Editorial du mardi 26 novembre 2002

L’armée française, confrontée à des défis majeurs, n’a pas achevé la mutation en cours. L’une de ses institutions les plus opaques, le Service de santé des armées, protégée jusqu’ici par l’omertà, livre bien malgré elle ses secrets de famille. Deux de ses membres, Marc Lemaire et Stéphane Lewden, brisés dans leur carrière – mais non dans leur idéal – pour avoir refusé de cautionner le corporatisme outrancier qui dénature le sens même de la mission de soutien de nos forces, ont décidé de parler. Et leurs révélations sont fracassantes !

Jusque là, les rapports alarmants communiqués en interne pour que le linge sale soit lavé en famille n’avaient produit des effets qu’à l’encontre de leurs propres carrières… sans que les auteurs de fautes graves contre l’honneur militaire, l’éthique médicale ou la loi ne soient jamais inquiétés. Aujourd’hui, ils éditent avec un parlementaire, Dominique Paillé, un ouvrage consacré aux graves dysfonctionnements de l’institution. Les trois auteurs ne se contentent pas d’illustrer ces dysfonctionnements par six cas concrets – dont ceux bien connus désormais par nos membres et le grand public de Stéphane Lewden et Christophe Adam. Ils ajoutent, à l’exposé édifiant de faits objectifs, une analyse historique et sociologique de dimension universitaire, démontrant avec brio les causes et les mécanismes de l’actuelle dérive du Service de santé des armées. Ils terminent par des propositions pertinentes de réforme, en profondeur, de l’institution 1.

En marge de l’objectif essentiel – sinon vital – de cet ouvrage, visant la restructuration du Service de santé selon le besoin réel de nos armées et de la Défense, se pose pour notre association le devenir de nos deux camarades. Stéphane Lewden, arrêté dans son avancement, poursuit malgré tout ses activités de médecin militaire au sein de la Gendarmerie nationale, à Bordeaux, tout en s’efforçant de venir en aide aux personnels de la Défense victimes d’abus de pouvoir. Marc Lemaire, militaire actuellement en situation de non-activité, mène des recherches en Histoire militaire tout en entretenant une activité de médecine d’urgence auprès des sapeurs-pompiers volontaires des Bouches-du-Rhône. Même si, malgré les nombreux coups de boutoir encaissés dans la plus parfaite injustice, ils ont pu réorganiser leur quotidien et, surtout, conserver leur vocation au service de la Nation et des personnes en situation de détresse, nous souhaitons qu’ils soient évidemment réintégrés dans leurs droits. Les deux Gendarmes qui avaient dénoncé le scandale de l’arsenal de Toulon, après les déconvenues de carrière que nous savons, ont dû à la bienveillance et au bon sens de notre ministre de la Défense d’être réhabilités pour l’un d’entre eux qui a bénéficié d’un avancement rétroactif, le second étant déjà parti à la retraite sur sa demande. Ce serait à présent le tour de ces deux médecins militaires qui, au prix de leurs propres carrières, se sont battus pour ne jamais trahir leurs engagements d’officier et de praticien.

1 Lemaire Marc, Lewden Stéphane, Paillé Dominique, Le Service de santé des armées : la face cachée. Corruption, abus de pouvoir, omertà… avenir, L’Harmattan, Paris, 2002, 225 pages (21 euros).

À lire également