Pensions militaires (octobre 2001)

Le Parisien du 25 octobre 2001

L’hôpital militaire mis aux arrêts

De nouveaux témoins relancent l’instruction ouverte sur les pratiques de l’hôpital Laveran à Marseille.

L’hôpital militaire Lavéran est l’objet de biens des interrogations depuis l’ouverture, en septembre 1996, d’une information judiciaire pour « trafic d’influence, corruption active et corruption passive »
La récente audition de plusieurs témoins par le juge d’instruction marseillais Franck Laudou relance une instruction motivée à l’origine par la découverte de faux dossiers de pensions d’invalidité, de faux malades et d’un détournement de matériel. Une enquête administrative est en outre en cours sous le contrôle direct du cabinet du ministre de la Défense, Alain Richard.

Tout a débuté en avril 1995, quand le médecin-capitaine Stéphane Lewden alerte sa hiérarchie sur un certain nombre de malversations. Le parquet de Marseille est en outre averti par lettre anonyme de combines mêlant médecins et personnel administratif.

Le directeur de l’hôpital est alors amené à déposer une plainte qui lance l’affaire. Mais curieusement, aucune mise en examen n’est intervenue depuis dans ce ténébreux dossier. Le parquet indiquait hier qu’il fallait le temps d’étayer les preuves des accusations de Stéphane Lewden. Cette lenteur judiciaire n’est pas étonnante puisque plusieurs centaines de cartons d’archives administratives et médicales auraient brûlé en avril 1996 dans l’incinérateur du centre hospitalier….Ces faits seraient intervenus deux mois seulement après qu’une inspection ait été diligentée sur place.

Le juge Landou s’intéresse en outre à une association affiliée à l’établissement. Elle est présentée comme destinataire de certaines sommes versées par les malades et redistribuées par la suite à certains médecins. Ce subterfuge visait à contourner le statut militaire des praticiens pou leur permettre de percevoir des honoraires. Plus grave encore, un employé qui n’a rien d’un docteur a lui-même bénéficié d’une coquette ristourne de la même association sous le couvert d’une fausse qualité médicale.
Au total, les mauvaises combines de Laveran se chiffreraient, selon certaines sources, à 30 millions de francs. Principales victimes : la Sécurité Sociale et les Caisses d’assurances privées grugées par les invalides fantômes de l’hôpital militaire.

Jean-Michel Verne

LA PROVENCE du 23 Octobre 2001

JUSTICE

Les dossiers sulfureux de l’hôpital Laveran

Déjà saisi du dossier des fausses pensions, le juge découvre des cartons qui brûlent et le fonctionnement de l’Association des anciens et amis de l’hôpital militaire de Marseille

L’hôpital Laveran : une belle réputation ternie depuis 1996 par les révélations faites à la justice par un médecin militaire et par plusieurs employés sur des « malades imaginaires » – Photo Bruno Souillard

La semaine dernière, le juge marseillais Franck Landou a dû écarquiller les yeux. Plusieurs témoins qu’il avait convoqués dans son bureau lui ont fait d’étranges révélations sur le fonctionnement de l’hôpital militaire Laveran. Il est vrai qu’il disposait déjà d’un éventail très étendu de pratiques étonnantes, qui vont du détournement de matériel à la fausse pension, en passant par des maladies imaginaires que Molière soi-même n’eût pas imaginées (nos révélations des 1er et 9 octobre et celles du Canard Enchaîné). Mais dans le cadre de l’information judiciaire ouverte pour « trafic d’influence, corruption active et corruption passive », une poignée de témoins viennent de lui raconter comment quelques centaines de cartons contenant archives administratives et médicales ont été brûlés le 1er avril 1996.

