Réduction du format des armées : les menaces voilées du lobby des généraux retraités de l’armée de terre.(Renaud Marie de Brassac)

A l’arrivée de M. François Hollande à l’Elysées, l’Adefdromil avait écrit sur ce qu’elle appelle le « syndrome Allende » ((du nom de l’ancien président chilien renversé par le coup d’état du général Pinochet)), c’est-à-dire la crainte légitime de réactions politiques du lobby militaire.

Aujourd’hui, face aux  nécessités économique et politique de réduire le format des armées et d’abord celui de l’armée de terre, le syndrome Allende est plus que jamais d’actualité.

Il est toutefois difficile de s’y retrouver dans toutes ces interventions qui font étalage des états d’âme de généraux en retraite, un peu plus nombreux que le fameux quarteron, du Général de Gaulle, pendant le putsch d’Alger en 1961.

Retenez-moi ou je fais un malheur.

Il y a tout d’abord, ce manifeste des « Sentinelles de l’agora ».  Il y avait de nombreux mois que nous n’avions pas entendu parler des Sentinelles. Dormaient-elles ? Aujourd’hui sous la plume du général en deuxième section Thomann, elles délivrent des menaces voilées, mais explicites aux  « responsables de notre République » de cesser leurs « errements dramatiques  pour la sécurité à moyen et long terme de notre pays ».

Que représentent les Sentinelles de l’agora ? On l’ignore. Il s’agirait d’un club de réflexion, une sorte de loge regroupant de hauts gradés, ravivée périodiquement quand une orientation de la politique militaire dérange ces messieurs.

L’agora, c’est la place publique de la Grèce antique et probablement, la société française dans l’esprit de ce groupe occulte. Qui leur a demandé de jouer aux pseudo-sentinelles ? Personne ! Ils se sont auto-missionnés.

Que dit le manifeste ? Il reprend l’antienne habituelle de la haute hiérarchie, surtout quand elle n’est plus en activité.

Ce qui passe mal d’abord, c’est la subordination de l’opérationnel au politique. Le nouveau décret relatif au rôle du chef d’état-major des armées limite les prérogatives du plus haut gradé de l’armée française à l’opérationnel. C’est logique, lorsqu’on constate les dérives en matière de recrutement, d’avancement et de gestion des ressources humaines qui se sont accentuées dans la dernière décennie.

Ensuite, c’est bien sûr le budget, les effectifs, etc. Les Sentinelles en veulent plus. C’est évident.

Deux points méritent qu’on s’y attarde.

Le général Thomann, conscient de la faiblesse actuelle du lien entre l’armée et la Nation, suggère de disposer de « citoyens en arme » répartis en nombre suffisant avec des professionnels. Prône t-il un retour à la conscription ou bien un développement de l’emploi de réservistes ? On ne sait.

In fine, le général prétend écarter la menace syndicale, mais on sent bien qu’il s’agit d’une antiphrase : « sans qu’il soit besoin de recourir à des formes de représentation …étrangères à notre culture militaire…(qui) pourraient s’avérer un jour peut-être proche, le seul moyen pour nos soldats de se faire entendre ».

L’ état quasi dépressif du président de la Saint-Cyrienne.

Dans son éditorial du 3 octobre, le général en deuxième section Delort, président de la Saint –Cyrienne avoue être en « grand désarroi ».

Il rejoint sur plusieurs points la prise de position de son ancien de Saint-Cyr, le général Jean Claude Thomann.

Selon lui, on ne pourrait pas « cantonner l’officier aux seules opérations sur le terrain et le dépouiller des autres responsabilités sans créer une rancœur ». De quelles responsabilités s’agit-il ? On ne le sait, mais on suppose qu’il se joint aux regrets des Sentinelles de l’agora de voir le rôle du CEMA plus centré sur l’opérationnel et beaucoup moins sur les ressources humaines.

Ensuite, il écarte l’hypothèse du syndicalisme, qui « n’est pas la solution pour être mieux écouté » et serait même « un poison », qui « mettrait à mal les principes fondamentaux d’autorité et de responsabilité indispensables à une armée efficace aux ordres d’un président, chef des armées- élu par les Français ».

