Intervention du Premier ministre lors de la « 61e session nationale de l’Institut des hautes études de la défense nationale » le 6 février 2009

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Messieurs les officiers généraux,

Mesdames et Messieurs les auditeurs,

C’est évidemment avec un plaisir renouvelé que j’accueille cette 61ème session de l’IHEDN, et je voudrais directement vous dire au fond, dans quel état d’esprit je voudrais m’adresser à vous, en formulant devant vous une conviction qui est pour moi très ancienne : je pense que le visage de notre nation dépend très largement de sa politique étrangère et de défense. Quand notre pays est rayonnant, quand il est respecté hors de ses frontières, alors il est sûr de lui-même et il est ouvert sur l’avenir ; quand en revanche, il est paralysé ou qu’il est écarté des affaires du monde, alors, il verse dans les querelles internes et dans le déclin.

Cet acte de foi en faveur d’une France ouverte sur les desseins du monde, je l’oppose à un double risque que fait peser aujourd’hui sur nous la crise économique et financière actuelle : le risque de céder au vertige du protectionnisme ou celui de basculer dans la peur de l’avenir.

Ce qui se joue aujourd’hui, c’est le sécurisation de nos systèmes financiers et c’est la relance de nos économies, mais en même temps, c’est aussi une certaine conception de la mondialisation, et a fortiori, une certaine idée de la France sur la scène internationale.

Plus les enjeux internationaux sont aigus, plus je crois à la force de la raison démocratique. Cela me donne l’occasion de dire un mot de la réforme constitutionnelle qui a été adoptée par le Congrès le 21 juillet dernier, réforme qui permet d’engager un très profond rééquilibrage, en tout cas le plus profond depuis l’élection au suffrage universel direct du président de la République, des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif. Du « domaine réservé », apanage historique de l’exécutif, nous sommes passés à un domaine partagé avec le Parlement, incarnation de la souveraineté nationale. Je pense que tout le monde n’a pas encore mesuré l’importance de ce changement, de cette petite révolution dans les habitudes politiques de notre pays depuis la Vème République, et à lire les commentaires des uns et des autres sur la modestie de cette avancée, j’ai envie de rappeler d’où nous venons. J’ai été élu parlementaire en 1981. Je reconnais que c’était une période un peu particulière, mais en 1981, les chefs d’état-major n’avaient pas le droit de venir devant les commissions parlementaires. C’était interdit, au moins pendant les premiers mois. Après, ça s’est détendu. Et pour que l’opposition rencontre les chefs d’état-major, nous organisions des rendez-vous secrets- ce qui veut dire d’ailleurs que déjà les chefs d’état-major désobéissaient -, et nous nous rencontrions dans des appartements privés où chacun venait en civil. Et puis, progressivement s’est instaurée une espèce d’institution clandestine, approuvée par le pouvoir en place, qui permettait aux parlementaires de l’opposition de rencontrer, avec des responsables de la majorité, les chefs d’état-major ; ça se passait dans une villa de Marne-la-Coquette, qui est une villa historique puisqu’elle a accueilli le commandant en chef des forces américaines en Europe, le Général Eisenhower, après la Seconde guerre mondiale, et tout ceci se déroulait sous l’autorité bienveillante du propriétaire de cette villa qui était le président de l’association des anciens élèves de l’IHEDN, Pierre SCHWED, qui après avoir tenté, pendant des années, de rapprocher la gauche de la politique de défense de la Vème République, voulait, la gauche étant au pouvoir, permettre à l’opposition d’alors de poursuivre ce dialogue démocratique. Je me souviens aussi d’avoir, jeune parlementaire, peut-être un peu moins jeune déjà, proposé qu’il y ait une sorte de droit de regard du Parlement à travers un select commitee comme dans les parlements anglo-saxons sur les questions de renseignement et la politique que conduisait la France dans ce domaine. Je me souviens, à l’époque, des réactions, et de la violence des réactions, dans les deux camps d’ailleurs, devant cette proposition qui témoignait certainement d’une « tendance trotskiste » de ma part, et qu’il a fallu près de 15 ans pour finalement mettre en œuvre. Voilà d’où nous venons, et voir aujourd’hui le Gouvernement venir devant le Parlement, pour lui demander l’autorisation de poursuivre, par exemple, les opérations extérieures au bout d’un certain nombre de mois, c’est une véritable révolution dont progressivement on va mesurer l’impact sur l’ensemble du débat, sur les questions de défense.

J’ai d’ailleurs eu déjà l’occasion, vous avez pu le constater, deux fois depuis la réforme constitutionnelle de présenter la politique du Gouvernement au Parlement sur l’Afghanistan en septembre dernier, et la semaine dernière, sur l’ensemble de nos opérations à l’extérieur.