« Poisson d’avril »
Un « poisson d’avril » qui n’en était pas un, puisque les cartons en question avaient été dûment répertoriés, avant d’être stockés dans une pièce spéciale, pour disparaître enfin en fumée. Une déclaration de sinistre effectuée quelques semaines plus tard serait venue mettre un terme à cet épisode résolument fumant. On raconte d’ailleurs que lesdites archives ont fini leur course dans l’incinérateur de l’hôpital.
Le juge Landou s’intéresse aussi de près, selon nos sources, au fonctionnement de l’Association des anciens et amis de l’hôpital militaire Laveran. Une enquête financière est en cours. Car de l’aveu de plusieurs personnes, entendues par le juge et les gendarmes, certains médecins militaires, qui ne peuvent pas travailler pour le privé, auraient bénéficié de quelques retours en liquide, via l’association.
Ainsi une patiente a-t-elle signé une série de cinq chèques de 152 (1 000 F) à l’association à la suite d’une intervention chirurgicale, laquelle association aurait ensuite reversé les frais au médecin qui était intervenu. La même association aurait consenti un chèque de 1829 (12 000 F) au nom d’un prétendu Dr X…, qui n’était en fait qu’un des employés les plus en vue de l’hôpital, mais qui n’avait nullement la qualité de médecin… Bien sûr, le tout aurait été maquillé sous la forme d’aimables dons caritatifs.

10 emplois sauvés pendant 30 ans
Ces petites combines de l’hôpital Laveran viennent s’ajouter à celles sur lesquelles enquête depuis 1996 le juge Landou, qui auraient coûté un important préjudice à la Sécurité sociale, sans parler du préjudice causé aux assureurs, qui ont pris en charge des invalidités ou des maladies imaginaires. Au total, le médecin militaire Stéphane Lewden a chiffré à 4,57 millions d’euros (30 MF) les sommes économisées par ses découvertes, soit l’équivalent, de 300 emplois au Smic pendant un an ou 10 emplois pendant trente ans.
L’un des piliers de l’hôpital, qui a cru bon de porter plainte pour diffamation contre Le Canard Enchaîné » et réclamait 76 227 euros (500 000 F ) de dommages et intérêts, a perdu son procès le 17 novembre 1997. Dans une note d’information au personnel, datée du 8 octobre, le nouveau médecin chef de Laveran continue de dénoncer un « mauvais amalgame ». Il est bien le seul à se risquer à l’affirmer.

Denis Trossero

Le ministère : « Nous avons tous des brebis galeuses »
Interrogé hier par La Provence, le cabinet du ministre de la Défense Alain Richard s’est déclaré « parfaitement au courant des événements concernant Laveran ». « Nous avons tous des brebis galeuses, précise le cabinet. On pardonne moins à certaines professions comme les prêtres, les journalistes ou les médecins. Si le nettoyage est nécessaire, on fera le nettoyage nécessaire ».
Le ministre de la Défense Alain Richard entend « laisser la justice suivre son cours ». On assure même que « le ministre de la Défense apporte tout son concours », qu' »une enquête interne » a été diligentée et qu' »un certain nombre d’éléments ont déjà été remis au ministre qui les a transmis à la justice ». Pour autant, précise-t-on, « l’enquête n’est pas terminée ». « Si cela est nécessaire, des sanctions seront prises par le ministre avec toute la rigueur nécessaire s’il y a eu faute. » Mais, à ce jour, « le ministre n’infirme ni ne confirme aucun des faits », ajoute-t-on. Quant au contenu de l’enquête administrative, il reste pour l’heure secret. « Les résultats d’une enquête interne ne sont jamais rendus publics », insiste-t-on au ministère. A ce jour, en effet, Alain Richard n’a pas souhaité s’exprimer en personne publiquement sur ce dossier qui n’en finit pas, dit-on, d’arracher des grimaces à l’administration centrale.

LA PROVENCE du 9 Octobre 2001

Faux malades de l’hôpital Laveran : les oublis troublants du ministère

Toute vérité n’est pas bonne à dire. Le ministère de la Défense en sait quelque chose, qui fait obstruction depuis plusieurs années au dossier d’un jeune médecin militaire. Son nom : Stéphane Lewden, 38 ans. C’est lui qui a dénoncé les pratiques frauduleuses – fausses pensions, faux arrêts de maladie et faux accidents du travail – (nos révélations du 1er octobre) en cours au sein de l’hôpital marseillais Laveran et sur lequel le juge Franck Landou s’intéresse depuis 1996. Muté à Limoges à l’état-major de la légion de gendarmerie du Limousin, le praticien tente d’obtenir depuis cinq ans la communication intégrale de son dossier, mais en vain. Le ministère de la Défense la lui a d’abord refusée. Il a alors saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) le 11 janvier 2001, comme le lui permet la loi depuis le 17 juillet 1978. Et la Cada a fini par lui donner raison. Quand il a cru qu’il allait enfin obtenir gain de cause, il a découvert que certaines mentions étaient erronées. Ont-elles été truquées ou bien ne s’agit-il que d’un oubli ! Le plus étonnant, et qui donne un éclairage singulier sur les pratiques de Laveran, c’est que son dossier militaire est signé de la main d’un ouvrier de l’hôpital qui faisait alors la pluie et le beau temps !.