Et le général de s’en tenir aux termes du code de la défense : « il appartient au chef de veiller aux intérêts de ses subordonnés ». Et si les chefs sont écoutés, il n’y a pas besoin de syndicats CQFD !

Le président de la Saint-Cyrienne semble oublier qu’il ne parle au fond que pour les officiers sortis de Saint-Cyr et adhérents de l’association, dont il est le président. Ne joue t-il pas lui-même le rôle de représentant syndical des membres de la Saint Cyrienne, rôle qui disparaîtrait si des associations professionnelles se créent.

S’agissant du syndicalisme, c’est-à-dire du droit des militaires de tous grades de s’associer pour défendre leurs intérêts professionnels et moraux, la Cour européenne des droits de l’homme devrait se prononcer dans les mois qui viennent sur ce sujet. On entend déjà les cris d’orfraie de tout ce beau monde si la CEDH décide que la France viole effectivement la Convention en interdisant à ses militaires de s’associer pour défendre leurs droits légitimes.

Il refuse de considérer qu’une représentation élue des militaires est aussi le gage d’un maintien d’un lien entre l’armée et la nation, lien qui a disparu avec la professionnalisation.

Et le général Delort de souhaiter en conclusion que ce soit le chef de l’Etat qui délivre sur ordonnance (de l’article 38 de la Constitution ?) la potion magique destinée à soigner « le grand désarroi » des jeunes officiers.

Pour qu’il y ait moins de désarroi à moyen terme, il suffirait déjà comme première mesure de diminuer le nombre de places offertes au concours d’entrée à Saint-Cyr et de recruter plus d’officiers destinés à faire des carrières courtes.

D’autres voix, de l’armée de terre, encore et toujours!

Il serait injuste de passer sous silence les prises de positions d’autres associations, organismes divers et variés.

Ainsi, en est-il du G2S, le groupe de réflexion des officiers généraux en deuxième section de l’armée de terre qui publie régulièrement un bulletin d’information depuis mars 2012 (parution du bulletin n°1).

Le ton n’est pas différent, mais le contenu est plus technique. Dans l’éditorial du bulletin N°7 d’avril 2013, le général en deuxième section Faugère, issu de Saint-Cyr, commence tout de même par « L’institution militaire est en danger »

Et il ne faut pas oublier l’ASAF, l’association de soutien à l’armée française présidée par le général en deuxième section Henri Pinard Legry, lui aussi sorti de Saint-Cyr..qui a publié, le 13 septembre 2013, un article sur « la dimension stratégique des effectifs », dans lequel on parle de « risque d’implosion » et « d’impasse ».

Il y a bien, dans le conseil d’administration de l’ASAF, un officier général de l’armée de l’air, un amiral et même un général de gendarmerie qui s’est illustré dans l’affaire des écoutes sauvages de l’Elysée. Mais pour le reste, la plupart des dirigeants sont issus de l’armée de terre. On y retrouve même le général Jean-Claude Thomann, coordinateur pour la région Nord.

Mais qu’en pense le vrai responsable : le Chef d’état-major de l’armée de terre ?

Le général d’armée Bertrand Ract-Madoux a été entendu le 18 septembre 2013 par la commission du Sénat, présidée par M. Jean Louis Carrère. Le 1er octobre, il s’est adressé à l’ensemble des militaires composant l’armée de terre pour expliquer les choix opérés et soutenir le moral de ceux qui peuvent être touchés par les restructurations.

Que faut-il retenir de ces interventions ?

Il suffit de le citer : « Ce projet de loi me semble rechercher le meilleur point d’équilibre possible entre l’indispensable redressement des comptes publics et l’absolue nécessité pour la France de conserver une défense forte. » …  « De fait, les objectifs de préparation opérationnelle fixés …permettent à l’armée de terre de satisfaire son contrat tandis que le plan d’équipement poursuit le renouvellement des matériels terrestres les plus essentiels. »… « Deux défis majeurs attirent toute mon attention : en premier lieu l’effort considérable de réduction d’effectifs car il pourrait avoir des effets sur la cohérence du modèle d’armée ; en second lieu les conditions d’exercice du métier militaire et de vie du personnel car elles conditionnent notre capacité à réussir cette réforme. De ce point de vue, le moral de nos hommes, qui découle directement de leur condition de vie et de travail, constitue à mes yeux un enjeu central d’autant plus qu’il est un des facteurs de leur efficacité opérationnelle. Mes responsabilités dans ces domaines m’imposent donc de disposer des leviers d’action pour pouvoir les exercer en toute plénitude. »

