L’affaire Noël : la honte

Le mercredi 10 octobre 2001, rien ne laissait prévoir que la vie du sergent Thierry NOEL basculerait sur un champ de tir d’entraînement du camp de Caylus suite à un ordre surprenant autant qu’illégal de son commandant d’unité. l’Adefdromil est aujourd’hui en mesure de révéler ce qui s’est passé réellement et les interrogations que suscite le traitement de ce dossier par le commandement.

LES FAITS

Le 10 octobre 2001, au camp d’entraînement de Caylus, le sergent NOEL commandait une série d’une dizaine de tireurs au fusil tandis que son commandant d’unité, le capitaine M.A. organisait un tir au lancer de grenades offensives. Le tir au fusil achevé et les mesures de sécurité exécutées, toute la série était encore au résultat lorsque le sergent a entendu les lanceurs de grenades plaisanter en disant « fais gaffe, on est armé ! ». A cela le sergent a répondu sur le ton de la plaisanterie également : « que de la gueule ! ». Cet échange aurait du en rester là. Hélas non !

Le sergent NOEL remonte le champ de tir avec sa série pour regagner l’aire de repos. Lorsqu’il arrive à proximité d’une tranchée de tir située à une vingtaine de mètres des lanceurs de grenades en position d’attente. Soudain il entend « grenades » !

En voyant les grenades arriver, le sergent NOEL se plaque au sol en cherchant désespérément à se protéger. Il ne porte pas le casque lourd. Une grenade tombe sur sa jambe droite et brûle son treillis à l’explosion, une autre tombe à hauteur de sa tête et lui éclate un tympan. Il est, bien évidemment, polycriblé sur tout le corps.

Sur les lieux du drame, il n’y a aucun médecin ni infirmier. Ceux-ci arrivent un peu plus tard pour prodiguer les premiers soins au sergent NOEL qui est évacué par hélicoptère sur l’hôpital de MONTAUBAN. Il subit durant 8 heures une intervention chirurgicale.

Selon le sergent NOEL, dans la soirée du 10 octobre 2001, le capitaine M. A., commandant d’unité, vient lui rendre visite aux urgences de l’hôpital pour l’informer qu’il a rendu-compte au Chef de Corps de l’ « accident », que celui-ci ne pouvait pas venir le voir car il était très occupé et surtout pour lui demander d’accréditer une « version officielle » des faits. A ce moment précis, le sergent NOEL, sous l’emprise de la morphine qui lui a été administrée toutes les vingt minutes, pendant sa prise en charge, n’est pas dans son état normal. Toutefois, il se souvient bien avoir entendu le capitaine lui dire « de ne pas s’inquiéter et qu’ils s’occupaient de tout concernant sa prise en charge ».

La « version officielle », pour protéger certainement la réputation du régiment et les lanceurs de grenades, voulait que durant la progression du groupe, le commandant d’unité ait donné l’ordre de s’agenouiller et de lancer les grenades sur les cibles. Après explosion, le capitaine aurait ordonné la reprise de la progression quand, en traversant une tranchée, une grenade ayant fait long feu, explosa au passage du sergent.
C’est un caporal-chef qui, dans la soirée, prend l’initiative d’avertir Madame NOEL de l’incident. L’usage aurait voulu que ce soit le chef de corps ou le commandant en second et à défaut, un officier. Néanmoins, le capitaine M.A. fait téléphoner son épouse pour rassurer Madame NOEL.
Le 12 octobre 2001, le sergent NOEL est évacué sur l’hôpital de Bayonne afin d’être rapproché de sa famille.
Le 15 octobre, un caporal-chef se rend à l’hôpital de Bayonne pour lui faire signer ce fameux faux compte rendu sur le déroulement des faits. Le document est entièrement rédigé à la main par une tierce personne. Toujours sous l’effet des médicaments, et dans un très mauvais état psychologique le sergent NOEL signe ce fallacieux document.

Mais l’article 312-2 du code pénal semble ici s’appliquer : « l’extorsion est punie de dix ans d’emprisonnement et de 1 000 000f d’amende lorsqu’elle est commise au préjudice d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur »

Du 26 octobre au 9 novembre, NOEL subit à l’Hôpital Militaire une 2ème opération pour le polycriblage. Le 3 décembre 2001, il reprend le travail. Traversant la cour de la caserne, il est ridiculisé par ses camarades qui ont eu connaissance uniquement de la version « officielle » ou d’une autre version laissant croire que le sergent aurai fait une erreur de manipulation avec une grenade. Constatant qu’aucun rapport circonstancié n’est établi, le sergent NOEL demande communication des rapports rédigés après l’accident. Aucun document ne peut lui être présenté. Il comprend subitement qu’il a été berné par son capitaine. Ne supportant pas les quolibets, il sombre dans la dépression.