Le rapport qui fait peur.

Stéphane Lewden a donc saisi le tribunal administratif de Limoges pour enfin obtenir la communication intégrale de son dossier sous astreinte de 457,35 euros (3000 francs) par jour de retard. Le tribunal a renvoyé l’affaire devant le Conseil d’Etat le 14 mai.
En dehors des expertises médicales qu’a demandées le juge marseillais sur les pseudos malades, un document est aujourd’hui en mesure de livrer la vérité sur le dossier Laveran : le fameux rapport de l’inspection de février 1996, qui dresse l’inventaire des malversations, rédigé par le médecin général Giacomoni et par le médecin-chef Richard à la demande du ministère.

LA PROVENCE du 6 Octobre 2001

Hôpital Lavéran : le médecin général Aubert nous écrit.

A la suite de nos révélations parues dans l’article du 1er octobre dernier intitulé « les maladies imaginaires de l’hôpital Lavéran », le médecin général Aubert, médecin chef de l’hôpital nous écrit :

« Si deux enquêtes ont été ouvertes, il est important de souligner que celle ayant trait aux détournements de matériel de construction porte sur des faits remontant avant 1991 et ne concerne pas d’équipement lourd destiné à l’hôpital. L’autre enquête porte sur des pensions attribuées avant 1993. Le médecin du personnel qui a signalé les faits a été parfaitement suivi par sa hiérarchie, certaines pensions ont été révisées. Le médecin général directeur de l’hôpital a lui-même, après accord de sa direction centrale, porté plainte pour ces deux affaires en septembre 1996 auprès de la gendarmerie. L’amalgame médecin donnant une pension et recevant des matériaux de construction est plus que réducteur, ne correspond pas aux faits et montre une méconnaissance totale de la procédure appliquée aux pensions.
L’hôpital Lavéran est actuellement un hôpital au plateau technique performant qui se targue d’une gestion saine. Cet hôpital, destiné en priorité au personnel de la Défense et leurs familles pour 20% de son activité, joue le rôle d’un hôpital de proximité pour les 80% restant au profit des populations des 13e et 14e arrondissements, Allauch et plan- de-Cuques.Il assume 15% des urgences de la ville grâce à un service mobile d’urgence et de réanimation en partenariat avec l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille.
Il serait au moins aussi utile d’évoquer son activité actuelle sans faire l’amalgame avec des faits remontant à plus de dix ans, amalgame qui nuit à son image, alors que la grande maison militaire est tout à fait en ordre et se gère dans la plus grande transparence »

NDLR : Contrairement à ce qu’indique le médecin général Aubert, le médecin du personnel qui a dénoncé les faits a été suivi au départ, mais, quand les services des armées se sont rendus compte de l’ampleur des dérives, cela n’a plus été le cas. Que les faits soient anciens est une chose, mais l’instruction judiciaire sur les fausses pensions, faux arrêts de maladie et autres faux accidents du travail a interrompu la prescription qui aurait évité le scandale, et la justice est toujours saisie à ce jour de ce bouillant dossier. Des faits précis remontent même à 1994. D’autant que les pensions étaient alors un « délit continu » qui ne pouvait pas se prescrire, puisque les bénéficiaires les touchaient régulièrement. Quant à la transparence promise, c’est la justice, davantage que l’hôpital Lavéran de l’époque en l’espèce, qui est en train de la faire. Il est facile de parler d’amalgame et d’ancienneté des faits pour jeter un voile pudique sur des faits que la justice a dû trouver sinon inavouables, à tout le moins pénalement répréhensibles, puisqu’elle a ouvert en 1996 une information judiciaire pour « trafic d’influence, corruption active et corruption passive ».

LA PROVENCE du 1 octobre 2001

Les maladies imaginaires de l’hôpital Laveran

En ouvrant deux enquêtes simultanées, la justice ne savait pas qu’elle allait trouver petites combines et faux en tout genre. Laveran rejoue-t-il le > ?

