La perpétuelle question des effectifs

Au moment où s’impose une nouvelle réduction des effectifs dans l’armée française, il nous a paru intéressant de publier ce court passage extrait du livre « Mémoires d’un français rebelle » [1] du Général Georges LOUSTAUNAU-LACAU [2] traitant du problème des effectifs de l’armée française en 1933. Bien que ce passage concerne  l’armée de conscription, le constat fait à l’époque est en partie d’actualité bien que notre armée soit devenue professionnelle : organismes inutiles, luttes avec les directions, tâches inutiles…

La Rédaction

« La question des effectifs devenait tragique. La classe instruite fondait dans les services de Nice, les forts, les mille et un organismes inutiles que s’offrait l’armée française, assez comparable à la carcasse désolée des Galeries Lafayette pendant l’occupation allemande, et la classe à instruire ne représentait qu’une traite sur l’avenir. La question était mal prise dans son ensemble, et toujours pour la même raison : les ministres n’avaient pas assez de temps devant eux pour construire, alors que chacun d’eux était capable de construire, et l’Etat-Major général, en lutte avec les directions, bouchait ses trous avec leurs lacunes et ses lacunes avec leurs trous. Il y avait mieux à faire sans imposer, au contraire, une charge plus lourde, de temps ou d’argent à la nation. J’en traite ici, car le problème n’a pas changé.

A quoi sert une armée nationale, en temps de paix, sinon à forger l’instrument d’une guerre éventuelle, c’est-à-dire à préparer des cadres et des hommes, à utiliser efficacement le matériel le plus puissant et le plus mobile possible ? Déjà sont à écarter tous ceux qui, à la guerre, ne remplissent que des fonctions non techniques ou qui n’exigent qu’une technique simple, à la portée de tous les civils. Médecins, intendants, dentistes, ouvriers auxiliaires, comptables, etc, tout cela se retrouve à la mobilisation et il suffit, de temps à autre, de les orienter sur leur travail futur. Si cela n’est pas possible, que l’on me dise comment les Américains sont passés d’une armée de 50 000 hommes à trois millions de combattants avec des problèmes à résoudre, face au Pacifique, face à l’Europe qui valaient bien les nôtres, en diversité, en complexité ! En 1933, j’ai calculé qu’un bon tiers de l’armée française vaquait à des tâches inutiles, sont à écarter aussi ces écoles sans nombre qui sucent l’énergie des corps, car ce sont les corps vivants où peut se donner une instruction vivante, en prise directe sur les réalités. Entre les deux guerres, l’armée française s’est instruite, mais pas pour vaincre. Justement, la déficience en hommes dont on souffrait devait pousser à la puissance et le problème devait être posé ainsi : rechercher le maximum de rendement au minimum de bras, et aussi, pour ne pas enlever à la nation ses forces économiques, au minimum de temps.

D’autre part, et ceci importe, que peut-on demander de plus à un soldat que d’être un guerrier qui sait se servir de ses armes ? Pourquoi  jeter, sans transition, des employés, des paysans, des ouvriers dans l’A.B.C. d’une caserne, alors que cet A.B.C., la vivacité des gestes, la condition physique, l’expérience à la carte, du tir des armes simples, y compris les automatiques, du coucher dehors, de la cuisine autonome, de la conduite automobile, y compris celle des poids lourds, des chars de petit tonnage, ils peuvent l’acquérir chez eux, le dimanche, ou aux vacances, au sein de sociétés libres, simplement contrôlées par l’armée ? Tout ce qu’un soldat futur peut apprendre ainsi, à loisir, dès l’adolescence, l’armée doit en être déchargée. Mais alors, il faut avoir le courage de poser en principe que le temps de service ne sera pas égal pour tous. Chaque citoyen de vingt ans doit à son pays, non seulement un devoir militaire, ce qui ne signifie rien, si ce devoir est trompeur, mais des performances précises. La facilité des communications jusqu’au moindre village autorisait cette expérience et on aurait vu alors, d’eux-mêmes, les jeunes gens courir à ce devoir, dans une saine émulation. Les services étant réduits à l’extrême, tous les régiments auraient pu  travailler à plein d’effectifs pendant quelques semaines et cela aurait mieux valu que de les voir traîner de mois en mois à la recherche de quelques hommes. Voilà quelle était la mission à donner aux officiers de réserve au lieu de les appeler, périodiquement, à manier des outres vides. « 


[1] « Mémoires d’un français rebelle » J & D Editions 18 rue Folin – 64200 BIARRITZ

[2] Georges Loustaunau-Lacau, Navarre de son nom de guerre, fut à la fois ami intime de Charles de Gaulle, plume du Maréchal Pétain et rédacteur des mémoires du Maréchal Franchet d’Esperey : œil et oreilles, dans toutes les instances officielles et officieuses.

Baroudeur impénitent, risque-tout permanent, résistant, déporté, il fut de tous les complots.

Lâché par le Maréchal Pétain, témoin à charge de son procès, il n’en prend pas moins sa défense.

Député des Basses-Pyrénées en 1951, il meurt en pleine Assemblée le 11 février 1955, le jour de sa nomination au journal officiel au grade de Général, sans avoir jamais été colonel.

Un immense français, le dernier des mousquetaires, digne du panthéon béarnais.

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