Le Nouveau Détective n° 1056 – Mercredi 11 Décembre :
Après la mort du maréchal des logis-chef Jean-Pierre VIDOT, l’armée a été condamnée à verser 395000 francs à sa veuve.
Mais un ministre en a décidé autrement…
Jamais Nadine Vidot n’oubliera ces vacances de Pâques 1991.
A la veille de quitter Nevers pour aller passer quinze jours chez ses beaux-parents, dans les Vosges, avec ses trois filles, elle venait d’apprendre la meilleure des nouvelles : son mari Jean-Pierre, sous-officier de carrière de 34 ans, allait enfin rentrer en France, après deux ans d’affectation à Djibouti… Quand elle le leur a dit, Amélie, 5 ans, et Nathalie, 11 ans, ont dansé de joie : « Papa revient le 10 mai ! Papa revient le 10 mai ! ». Même la petite dernière, Laura, qui n’avait pas encore deux ans, semblait toute bouleversée…
» Votre mari est en train de cuver ses calmants «
Et puis voilà que le 28 avril,au beau milieu des vacances, Nadine Vidot est demandée au téléphone par le chef de corps de son mari, à Djibouti. L’officier lui annonce que Jean-Pierre va faire l’objet d’un rapatriement sanitaire.
– Mais qu’est-ce qu’il a ? s’inquiète-t-elle. Il faut qu’il soit gravement malade, alors ?
– Non, non, ne vous en faites pas. Il est hospitalisé mais il a juste besoin de petits examens qu’on ne peut pratiquer qu’en France…
– Quand rentre-t-il ?
– On ne sait pas, madame…
Nadine Vidot est une jeune femme résolue. Elle ne fait ni une ni deux, appelle l’hôpital de Djibouti et demande à parler directement à son époux, le maréchal-des-logis-chef Vidot.
– Je ne peux pas vous le passer, on l’a placé en réanimation, lui répond une infirmière.
Très inquiète, Nadine exige qu’on lui passe un médecin.
– Je ne donne jamais de nouvelles par téléphone, lui déclare ce dernier.
– Mais je suis la femme de Jean-Pierre Vidot, je suis à 8000 kilomètres de distance. Il faut absolument que je sache ce qui se passe…
Le toubib a alors cette réponse incroyable : – Tout ce que je peux vous dire pour le moment, madame, c’est qu’il est en train de cuver ses calmants…
Le malade dont parle ce médecin – avec une si stupéfiante désinvolture – a en fait sombré dans un coma dont il ne sortira plus jamais… Et Nadine Vidot ne se doute pas alors que l’armée, loin de faire preuve de sollicitude, va désormais s’acharner contre elle, en faisant tout pour l’humilier et la conduire à la ruine !
» On ne voulait le garder nulle part «
Pendant plus de dix ans, Nadine et son mari ont pourtant vécu dans l’idée que les militaires formaient une grande famille. Fille d’un légionnaire, la jeune femme a rencontré Jean-Pierre à l’occasion d’un mariage, en 1978; lui s’était engagé dans l’armée de terre trois ans plus tôt, à l’âge de 17 ans. Ils se marient très vite, alors qu’ils n’ont encore qu’une vingtaine d’années, et la jeune femme suit dès lors son époux dans ses différentes affectations en Allemagne, au service du matériel. En septembre 1981, Jean-Pierre est muté au magasin central de Saint-Florentin, dans l’Yonne.
– Quand mon mari a été affecté à Djibouti, le 10 mai 89, je l’aurais volontiers suivi une fois encore, nous confie Nadine. Mais j’étais enceinte de notre troisième fille, Laura, et je faisais de l’hypertension. Le médecin m’a déconseillé d’aller dans cette région d’Afrique dont le climat ne m’aurait pas convenu. Et j’ai certainement bien fait de rester dans l’Yonne. Jean-Pierre m’a toujours dit que la chaleur excessive, jointe à une humidité malsaine, étaient pénibles à supporter, même pour lui. Les derniers temps, il ne se sentait pas bien, d’autant que son travail l’obligeait à surveiller des débarquements de caisses dans des soutes de navire. Peu avant la date prévue pour son retour – le 10 mai 1991 – il m’a dit au téléphone qu’il était allé consulter plusieurs fois à l’infirmerie, parce qu’il souffrait de maux de tête…
Puis c’est le coup de fil inquiétant du 28 avril. Nadine Vidot est avertie que son mari va être rapatrié… Le 1er mai 1991, en effet, Jean-Pierre, inconscient, entre à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce à Paris. Il est placé en réanimation. Le médecin qui l’a accompagné en avion depuis Djibouti repart sans avoir daigné parler à Nadine, bien qu’elle ait demandé à le rencontrer. Cinq heures plus tard, le chef de service annonce à la jeune femme :
– Votre mari a le cerveau plein de sang. Nous allons le garder en réanimation.
