Le ministère de la Défense est-il un ministère bien tenu ? (Par Jacques BESSY, président de l’Association de Défense des Droits des Militaires)

NDLR : Au moment de la finalisation de cet article, le rapport de la Cour des comptes sur le bilan à mi-parcours de la loi de programmation militaire n’était pas encore publié. Ce document conforte le point de vue de l’Adefdromil qui s’appuye sur de nombreux témoignages.

Après ses déclarations le 6 juillet dernier devant le Conseil Supérieur de la Fonction Militaire(CSFM), selon lesquelles, il n’y aurait pas de réductions d’effectifs supplémentaires et de remise en cause de la loi de programmation en cours, le ministre de la Défense, M. Jean Yves Le Drian doit rapidement indiqué si l’analyse de la Courdes comptes change la donne.

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D’une manière générale, j’ai trouvé un ministère bien tenu, aux personnels compétents, tous républicains, et d’abord au service de la Nation ». Jean Yves Le Drian. 21/06/2012.

Passons sur les soldats républicains.

Ainsi, nous ne savions pas qu’il aurait pu y avoir dans les armées des militaires royalistes ! De quoi confondre militaires et militants. L’agrégé d’histoire craignait-il, en arrivant à l’hôtel de Brienne, de trouver sous l’uniforme des grognards, un peu bonapartistes ? En définitive, si « républicain » signifie simplement « respectueux des lois et discipliné », le qualificatif nous paraît incongru.

Passons aussi sur les personnels compétents. S’agit-il des petites mains ou bien de l’entourage du Ministre ?

Alors, en cette veille de 14 juillet où la Nationest censée admirer et complimenter l’Armée française, qu’est-ce donc qu’un ministère bien tenu ?

Sans avoir suivi les Universités d’été de La Rochelle, on pourrait dire qu’il s’agit d’un ministère dans lequel les personnels sont payés en temps et heure de leur dû, d’un ministère dans lequel le pilotage budgétaire, notamment celui des rémunérations est fiable.

Hélas, hélas, hélas ! Rien ne va plus au ministère de la défense à quelques heures de la Fête nationale et du premier défilé du 14 juillet de l’ère Hollande.

Les graves dysfonctionnements un temps camouflés avant les élections, sont toujours présents. Le ministre en est-il conscient ?

Quelques exemples pris parmi les nombreux messages reçus à l’Adefdromil :

3394,67 € au mois de mai, c’est la solde nette d’un officier, qui espère la régularisation en juillet, donc avec deux mois de retard, du paiement des indemnités de service en campagne qui lui sont dues au titre des six derniers mois ! En revanche, le montant  imposable du mois n’a pas attendu la régularisation. Il s’affiche à 46510,90 € sur le bulletin de solde de mai. Le montant imposable de l’année, passe allègrement quant à lui de 11184,17 € en avril à 57695,07 € en mai.

Pour un autre militaire, le montant imposable s’élève à 43000 € … La moyenne se situerait dans cette unité aux alentours des 11000 € imposables ne correspondant à aucun versement réel. Le record aurait été atteint par un autre officier : 50000 euros !

Heureusement, les services de Nancy (centre expert des ressources humaines de l’armée de terre CERH et centre interarmées de la solde CIAS) sont en mesure de fournir l’explication : Bug informatique Concerto ? Louvois ? Les deux ? Régularisation prévue en septembre !

Que penser également de la situation de cet officier sous contrat recruté parmi les sous-officiers de carrière ? Il a bien gagné son recours en 2011 le maintenant à l’indice détenu précédemment. Depuis 2008, on lui doit, semble t’il près de 30000 euros selon le décompte opéré par le service de sa base de défense. A ce jour, ses demandes de régularisation sont restées vaines.

Et puis, il y a le cas des petits, des modestes, des sans grades. Le caporal S se bat avec Louvois, un peu comme Don Quichotte contre les moulins à vent. Net à payer de 121,75 euros en janvier, de 435,07 euros en février, de 572,12 euros en mars, de 680,48 euros en avril. Son compte est dans le rouge depuis plusieurs mois et le caporal ne sait pas quand la régularisation attendue interviendra. Peut-être avant la fin de son contrat en octobre ?

Revenons un instant sur les personnels compétents, ceux dont un humoriste a dit qu’ils font du bruit…

Il se murmure que les contrôleurs généraux, après avoir été incapables de résoudre le problème SIRHs-Louvois par sous-fifres et prestataires de service interposés, cherchent à s’en débarrasser en le refilant au commissariat devenu interarmées. Courage fuyons !

Alors, ministère bien géré ou ministère à la dérive ? Le pacha breton ne pilote rien du tout, et le navire continue sur son erre, comme on dit dans la Royale(encore elle !). L’écueil n’est plus très loin.

Faut-il rappeler que la Courdes comptes vient d’épingler la gestion de l’Ecole polytechnique et que voici un an environ le Service de santé en prenait autant pour son grade. Les exégètes de la pensée du guide suprême se souviendront néanmoins que le Président n’a pas mesuré ses louanges au Service de santé lors de sa visite aux blessés à l’hôpital Percy.

Doit-on dire aux troupiers et au peuple que la direction des affaires financières du ministère n’est pas en état de restituer à Bercy la dépense budgétaire des rémunérations depuis plus d’une année, depuis la solde d’avril 2011 très exactement ? Ce n’est même plus du pilotage à vue, mais bien du vol sans visibilité et sans instruments. On pratique ainsi des évaluations à la louche en forçant « à la petite main » les lignes comptables dans le logiciel interministériel Chorus.

Ainsi, en est-il du compte d’affectation spéciale (CAS) des pensions. Il s’agit des fonds provenant de Bercy pour que le ministère de la défense puisse payer « ultérieurement »… à Bercy (!) la part patronale des cotisations pour pension de retraite de ses agents, trois fois rien : à peu près 120% des soldes de base. Les sommes sont bien arrivées au ministère de la défense, mais depuis avril 2011, cette masse de trésorerie est plus que volatile… Il nous est rapporté que l’inspection générale des Finances s’en émeut.

Enfin, la réserve centralisée de trésorerie des armées (RCA) s’amenuise et devrait être épuisée au début de l’automne, en admettant qu’aucune opération militaire autant réelle qu’inopinée ne soit déclenchée d’ici là.La RCAsert en effet depuis plus d’un an à renflouer les trésoreries militaires physiquement placées sur les théâtres d’opérations extérieurs, car il s’agit de colmater les brèches créées par le versement de premières fractions de solde… non remboursées par le CIAS de Nancy, faute d’états comptables exploitables.

On va avoir du mal à rallumer le chauffage à l’automne. Il risque de faire froid dans les casernes cet hiver !

Et vous avez dit : un ministère bien tenu, Monsieur le Ministre ?

Quant à la résilience républicaine des grognards de plus en plus grognons face à une telle débâcle, c’est à chacun de s’en faire une idée ! On n’aura peut-être pas besoin d’attendre quatre ans, comme sous Jospin, pour voir des militaires manifester dans la rue. Une République normale, quoi !

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