Hospitalisé, NOEL raconte son histoire à son médecin traitant. Abasourdi par ses révélations , le médecin de l’hôpital avertit immédiatement le médecin-chef du 1er RPIMA qui rendra compte sur-le-champ au Chef de corps. A partir de ce moment là, nous assistons à une gestion anormale de ce dossier par l’autorité militaire de premier niveau ; et une enquête judiciaire est ouverte sur plainte du sergent NOëL.

UNE GESTION ANORMALE DU DOSSIER

Pour l’Association de Défense des droits des militaires, les auteurs et la victime des faits ont des droits et le commandement est tenu de respecter certaines règles fixées par la loi et les règlements.

Il ne fait aucun doute que c’est de la capacité du chef à gérer et sanctionner avec objectivité, impartialité et équité qu’une affaire connaît ou ne connaît pas de multiples rebondissements susceptibles de semer le trouble, voir le doute dans les esprits.

L’affaire NOëL est le type même d’une affaire particulièrement mal gérée. La culpabilisation systématique de la victime par l’autorité militaire de premier niveau est devenue tellement indécente qu’elle suscite à l’Adefdromil les interrogations suivantes :

– Le sergent NOëL a été grièvement blessé par l’explosion de munitions réelles sur le champs de tire de CAYLUS le 10 octobre 2001. Les circonstances de cet « accident » sont telles (version officielle ou version réelle) qu’une enquête gendarmerie devait être diligentée. Pourquoi la gendarmerie territorialement compétente n’a pas été saisie le 10 octobre 2001 ? Pourquoi les preuves matérielles ont été effacées (nettoyage du champ de tir, disparition du treillis du sergent NOëL) ?

– Une vingtaine de personnes dont deux officiers et plusieurs sous-officiers est impliquée dans cette affaire. Il est étonnant voir surprenant que le commandant de régiment, dont l’une des spécialités est le renseignement, ait pu être tenu dans l’ignorance de la réalité des faits durant deux mois.

– Avertie courant décembre des circonstances réelles de « l’accident », pourquoi l’autorité militaire de premier niveau n’a-t-elle pas informé le Procureur de la République des faits délictueux conformément à l’article 40 du code de procédure pénale ?

– La même question se pose au sujet de l’attitude de l’autorité de second niveau qui a déclenché une enquête de commandement. Une enquête de commandement est une mesure d’ordre intérieur qui n’exempte en rien l’autorité de second niveau de ses obligations d’informer le Procureur de la République conformément à l’article 40 du code de procédure pénale.

– Pourquoi le commandant d’unité n’a-t-il pas été, à titre de mesure conservatoire, suspendu d’emploi dés le 3 décembre 2001 ?

– Comment peut-on expliquer l’absence de tout personnel du service de santé lors d’une séance de tir aux munitions réelles ?

– Contrairement à ce qu’affirme l’autorité de premier niveau dans sa lettre adressée au CEMAT, le 19 janvier 2002, le sergent NOëL n’a pas été rapidement pris en compte par un médecin du corps. Pourquoi cette contre vérité ?

– Pourquoi la première sanction prononcée à l’encontre du commandant d’unité est-elle intervenue un mois après les faits ?

– Pourquoi cette sanction n’est-elle pas en adéquation avec la faute commise ? En effet, comment peut-on retenir le motif 504 « faute professionnelle, négligence ou imprudence pouvant occasionner ou entraîner une légère avarie ou un petit accident » lorsque l’on sait que la séance de tir s’est déroulée dans des circonstances anormales de sécurité ? Comment peut-on parler ici de « petit accident » alors même que le sergent NOëL a été polycriblé sur une grande partie du corps, qu’il a eu un tympan d’éclaté et que son oreille interne est endommagée ?

– Parmi les protagonistes de cette affaire, figurent un commissaire capitaine et plusieurs sous-officiers. Ces gradés pourtant qualifiés, ont exécuté un ordre illégal, ont lancé volontairement une grenade réelle en direction d’autres personnels et se sont abstenus d’intervenir pour faire cesser l’ordre démentiel qu’ils ont reçu. Ils ont méprisé en toute connaissance de cause, les règles élémentaires de sécurité. Ces mêmes gradés, se sont tus durant deux mois. Pourquoi ces gradés, aussi coupables que leur commandant d’unité bénéficient-ils d’une surprenante clémence de la part de l’autorité militaire de premier niveau ? En effet, ces gradés on été sanctionnés de 20 jours d’arrêts dont 10 assortis d’un sursis de 12 mois pour le motif 501 « faute professionnelle très grave, négligence ou imprudence très grave dans le service ayant entraîné accident de personne ou détérioration importante de matériel ».

– Pourquoi y a t il dans ce dossier une volonté manifeste de l’autorité de premier niveau à vouloir contenir cette affaire à son échelon ?

– Pourquoi ces sanctions particulièrement clémentes et en inadéquation avec le faits, interviennent en avril 2002 alors que l’autorité de premier niveau est au courant des faits depuis décembre 2001 ?