Ce serait faire injure au général Ract Madoux de penser qu’il pourrait tenir un double langage : d’un côté, conciliant devant les parlementaires et explicatif vis-à-vis de ses hommes et de l’autre, suggérant à ses camarades étoilés ayant quitté le service actif, présidents de divers organismes de lobbying, de souffler sur la braise et de brandir le tison de la révolte.

Ce serait également lui faire injure de penser qu’il n’aurait pas le courage de démissionner s’il estimait que les restructurations et les réductions d’effectifs menacent gravement les capacités fondamentales de défense de notre pays.

Alors, en conclusion, que pensez de tout ce charivari ?

Tout d’abord, nous maintenons qu’il ne devrait y avoir que deux catégories de généraux : ceux qui servent en activité et ceux qui sont en retraite et qui ont ainsi le droit de travailler, de prier, d’écrire, de profiter de la vie et même de penser. On en revient donc à la nécessité de la suppression de la deuxième section des officiers généraux inutile, coûteuse et ambiguë.

Ensuite, on ne peut qu’être étonnés de la discrétion d’officiers généraux issus de la Marine ou de l’armée de l’Air, par rapport au lobby « Terre ». Cela prouve bien que l’agitation politique des généraux en deuxième section de l’armée de terre traduit moins un problème réel de capacité de défense qu’une posture corporatiste de la haute hiérarchie issue de Saint-Cyr.

Enfin, nous devons nous demander si nous sommes à la veille d’un coup d’état ?

Difficile de le croire. Ces messieurs tiennent beaucoup à leur pension de retraite (solde de réserve pour être exact) et à leur carte de circulation SNCF.

Souvenons-nous simplement de deux citations célèbres du Général de Gaulle, qui eut à faire face au dernier putsch de notre histoire  et qui, mutatis mutandis, peuvent s’appliquer à ce lobbying effréné et déplacé, dont nous supposons que le général d’armée Bertrand Ract Madoux se passerait surement :

« Ce pouvoir a une apparence : un quarteron de généraux en retraite ; il a une réalité : un groupe d’officiers partisans, ambitieux et fanatiques. Ce groupe et ce quarteron possèdent un savoir-faire limité et expéditif, mais ils ne voient et ne connaissent la nation et le monde que déformés au travers de leur frénésie. »

« Ce sont des militaires. Ils vont s’empêtrer ! »

RMB le 4 octobre 2013

 

 

 

 

 

 

Cet article a 2 commentaires

  1. Hervé

    le meilleur médicament antidépresseur pour calmer les maux de la Défense c’est à mon avis le suppositoire Adefdromil qui peut se prendre sans modération!

  2. Domisoldo Diez

    L’armée de terre a un vrai problème.

    En effet, contrairement à l’aviation, à la marine, à la gendarmerie, aux sapeurs de la sécurité civile, des pompiers de Paris et des Marins-pompiers de Marseille, elle n’a pas de mission permanente de sauvegarde du territoire national :
    – une guerre conventionnelle en Europe est irréaliste pour longtemps ;
    – et Vigipirate n’est qu’une petite mission de présence qui se veut dissuasive dans certains lieux publics.

    Nos vaillants syndicalistes Saint-Cyriens retraités, excellemment décrits par Renaud Marie de Brassac, puisqu’ils sont officiers généraux, donc réputés intelligents, le savent fort bien.

    Mais voilà, ils ne peuvent se résigner, ni à la baisse des volumes de recrutement dans leur école chérie, ni à la garantie d’un précieux déroulé de carrière correspondant au « haut niveau » de ladite école.

    Une piste : afin d’optimiser l’emploi des unités de l’armée de terre lorsqu’elles ne sont pas en opex, pourquoi ne pas leur faire gardienner les bases aériennes et les bases navales opérationnelles H24 ?

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