Alors pourquoi est-ce que nous avons voulu cette évolution institutionnelle ?

Tout simplement d’abord, parce que la France a changé, que la société française a changé, parce que la Guerre froide est terminée. Et que la dissémination des risques et de menaces nous commande à la fois d’agir davantage et en même temps d’agir de façon très différente. Parce que notre politique extérieure et de défense ne relève pas que des seuls décideurs et des seuls experts, mais doit être l’affaire de tous. Et nous rejoignons ici la question du lien entre la Nation et son armée, et, a fortiori, entre la Nation et sa politique étrangère. Ce lien auquel, vous les auditeurs de l’IHEDN, vous contribuez directement, il doit être entretenu et enrichi.

Et c’est d’autant plus nécessaire, que le paysage géopolitique est traversé par des défis complètement nouveaux.

Il y a le défi de la gouvernance mondiale, qui doit faire désormais place aux puissances émergentes. Vous savez que c’est un des combats que la France mène avec détermination et dont la difficulté montre à quel point il est difficile de faire évoluer les positions des uns et des autres, et finalement l’état d’esprit général. Comment, en effet, peut-on comprendre que la Chine, l’Inde, les grands pays d’Amérique latine soient écartés de la gestion des affaires du monde et en particulier, de cette réunion du G8 qui est censée prendre les grandes orientations sur les affaires du monde et sur son économie ? Comment continuer à imaginer qu’il n’y ait aucun pays africain, qu’il n’y ait aucun pays représentant le monde arabe, qui participe à l’élaboration de ces décisions ?

Il y a le défi des équilibres naturels. Celui du climat, celui de l’énergie, de l’eau, trois enjeux qui sont accentués par celui de la démographie.

Il y a le défi de la dissémination des armes nucléaires ; défi qui légitime plus que jamais notre stratégie de dissuasion.

Et puis il y a enfin un défi intellectuel et moral. Dans un monde qui est caractérisé par la perte des repères, nous sommes collectivement appelés à bâtir une ligne de progrès face au radicalisme politique et spirituel.

Mesdames et Messieurs,

Certains d’entre vous reconnaîtront peut-être l’introduction d’un livre publié trois ans après la crise de 1929 : « L’incertitude marque notre époque. Tant de démentis aux conventions, prévisions, doctrines, tant d’épreuves, de pertes, de déceptions, tant d’éclats aussi, de chocs, de surprises ont ébranlé l’ordre établi ».

Il s’agit du livre du commandant de Gaulle, « Le fil de l’épée ».

Comment mieux résumer la période charnière que nous sommes en train de vivre ?

On a parlé pendant dix ans des avantages et des inconvénients de la mondialisation.

Le sujet n’est plus là.

La crise financière et économique marque la fin d’un cycle. Il y aura un « avant » et un « après » cette crise. Il y aura des nations à terre, des nations exsangues, des nations déclassées. Et il y aura des nations qui auront fait face, qui auront refusé la facilité et qui auront mené des réformes courageuses. Il y aura une modification de la hiérarchie des puissances parce que les conséquences de la crise déborderont très largement la sphère économique.

Dans ce contexte, l’élection du nouveau Président américain, est évidemment un paramètre majeur.

Nous ne sommes pas naïfs, nous savons naturellement que Barack Obama a été élu pour défendre les intérêts de son pays.

Mais nous savons que le monde a besoin d’une coopération plus étroite entre les Etats-Unis et l’Europe ; et l’arrivée de Barack Obama rend possible – en tout cas c’est notre espoir – cette nouvelle collaboration qui doit être à la source d’une diplomatie moins unilatérale.

Ce nouveau contexte créé par la crise économique et par le changement de ligne aux Etats-Unis, est le point d’orgue d’une profonde évolution du système international depuis près de trois décennies.

De la chute du Mur de Berlin à la faillite de Lehman Brothers, en passant par l’émergence de la Chine, de l’Inde, par la révolution de l’Internet, par le troisième choc pétrolier, par le 11 septembre, l’Irak, l’Afghanistan, on peut dire, pour résumer les choses d’une formule simple, que tout a changé.

Les paramètres de la sécurité nationale et internationale ont évolué. Et dans ce contexte, la France doit demeurer une puissance politique et militaire, dans un monde qui n’est pas plus dangereux – franchement, cette formule qu’on entend régulièrement selon laquelle le monde serait plus dangereux, ça fait se remuer dans leurs tombes nos ancêtres qui ont connu un 20ème siècle et un 19ème siècle et un 18ème siècle dont on ne peut dire qu’il était moins dangereux que le monde que nous connaissons aujourd’hui. Donc, il n’est pas plus dangereux mais il est moins stable, il est moins prévisible et il est plus complexe.

