Le passé colonial de l’armée française peut-il être donné en exemple ?(par Raphaëlle Branche, historienne de la guerre d’Algérie et Bruno Cabanes, historien de la première guerre mondiale)

Comment commémorer la fin de la guerre d’Algérie ? Cette question délicate, que beaucoup se posent depuis plusieurs mois, semble avoir été résolue de la manière la plus maladroite.

Quelques jours après le 11-Novembre, le ministre de la défense a annoncé que le général Marcel Bigeard, combattant de la France libre et résistant, officier en Indochine puis en Algérie, allait entrer aux Invalides. Par cette décision exceptionnelle, il va rejoindre, dans ce panthéon militaire, une pléiade de généraux d’Empire et la plupart des Maréchaux de France de la première et de la seconde guerre mondiale.

La cérémonie interviendra sans doute en 2012. Elle s’inscrit donc, d’ores et déjà, dans le calendrier commémoratif de la guerre d’Algérie. Pour motiver cette décision du gouvernement français, on invoque le refus des autorités vietnamiennes d’accéder au dernier souhait du général défunt que ses cendres soient dispersées au-dessus du champ de bataille de Diên Biên Phu. Les Invalides, comme solution de rechange, comme sépulture de substitution : qui pourrait le croire ? La décision est si importante dans l’ordre de la symbolique militaire et nationale qu’on ne peut se satisfaire d’une telle explication.

Celui qui avait commencé sa carrière militaire par un engagement dans la Résistance, l’a prolonge par une longue campagne d’Extrême-Orient, qui s’achève dans le désastre de Diên Biên Phu  et plusieurs mois de captivité. Il s’impose comme un baroudeur audacieux, doublé d’un grand chef militaire. Tout cela, nous ne l’oublions pas. En Algérie, sa renommée se trouble. Elle est associée aux pires excès de la guerre : interrogatoire sous la torture et méthodes antisubversives, qu’il enseigne et expose dans plusieurs ouvrages à grand succès. Il assume, vis-à-vis de ses hommes, l’usage de méthodes illégales. A l’époque, son nom est attaché à l’une des techniques de disparition mises en œuvre à Alger en 1957 (les « crevettes Bigeard »).

Beaucoup de familles algériennes s’en souviennent aujourd’hui : Marcel Bigeard, c’est aussi la torture. Pendant la guerre, il utilise, en toute conscience, des méthodes radicales de lutte, alors que d’autres officiers, qui furent l’honneur de l’armée française, les refusèrent. Il y a dix ans encore, quand le général Aussaresses revendique les crimes commis pendant cette guerre, le général Massu choisit au contraire d’exprimer ses regrets. Marcel Bigeard, quant à lui, reste campé dans une position de déni et de mépris.

Choisir d’honorer le général Bigeard, c’est prétendre que l’ensemble de son passé militaire peut être qualifié de glorieux – alors qu’il n’en est rien. C’est aussi laisserimaginer que les guerres de décolonisation auxquelles son nom est surtout associé n’ont été que des combats militaires. Si le général Bigeard est le héros militaire qu’on nous présente, est-ce donc que la guerre, en tout cas en Algérie, a été gagnée militairement ? Ne serait-ce pas, en effet, que la guerre a été perdue politiquement ?

Une telle présentation ignore totalement la nature de ces conflits : ces guerres avaient pour but le maintien de la présence française et elles furent conduites par d’autres moyens que le seul combat militaire. En Algérie,…..

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