– Pourquoi l’autorité militaire de premier niveau a-t-elle sanctionné le 9 avril 2002 le sergent NOëL de 10 jours d’arrêts avec sursis et 12 mois au motif 265 « mentir en service ou faire un rapport faut ou sciemment incomplet » tout en omettant de sanctionner les autres auteurs d’un rapport faut ? En effet, l’autorité militaire de premier niveau écrit dans son rapport du 19 janvier 2002 adressé au général d’armée, chef d’état major de l’armée de terre :
« le compte-rendu du capitaine, confirmé ultérieurement par les comptes-rendus écrits des personnels de la série de tir du blessé faisait apparaître que l’accident résultait d’un retard anormal du bouchon allumeur de l’une des grenades lancées ».

– Comment l’autorité militaire de premier niveau peut-elle prétendre dans ses
considérations de droit et fait constituants le fondement de sa décision de punition du 15 avril 2002 que le sergent NOëL était en possession de ses moyens au moment de la présentation à sa signature du fallacieux rapport ?
Comme l’écrit le sergent NOëL dans son recours article 13 contre la sanction infligée par l’autorité militaire du premier niveau et fort intelligemment annulée par l’autorité militaire de second niveau : « le chef de corps n’est jamais venu me voir à l’hôpital et il ne s’est jamais soucié de mon état de santé. Bien mieux, mon épouse a été avertie le jour même par un caporal chef, de sa propre initiative. Il n’est pas qualifié pour affirmer dans ses observations que j’étais en pleine possession de mes moyens. Seuls les chirurgiens et médecins qui m’ont traité sont en mesure d’apporter un tel renseignement médical .
Le commandant d’unité a profité de mon état de vulnérabilité physique et psychique pour abuser de ma confiance en me faisant croire que tout avait été réglé avec le chef de corps et que je n’avais plus qu’à signer. Je n’ai pas cherché à lire ou à comprendre ce que l’on me demandé de signer car, j’avais à ce moment là très mal à la tête et j’étais encore comme « groggy » par l’accident dont je venait d ‘être la victime. Dans d’autres circonstances, il est certain que j’aurais prêté attention à ce que je signais ».

UNE CULPABILISATION ANORMALE DE LA VICTIME

L’article du journaliste Jean GUISNEL paru dans le POINT n°1547 du 6 mai 2002 sous le titre « scandale dans les forces spéciales » a ému toute la communauté militaire toute entière. Pour ce journaliste, « la hiérarchie du 1°RPIMA a tenté de maquiller une bavure d’entraînement ». L’Association de Défense des droits des militaires se gardera bien de porter un tel jugement et laisse (compte tenu des éléments rapportés dans le traitement du dossier) à ses adhérents et sympathisants le soin de se forger leur propre jugement. Par contre ce qui est certain dans ce dossier, c’est que le sergent NOëL, victime est traité comme un coupable. Cela n’a d’ailleurs pas échappé au journaliste du POINT qui écrit : « le capitaine A. a fini par reconnaître les faits devant sa hiérarchie . Mais pas avant que le sergent NOëL soit entré en grave dépression et, à bout de forces, ait « lâché le morceau » aux médecins de l’hôpital militaire de BORDEAUX. C’est la chaîne médicale, abasourdie, qui donnera l’alerte.

Première à faire son travail et à ne pas traité NOëL en coupable mais en victime.

Pour l’Adefdromil, l’autorité militaire de premier niveau a réservé au sergent NOëL un traitement indigne de son statu de victime :

– Aucune prise en charge de la famille avertie par un caporal chef de l’accident.
– Pas d’inscription au registre des constatations. C’est le sergent NOëL qui fera la régularisation.
– Aucune visite à l’hôpital.
– Volonté délibérée de minimiser l’affaire et de la contenir au sein du régiment.
– Surprenante sanction disciplinaire fort heureusement annulée par l’autorité militaire du second niveau.
– Pression d’un officier supérieur qui lui aurai même dit selon le POINT « si tu déposes plainte, je ne garantis pas ta sécurité au régiment »

Enfin, pour encore mieux culpabiliser le sergent NOëL, l’autorité militaire de premier niveau a porté le 3 juin 2002 sur sa feuille de notation annuelle l’appréciation littérale suivante : « malgré des aptitudes professionnelles avérées, ce sous-officier au tempérament instable et au comportement provocateur a profondément déstabilisé son environnement. »
N’est-ce pas plutôt le traitement lamentable par l’autorité militaire de premier niveau qui aurait profondément déstabilisé l’environnement ?
Gageons, que l’enquête judiciaire fera toute la lumière sur cette scandaleuse affaire et que la justice replacera chacun face à ses responsabilités.

En attendant, nous suivons cette affaire.

Vous pouvez nous adresser vos observations sur ce dossier par courrier électronique à contact@Adefdromil.org ou en nous écrivant à ADEFDROMIL 14, rue Fould Stern 60700 PONT SAINTE MAXENCE.

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