La gueule de bois (Par Jacques BESSY, Président de l’Adefdromil)

Dans l’éditorial de la revue d’Armée Media n°5 datée de janvier 2013 consacré à notre descente « glorieuse » au Mali, j’avais osé tirer la sonnette d’alarme sur « l’enthousiasme et l’euphorie du bon déroulement de l’opération » qui risquait « de nous faire manquer d’humilité et de réalisme ». ((La guerre en rose))

Aujourd’hui, nous avons accompli notre devoir et nous pouvons en être satisfaits. Certes nos alliés européens et américains, nous ont donné un bon coup de main logistique, mais nous nous sommes trouvés un peu seuls avec nos alliés tchadiens et maliens à mener la guerre dans le désert.

La chevauchée est donc terminée. Les djihadistes de l’Adrar des Iforas, souvent des adolescents, sont morts, prisonniers pour quelques uns ou en fuite.

Nous avons appris depuis que tout ne s’était pas aussi bien passé que ce que laissait entendre les communiqués triomphants des premiers jours : une logistique particulièrement tendue tant pour l’eau – on serait passé pas loin d’un grave problème – que pour le carburant, des équipements défaillants comme les chaussures inadaptées aux conditions désertiques, des effectifs atomisés pour être mutualisés au risque d’affaiblir la cohésion des unités. Heureusement, que l’adversaire était ce qu’il était et que nous avions les drones, l’aviation, les hélicos, l’artillerie !

Au 20 mars, on comptait officiellement : 4 morts (6 malheureusement depuis), et 199 blessés, dont 62 dans des actions de combat.

Bientôt, il ne restera que 1000 hommes environ, pour veiller à ce que l’incendie ne redémarre pas.

Pour les autres, le retour sur le sol métropolitain va s’accompagner d’une sérieuse gueule de bois.

Louvois continue de faire gaiement des siennes, en dépit du ministère bien tenu que M. Jean Yves Le Drian avait découvert à son arrivée. 106 millions d’euros de trop-perçus devront être  reversés par 65 000 militaires. N’aurait-on pas pu faire grâce du remboursement à ceux qui ne sont redevables que de quelques centaines d’euros au titre de la compensation légitime que leur causent les dysfonctionnements du logiciel de paye ?

Vue depuis le siège de l’Adefdromil, la gestion des ressources humaines des armées nous parait toujours aussi ubuesque.

Il y a ceux qui aimeraient bien quitter l’uniforme, mais qu’on retient souvent moins pour l’intérêt du service que pour montrer qu’on dispose du pouvoir de dire NON, conféré par la loi.

Il y a ceux qui aimeraient bien rester, mais dont la hiérarchie veut se débarrasser à tort ou à raison.

Il y a encore les gendarmes moyennement notés et qui, de ce fait, ne peuvent obtenir aucune mobilité pour convenances personnelles. Ils sont comme les serfs du Moyen-âge, attachés au fief du seigneur.

Il y a aussi  les militaires féminins  toutes armées et services confondus, souvent victimes de harcèlement moral ou de mesures discriminatoires, soit qu’elles aient été affectées dans des postes inadaptés pour elles, soit qu’elles aient repoussé des tentatives de séduction d’un chef, soit qu’elles aient provoqué des réactions de rejet ou de jalousie en démontrant leurs capacités professionnelles.

Il y a encore, ceux qui Français ou étrangers, sont parvenus à se faire recruter malgré leurs insuffisances physiques, psychologiques et leur manque de motivation pour le métier des armes. A la recherche de revenus ou d’un titre de séjour, ils se retrouvent très vite à la dérive dans leurs unités : déserteurs, dépressifs, parfois manipulateurs, etc. Comment ont-ils été sélectionnés ? Ces erreurs répétées de recrutement ont un coût non connu, mais sans doute significatif.

Ce tableau humain n’est pas brillant. C’est pourtant une des réalités de l’armée française, celle que les parlementaires se refusent à voir et à comptabiliser. Peut-être considèrent-ils que c’est le prix à payer pour avoir de bons petits soldats prêts à partir en intervention.

Sur le plan des moyens, le livre blanc sur la défense doit être lu « entre les lignes », nous dit un journaliste. Il n’annonce rien de bon : 24 000 personnels en moins d’ici 2019, qui ajoutés aux 10 000, dont le départ est déjà prévu, vont déclasser l’armée française. Quelle est dès lors la valeur de la promesse présidentielle de ne pas toucher au budget de la défense ? Fallait-il comprendre qu’elle était faite… à effectifs constants ou qu’elle faisait partie « des promesses qui n’engagent que ceux qui les reçoivent » ?

L’exercice a cependant le mérite de tirer non seulement les conséquences de la crise économique et financière mondiale, mais aussi du fait que la France et son armée ont vécu au dessus de leurs moyens pendant plusieurs décennies. Notre recul militaire était programmé. Il n’est que le résultat de l’incapacité de notre pays à se réformer sur le plan économique et budgétaire.

Dans le livre blanc, un modeste paragraphe est consacré à la condition militaire. Il comprend deux volets.

D’une part, on nous annonce « un dispositif adapté de reconversion du personnel ».

Actuellement, la reconversion n’est pas un droit. Elle est toujours accordée sur demande « agréée ». Il nous paraitrait juste que ceux qui ont servi sous l’uniforme puissent bénéficier d’un droit réel à une formation professionnelle après cinq années de services. Si telle est l’intention de l’Etat, nous y sommes favorables. Il faut dans cette perspective unifier les critères de sélection, différents selon chaque armée, pour l’accès à la reconversion. Nous recevons des militaires qui n’ont pu obtenir de stage de formation professionnelle, faute de financement, ou même en raison parfois du dilettantisme de la cellule « reconversion » de leur unité. Il faut également mettre en place des organes de concertation garantissant une réelle transparence dans l’octroi des aides au départ. Ainsi, la Marine, depuis plusieurs années a quasi systématiquement proposé des renouvellements de contrat –refusés par les intéressés- non pas pour pourvoir à son encadrement, mais pour faire perdre tout droit à l’indemnité de départ des personnels non-officiers (IDPNO) aux militaires réunissant par ailleurs les conditions pour obtenir cette aide. Pourquoi leurrer les militaires de cette manière ?

D’autre part, il est dit qu’il va être procédé à « la rénovation des instances de concertation militaire». Ce n’est pas une rénovation qui est nécessaire, mais bien une révolution, qui devrait être entreprise. Acceptera-t-on, par exemple que des commissions de type paritaire proposent et contrôlent l’attribution des aides au départ et l’accès à la reconversion annoncés ? Qu’il nous soit permis de douter de la volonté réformatrice en attendant de connaître le détail du projet.

Et puis surtout, la France va mal. La fracture sociétale s’élargit. Elle accentue les différences sociales, culturelles et religieuses. Elle s’en sert même pour mieux diviser les Français. Tout comme les Américains, qui découvrent avec stupeur que leurs terroristes ont été élevés chez eux, nous pouvons craindre des répliques du séisme « Merah ».

Il faut donc rester vigilant, et ne pas se laisser influencer par les extrémistes de tout bord, qui pousseraient volontiers à des amalgames contraires aux valeurs, au nom desquelles nous sommes intervenus au Mali.

L’outil militaire même réduit doit rester le symbole de l’unité du pays, le creuset qui unit les Français, ou du moins ceux  qui croient encore dans les valeurs républicaines, malgré leurs différences.

                                                                                                   Jacques BESSY, président de l’Adefdromil

1er mai 2013

 

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