Un monde où le spectre des menaces s’est considérablement élargi. Je veux en citer quelques unes : le délitement de certains Etats. Regardez la difficulté que nous avons avec la piraterie en Somalie ; elle est directement liée à l’absence totale d’Etat. Les affrontements ethniques et culturels, le fanatisme religieux, les crises sanitaires, les catastrophes naturelles, les attaques informatiques, la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, la vulnérabilité des approvisionnements énergétiques et alimentaires : ces dangers ne relèvent plus exclusivement de l’action militaire traditionnelle, mais il faut les intégrer dans notre réflexion stratégique.

C’est ce que nous avons fait avec le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Notre doctrine n’avait pas été réactualisée depuis 1994, c’est-à-dire depuis une époque où le Pacte de Varsovie venait à peine de disparaître et qui n’était pas encore stabilisée quant à ses conclusions stratégiques.

Nous avons décidé d’inscrire nos choix dans le cadre d’une « stratégie nationale globale », qui associe étroitement la sécurité et la défense.

Nous avons érigé au rang des priorités une nouvelle fonction, la fonction « connaissance – anticipation », qui vise à nous donner le préavis nécessaire à l’action. Il nous faut maintenir développer un dispositif de veille technologique poussé, pour faire face à l’imprévisibilité de la menace.

Il nous faut accroître notre résilience. Il nous faut renforcer la capacité de réaction des pouvoirs publics en cas de crise.

Après avoir réussi sa professionnalisation, notre outil de défense doit adapter ses capacités opérationnelles à ce nouveau contexte géostratégique.

C’est ce que nous avons commencé à faire. Et nos objectifs sont très clairs :

Il s’agit d’adapter nos capacités opérationnelles aux nouveaux enjeux.  

De réorganiser les soutiens, notamment en créant 90 bases de défense pour réduire la dispersion du stationnement.  

Et enfin rationaliser l’administration, en interarmisant – j’avais essayé d’obtenir de mes collaborateurs qu’ils trouvent une formule qui soit française, il paraît que ce n’est pas possible – et en mutualisant certains services.

Nous ne sommes pas les seuls à devoir progresser. L’Europe elle aussi doit avancer dans sa quête de sécurité intérieure et extérieure. Je sais que vous y réfléchissez puisque c’est le sujet que nous vous avons confié. L’Europe ne peut être un géant économique, et demeurer un nain diplomatique et militaire. Ce n’est pas en tout cas ma conception de l’Europe ! La Présidence française de l’Union nous a permis de faire progresser les choses.

Notre objectif était de renforcer la capacité d’action concrète de l’Union par le développement des capacités militaires mais aussi civiles des Européens. Nous avons trouvé un accord avec nos partenaires pour créer à Bruxelles une capacité de planification stratégique qui disposera d’une composante déployable. Tout ceci permettra naturellement d’améliorer la réactivité de l’Union européenne.

Nous sommes parvenus à un accord entre partenaires intéressés sur des projets de coopérations pilotes et des mutualisations entre Etats membres. Je veux citer :

la création d’une flotte de transport aérien stratégique ;

le rapprochement des formations militaires sous la forme d’un « Erasmus militaire »

ou encore le lancement du programme MUSIS de satellite d’observation militaire tout temps.

Nous avons ouvert ces projets aux seuls Etats volontaires. Et c’est peut-être une voie d’avenir pour le fonctionnement de l’Union européenne dont l’élargissement va se poursuivre. Pour échapper à la paralysie et à l’enlisement, nous avons privilégié une Europe de la coopération à géométrie variable, une Europe porteuse de réels progrès capacitaires.

L’ouverture des marchés nationaux d’armement, pour créer un véritable espace européen d’échange d’équipements de défense, va progresser au moyen de deux directives européennes qui seront très bientôt adoptées. En matière de moyens civils européens de gestion des crises et des situations post-conflits, à l’horizon 2010, une centaine de spécialistes pluridisciplinaires pourront être projetés sur les théâtres d’opérations, et 10 500 experts seront susceptibles d’intervenir dans un second temps pour la gestion civile des crises. Certains d’entre vous feront peut-être partie de ces experts.

Enfin, notre présidence aura permis de lancer trois nouvelles opérations qui ont leur importance :

   la mission civile d’observation en Géorgie lancée dans des temps record ;

   l’opération militaire ATALANTE, contre la piraterie au large de la Somalie. Je veux d’ailleurs souligner à ce sujet que la France a été le premier des grands pays occidentaux à réagir à cette piraterie que chacun avait fini par accepter comme inéluctable. Et c’est pour moi l’occasion de rendre hommage à l’efficacité et au courage des forces françaises qui, à plusieurs reprises, trois ou quatre maintenant, ont montré cette capacité qui a impressionné l’ensemble des autres forces de défense et qui a permis d’engager cette coopération qui débouche aujourd’hui sur l’opération ATALANTE.