L’hôpital militaire Laveran, dans le quartier Malpassé (13°), est spécialisé dans « la prévention des maladies du voyageur », en « médecine tropicale » et en chirurgie orthopédique », un peu moins en saine gestion. Depuis 1996, la justice marseillaise, alertée par un jeune médecin plus soucieux de transparence que de petites combines, a ouvert deux enquêtes. L’une porte sur des détournements de matériel, l’autre sur d’inénarrables fausses pensions et des arrêts de maladie manifestement imaginaires. Que n’avait-elle fait là ?

L’enquête sur les détournements a marqué le pas et finalement débouché sur un non lieu, la plupart des faits constatés, bien qu’avérés, étant frappés par la prescription. Elle a révélé, au hasard de l’instruction menée par le juge marseillais Franck Landou, une étrange comptabilité sur de l’or dentaire, sur du matériel réformé et même sur du matériel lourd.

A l’époque, les gendarmes de la Section de recherches de Marseille avaient saisi des centaines de kilos de documents et découvert que la rigueur n’était pas, à Laveran, la vertu militaire la plus partagée. Mais le temps a passé et la justice passé l’éponge, même si l’enquête a démontré que certaines personnes placées à des postes stratégiques, avaient aussi bénéficié de quelques milliers de mètres carrés de carrelage ou de tuiles provençales, dont l’usage est rarement prescrit à l’hôpital, sauf à vouloir opportunément lutter contre la maladie des bronches !

L’arbre qui cache la forêt

Ce dossier n’était hélas que l’arbre qui cache la forêt militaire, puisque l’autre instruction confiée au même magistrat instructeur marseillais a mis à jour des pratiques médicales qui ne laissent pas d’inquiéter. Ainsi l’instruction ouverte au cabinet du juge Landou pour « trafic d’influence, corruption passive, corruption active et escroquerie » aurait-elle mis au jour l’existence de faux en série. Pour l’heure, certes, aucune mise en examen n’a été notifiée. Pour vérifier la réalité ou non de certains arrêts de maladie, de certaines pensions indues et savoir si les actes octroyés étaient justifiés, il a désigné des experts ayant pour mission de poser, sur ces affections, « un jugement médical désintéressé », indique-t-on de bonne source.

Des médecins très généreux

Mais l’inventaire des découvertes serait d’ores et déjà particulièrement éloquent. Que penser en effet de 800 séances de kiné accordées pour une très superficielle malformation du genou ? de la bagatelle de 150 infiltrations prescrites pour une banale douleur à l’épaule ? que penser d’une invalidité à 80% accordée à une joueuse de tennis d’habitude ? Un cadre de l’hôpital aurait même bénéficié, de bonne source, pendant près de vingt ans, de 457 euros (3000 F) par mois pour une paralysie qui n’existait pas. Bref, l’hôpital Laveran a-t-il réécrit pendant des années, tel M. Jourdain faisant de la prose sans le savoir. « Le malade imaginaire ? » C’ est en tout cas la question que se pose avec insistance la justice marseillaise. C’est l’instruction qui le démontrera. Ce qui ne fait pas de doutes, c’est le silence feutré qui a entouré la révélation de ce mini scandale médical. Le médecin militaire qui a découvert le pot aux roses et omis de se taire a été muté à Limoges. Il était capitaine avant les faits, il est toujours capitaine. Est ce qu’il est convenu d’appeler une mutation-promotion à grade égal ? Ce trublion vient en tout cas de se constituer partie civile au dossier. Sa constitution sera-t-elle déclarée recevable ?

Près de 4 millions d’euros de préjudice

Il aspire manifestement à autre chose qu’à cultiver l’adage bien connu : surtout pas de vagues. Quand les expertises médicales seront rentrées au dossier, les anciens de Laveran pourraient avoir quelques explications à fournir au juge. D’autant qu’on raconte que certains médecins militaires auraient bénéficié, en remerciement des services rendus, de matériaux de construction ou d’équipements initialement destinés à l’hôpital. Le préjudice pour la sécurité sociale et le Service de santé des armées dépasserait les 3,8 millions d’euros (25 millions de francs). Les gendarmes de Marseille semblent disposés à mettre de l’ordre dans la grande maison militaire.

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