publique puisse être engagée.

Même dispensés de la preuve de la faute, la victime ou ses ayants droit doivent toutefois apporter la preuve de l’imputabilité du préjudice à la vaccination.

On peut toutefois se demander si  la procédure d’indemnisation prévue par le code la santé publique (article L. 3111-9) pour les vaccinations obligatoires en vertu de la loi serait applicable à une vaccination résultant d’un acte administratif (décret ou instruction).

Conclusion.

En droit interne, il est peu probable, sans doute plus pour des raisons d’opportunité habillées de droit que pour des motifs juridiques, que les juridictions administratives annulent à la fois la décision de rendre la vaccination contre la grippe A obligatoire pour les militaires et les sanctions qui seraient prises en cas de refus de se faire vacciner.

Dans le cas où le militaire qui ne souhaite pas se soumettre à l’ordre de vaccination ne dispose pas d’une dispense médicale, il devrait par prudence ne manifester son refus que s’il se trouve à quelques mois du départ et qu’il n’a plus rien à attendre de l’institution, pas même une décoration.

Une nouvelle fois, seul un recours devant la CEDH paraît en mesure de faire préciser le droit des Etats de s’ingérer dans les soins médicaux des citoyens, y compris ceux qui sont en uniforme, des Etats signataires de la Convention des droits de l’homme et de sauvegarde des libertés fondamentales.

Lire également:

Vaccination H1N1 : méfiance des infirmières

À lire également