Allégeance aux armes – « Ce concept extérieur à notre culture commune marquerait une rupture » (Jean Guisnel)

Le général Jean-René Bachelet considère que la proposition de l’UMP contient des relents de « parenthèse vichyssoise ».

Grande figure de l’armée de terre, le général Jean-René Bachelet a quitté le service en 2004. Il a tout connu de la vie militaire : de l’apprentissage rugueux chez les enfants de troupe aux cinq étoiles du général d’armée. Sa dernière fonction fut celle d’inspecteur général des armées.

Il a porté très loin la réflexion de l’armée de terre sur le cadre éthique de l’exercice du métier des armes, et fut à ce titre le principal rédacteur du « petit livre vert de l’armée de terre », titré L’exercice du métier des armes dans l’armée de terre, fondements et principes. Cet ouvrage a été diffusé à partir de janvier 1999 et demeure largement utilisé dans les écoles militaires dans le cadre des formations sur l’éthique militaire. Jean-René Bachelet répond aux questions du Point.fr sur « l’allégeance aux armes de la France » que propose l’UMP dans son programme de campagne pour la présidentielle.

Le Point : Dans un programme de campagne, l’UMP propose de « faire mention de l’allégeance aux armes de la France lors d’un serment fait à l’occasion de la journée d’appel à la défense (JAPD) ou au moment de l’acquisition de la nationalité française ». Qu’en pensez-vous ?

Jean-René Bachelet : En d’autres temps, cette formulation insolite n’aurait-elle pas été qualifiée de « serment patriotique » ? S’il s’agit bien de cela, j’observe que le développement du sentiment d’appartenance à une communauté nationale, caractérisée par son histoire, sa culture et ses valeurs, avec les droits et devoirs que cela implique, est l’une des responsabilités de l’Éducation nationale. Un programme d' »éducation à la citoyenneté » a été défini à cette fin. Il se traduit en un « parcours citoyen », dont la JAPD est une étape. L’idée de faire déboucher ce parcours sur un acte solennel susceptible de marquer les esprits est nouvelle : rien de tel n’a existé jusque-là dans notre pays.

Le parcours scolaire était naguère couronné, pour les jeunes hommes, par le service national, qui n’existe plus. Cela ne crée-t-il pas une situation différente ?

Si le modèle de référence est la France du XXe siècle, avec, notamment, une école jouant un rôle intégrateur et d’ascenseur social et un service militaire obligatoire concrétisant la sujétion du citoyen au bien public, il n’est plus de mise. L’école n’assure plus cette mission que très imparfaitement et le service militaire est suspendu depuis quinze ans. Dans le même temps, la société française a profondément évolué, de plus en plus urbaine, grevée par un chômage chronique, confrontée à un multiculturalisme sans précédent, ouverte sur le vaste monde, dans lequel la place de la France n’est plus celle qu’elle a pu tenir dans l’histoire. Une claire conscience d’appartenance à la communauté nationale française, avec tout ce que cela implique, ne va donc pas de soi.

Vous considérez donc que le besoin existe bien d’affirmer son appartenance à la communauté nationale…

Sans aucun doute, il y a un besoin. Mais il est d’abord et avant tout celui d’une « éducation à la citoyenneté » performante et d’un « parcours citoyen » efficace. Dont l’accès à un emploi, gage d’insertion sociale, est une condition nécessaire à cette efficacité. C’est dire si un « acte solennel » en fin de parcours, quel qu’il soit, aussi bienvenu puisse-t-il être dans son principe, risque fort d’être inopérant si le parcours lui-même, en amont, n’est pas performant.

Et pourtant, vous n’adhérez pas à cette idée d' »allégeance aux armes de la France » !

« Allégeance »… Le mot, aussi désuet soit-il, est fort. S’agit-il d’un serment ? Ce serait alors une formulation de longue date étrangère à notre culture – hormis la parenthèse vichyssoise, ce qui n’est pas anodin pour notre histoire tumultueuse -, contrairement aux Anglo-Saxons ou aux peuples de culture germanique. C’est dire si cette irruption d’un concept extérieur à notre culture commune marquerait une rupture, dont il faut bien envisager les implications. Et notamment les rejets qu’il pourrait provoquer, non pas quant à son objet, mais sur la forme elle-même. Le militaire que j’ai été durant plus de quatre décennies souscrit volontiers à l’idée que le service du pays par les armes est la forme la plus exigeante du devoir civique en cela qu’il réclame, plus que tout autre, une disponibilité totale, dans des affrontements où la vie même est en jeu. Pour autant, le sentiment de citoyenneté, le sens civique, le patriotisme, dans toutes leurs formes possibles, sont-ils inclus tout entiers dans le service « des armes » ? La réponse est évidemment négative. Sans cela, les femmes, qui n’étaient pas assujetties au service militaire, n’auraient jamais été pleinement patriotes. Et que dire des objecteurs de conscience, qui bénéficient de longue date d’un statut et qu’on n’a jamais jugé devoir déchoir de leur citoyenneté ? Que l’on sache, d’ailleurs, ce statut n’a jamais été abrogé ; que se passera-t-il, à supposer que soit adoptée une procédure d' »allégeance aux armes », pour ceux qui souhaiteraient se réclamer de l’objection de conscience ? Leur refuserait-on la citoyenneté ?

Vous ne refusez donc pas de marquer solennellement l’entrée des jeunes majeurs dans une citoyenneté de plein exercice, tout en estimant qu’une procédure d' »allégeance aux armes » est une mauvaise idée. Que proposeriez-vous ?

Sans faire plus qu’évoquer…

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