Et puis l’opération civile « Eulex Kosovo » dans un contexte politique et juridique, qui vous le savez, est extrêmement délicat.

Dans le domaine de la défense, l’Europe n’avait pas connu autant d’avancées comparables depuis le traité de Nice.

Pour autant, j’estime que depuis les accords de Saint-Malo, l’Europe de la défense est restée très en deçà de ce qu’elle devrait être. La raison en est simple, et vous la connaissez parfaitement : pour nos principaux partenaires européens, un pas de plus vers l’Europe de la défense, c’est un pas en arrière vis-à-vis de l’OTAN.

Avec le Président de la République, nous avons engagé une politique à l’égard de l’OTAN pour essayer de débloquer cette situation.

Nous sommes prêts à faire un pas supplémentaire vers l’OTAN, dès lors que des garanties sérieuses nous seront données, et dès lors qu’en parallèle, l’Europe de la défense sera renforcée.

C’est un sujet difficile, c’est un sujet délicat, qui doit être débattu avec raison, et pour cela, il convient de rappeler les faits.

D’abord, le premier de ces faits que je voudrais rappeler, c’est que nous sommes membres de l’Alliance atlantique et que nous en sommes membres depuis l’origine et que nous ne l’avons jamais quittée.

Depuis plus de dix ans, nous sommes même revenus au comité militaire. Nous sommes déjà présents à part entière dans la plupart des formations internes de l’OTAN.

L’OTAN et les Etats-Unis ont admis – c’est vrai que ça n’a pas été facile mais c’est fait -, l’apport que représenterait une Europe de la défense plus forte et plus performante.

La France milite pour une OTAN plus souple, plus flexible, aux côtés d’une Europe plus apte à assumer ses responsabilités.

C’est dans cet esprit que nous envisageons la révision du concept stratégique de l’OTAN qui devrait débuter avec le prochain sommet qui se tiendra à la fois en France et en Allemagne.

Aujourd’hui, la France est ouverte, à condition que nous obtenions des garanties, à retrouver toute sa place dans le dispositif militaire de l’Alliance atlantique. Mais en toute hypothèse, le France ne renoncera jamais à sa totale liberté d’appréciation sur l’envoi de ses troupes en opération et naturellement à l’autonomie de sa dissuasion nucléaire. Et elle ne placera en aucune façon, de manière permanente, des contingents militaires sous commandement de l’OTAN en temps de paix.

Mesdames et Messieurs,

Vous savez que le projet de loi de programmation militaire pour la période 2009-2014 a été déposé au Parlement. Son vote dans les prochaines semaines marquera également une étape très importante.

Cette loi déclinera les cinq grandes fonctions stratégiques telles qu’elles ont été définies par le Livre blanc : la connaissance et l’anticipation, le renseignement, la protection du territoire, la dissuasion, l’intervention, et la prévention.

Elle intégrera les dispositions du plan de relance de l’économie qui concernent la défense. Le ministère de la Défense a en effet été autorisé à injecter, en urgence, 2,5 milliards d’euros afin de soutenir les entreprises du secteur. Sur cette enveloppe, 1,4 milliard d’euros seront directement consacrés à l’équipement des forces.

Le Livre blanc, la Revue générale des politiques publiques, la loi de programmation militaire, ces trois dispositifs poursuivent un objectif identique : celui de la modernisation de notre outil de défense et de sécurité.

Cette mutation est décisive et l’IHEDN, comme vous venez, mon général, de le rappeler va y contribuer fortement.

A la suite du rapport d’Alain Bauer au Président de la République, le paysage des instituts de défense et de sécurité va être réorganisé autour de deux pôles : un pôle « défense-affaires étrangères » et un pôle « sécurité intérieure ». Cette réforme renforcera les synergies entre les différentes structures existant actuellement. Elle enrichira le lien indispensable entre les armées, la recherche académique et la société civile.

L’IHEDN constituera le « pôle défense-affaires étrangères » et s’enrichira d’une véritable filière « armement » en fusionnant avec le Centre des hautes études de l’armement. Il embrassera ainsi à l’avenir toutes les facettes de la défense, aussi bien stratégiques qu’économiques et industrielles. Il y gagnera encore en rayonnement.

Mesdames et Messieurs,

En tant qu’auditeurs de l’IHEDN, vous êtes aux avant-postes des grandes mutations stratégiques de notre temps, à la fois pour les penser et pour les conduire.

Vous êtes les ambassadeurs d’un idéal, celui d’une nation qui met son armée et sa diplomatie au service de notre sécurité et de la liberté dans le monde.

En vous recevant ici, je veux vous remercier pour votre engagement au service de cet idéal que nous avons en partage.

Source: Site Premier Ministre

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