De fait, le malade va rester quatre mois dans le service, sans aucune amélioration de son état. Il est ensuite transféré au centre hélio-marin de Berck, dans le Pas-de-Calais, où il va demeurer encore six mois.
– En mars 1992, nous explique Nadine, on m’a fait savoir qu’on ne voulait plus le garder, parce qu’on ne voyait aucune raison pour qu’il sorte un jour de son coma. J’ai alors appelé tous les hôpitaux militaires de France, en précisant ce que l’on m’avait recommandé à Berck : « Dites bien que votre mari a une sonde gastrique permanente »… Tous les établissements ont refusé de le prendre : ils trouvaient que c’était un cas trop lourd. Quand je demandais : « Mais qu’est-ce que je vais faire de lui », la réponse était toujours la même : « Il faut que vous le preniez chez vous « . Mais ça, je m’y refusais absolument à cause de mes filles. ça aurait été affreux pour elles de voir leur père dans cet état.
» La mauvaise foi des médecins militaires a été scandaleuse ! «
Finalement, Jean-Pierre est accepté dans une maison privée, le Centre de Long séjour de Sens, dans l’Yonne. Il y est très bien traité, mais les frais de séjour, qui tournent autour de 10000 francs par mois, sont désormais à la charge de Nadine.
– Tout l’argent que mon mari avait pu placer est passé dans le règlement des premières factures. Ensuite, j’ai commencé à m’endetter en contractant des emprunts. Pour finir, sur les conseils de la directrice du centre, le docteur Rossignol, je me suis adressée au conseil général de l’Yonne qui a pris en charge les frais de séjour de Jean-Pierre, jusqu’à ce qu’il meure, le 11 juin 1993…
L’armée, elle, n’a rien payé. Elle s’est déchargée de toute responsabilité dans l’accident survenu au sous-officier.
– La mauvaise foi des médecins militaires a été scandaleuse, s’indigne Nadine. A l’infirmerie de Djibouti, ils avaient diagnostiqué à tort une épilepsie dont mon mari n’a jamais souffert; on lui a donc administré des médicaments contre-indiqués. Un toubib a même relevé une prétendue « intempérance alcoolique reconnue » alors que Jean-Pierre, qui était un grand sportif, ne buvait jamais. Au bout de quelques jours, on s’est aperçu qu’il n’avait jamais eu de crise d’épilepsie, mais une hémorragie méningée… Mais comme on me l’a confirmé au Val-de-Grâce, il était alors trop tard pour faire quoi que ce soit.
La jeune femme fouille dans le volumineux dossier médical qu’elle a constitué et en extrait un document.
– Voici la conclusion officielle qui m’a été envoyée en mai 1992. Regardez : il paraît que ce qui est arrivé est « non imputable » à l’armée…
On lui saisit même ses héritages !
Révoltée, la jeune veuve décide de porter l’affaire devant la justice. C’est le combat du pot de terre contre le pot de fer, mais Nadine rassemble inlassablement des témoignages et des documents. Et après des années de procès, le tribunal d’Auxerre lui donne enfin satisfaction, en août 1997 : le décès du Maréchal des Logis Chef Jean-Pierre Vidot est déclaré imputable à l’armée ! Nadine reçoit un arriéré de pension jusqu’en 1995, date à laquelle elle se remarie. Elle et ses trois filles se partagent ainsi une somme de 395.000 francs. Ce qui semble bien modeste eu égard au préjudice subi. Hélas, le ministre de la Défense de l’époque, Alain Richard, obtient l’annulation de cette décision devant la cour d’appel, puis devant le conseil d’Etat, en mai 1999.
– Depuis cette date, je rembourse 500 francs par mois au Trésor Public, se révolte Nadine, qui est aujourd’hui employée au centre de gendarmerie de Nevers. Et l’état ponctionne aussi les pensions d’orphelines de mes filles… Mais le pire était encore à venir ! Le père de Jean-Pierre est décédé le 25 mai 2002 et mon propre père est mort le lendemain. Quinze jours plus tard, un huissier est venu me signifier que le Trésor Public se rembourserait sur le montant des deux héritages, pour une somme de 56.000 euros (367.000 francs) !
Mais Nadine Vidot est bien décidée à ne pas se laisser faire. Aujourd’hui vigoureusement soutenue par l’Association de Défense des Droits des Militaires, présidée par Michel Bavoil, elle proclame :
– Je veux que l’Etat prenne en charge ce qu’il appelle ma dette, que l’honneur de mon mari, qui a été accusé d’alcoolisme, soit lavé et que mes filles aient le droit de porter le titre de pupilles de la Nation !
Onze ans après cette énorme bavure de l’armée, il serait temps, en effet, de la réparer définitivement…
Lire également :
La veuve d’un sous-officier se bat contre l’Armée
Le calvaire de la veuve du soldat VIDOT
Calvaire. Le sort et l’armée se sont acharnés sur un sergent-chef et sa famille
Quand l’armée fait du social
Affaire VIDOT : Tribunal des pensions ou tribunal tout court ?