Armée de terre : un cas d’amateurisme dans la gestion de la ressource humaine.
Entré en service en décembre 2000, j’effectue un service militaire long de 2 ans (VSL 24 mois) durant lequel je suis promu au grade de Maréchal des Logis en février 2002. A l’issue, je choisis de m’engager via le recrutement VBS (Volontariat Bachelier Sergent). Je signe alors un contrat d’engagement avec le grade de Sergent et, en décembre 2002, je rejoins la 6° Compagnie du 53e Régiment de Transmissions à Lille où je sers en tant que technicien exploitation des systèmes et réseaux informatiques au Centre des Télécommunications Et de l’Informatique de Niveau 1 (CTEI1), conformément au message n°566266 de la Direction du Personnel Militaire de l’Armée de Terre en date du 25 novembre 2002.
Comme il est précisé dans ce message, je DOIS effectuer un stage d’activation à l’Ecole Nationale des Sous-Officiers d’Active (ENSOA) de St-Maixent. Par ailleurs, faisant partie des derniers contingents d’appelés et compte tenu du peu de volontaires pour le PESO (Peloton d’Elèves Sous-Officiers), je n’ai pu bénéficier de cette formation militaire qui a tout simplement été annulée. En conséquence, dès mon arrivée à la 6e compagnie, conscient de la « légèreté » de ma formation militaire (qui se résume en fait à une simple Formation Générale Initiale), de mon manque d’expérience en matière de commandement (ayant effectué mon service militaire en état-major, je n’ai pas eu d’opportunités de m’y exercer), que l’exercice du commandement n’est pas inné et ne s’improvise pas d’un claquement de doigt, je rends compte avec insistance à mon commandant de compagnie qu’il est dans mon intérêt de bénéficier de cette formation. Car en tant que cadre et soldat professionnel de l’Armée de Terre, j’estime avoir droit à une formation digne de ce nom et qu’il du devoir d’un chef de veiller à la formation de ses subordonnés. Mais en mars 2003, le chef de corps du 53e RT me fait cadeau du Certificat Militaire du 1er degré (CM1). Dès lors il n’est plus question d’aller à l’ENSOA. Je n’ai donc pas bénéficié d’un enseignement des bases du métier de chef de groupe tant sur le plan théorique mais surtout sur le plan pratique. Je précise également qu’aucune action de formation interne n’a été envisagée en alternative. Concrètement j’ai dû me faire SEUL ma formation de chef de groupe.
De retour de ma formation technique, conclue par une première place avec mention « très bien » et bien que félicité pour ma réussite, mon commandant de compagnie a la délicatesse de m’informer que « n’étant pas allé à St-Maixent. je suis pénalisé pour la suite de ma carrière» … et donc pour mon avancement … Ou comment le commandement se dégage de toute responsabilité quant à cette situation. Dès lors les dés sont pipés. Et cela va se confirmer : malgré une orientation vers la voie officier – ce qui suppose une aptitude à occuper des responsabilités de niveau supérieur, j’observe l’année suivante une régression de mon aptitude et de mon potentiel officier motivée par ce manque d’expérience et de formation. Cela me sera confirmé par le Président des Sous-Officiers : « on a tenu compte de votre passé militaire ». Il s’avère qu’aux yeux de ma hiérarchie « je n’ai pas le niveau » pour commander, car n’ayant pas été formé à St-Maixent. Je rappelle que c’est le 53e RT qui n’a pas jugé utile de m’envoyer à l’ENSOA et non moi qui refusé d’y aller. Dans ces conditions, à quoi bon vouloir « s’élever par l’effort ». Et cette régression n’est pas contestable car les notateurs disposent d’un entier pouvoir discrétionnaire en matière d’appréciation du personnel placé sous leur autorité, ce qui peut donner lieu à des appréciations aléatoires et sujet à de variables considérations sur de courtes périodes (ce qui est apprécié favorablement aujourd’hui pouvant, dans ce cadre discrétionnaire, ne plus l’être le jour d’après), ceci sans que des critères objectifs d’appréciation puissent trouver des explications réalistes et fondées (j’ai pu le constater dans mes recours).
Bref, lorsque j’ai signé mon contrat, je m’étais engagé pour servir et non pour subir, en particulier subir des mesures ségrégationnistes liées à mon recrutement. « Mis en quarantaine », placardisé et privé de toute formation ou entraînement militaire (certificat militaire, camps régimentaires, …) pendant près de trois ans, trois années durant lesquelles j’ai dû assurer SEUL ma formation de cadre de l’Armée de Terre, trois années lourdes de conséquences qui au fil du temps m’ont découragé de servir l’institution, quand on sait à quel point les premières années d’engagement sont importantes dans la carrière d’un soldat et influent sur la voie qu’il suivra tout au long de celle-ci. Pourtant d’après l’article 6 de la loi n°2005-270 du 24 mars 2005 portant Statut Général des Militaires, « il appartient au chef, à tous les échelons, de veiller aux intérêts de ses subordonnés », d’autant plus qu’aujourd’hui, dans une armée dite « professionnelle », ce service est l’expression d’un choix et non plus d’une obligation. « Lorsque vous vous engagez, nous nous engageons » … un engagement humain … et en retour des promesses tenues en termes d’aventure comme de formation … Pour ma part, celles-ci n’ont jamais été tenues en matière de formation militaire.
En décembre 2006, j’adresse par voie hiérarchique une demande de mutation. Malheureusement celle-ci sera classée « verticalement » sans suite par mon commandant de compagnie, me refusant même de produire un l’état 314/18 nécessaire pour accompagner ma demande. Plus tard, voyant mon profil de carrière converger vers un profil type « mérite d’être maintenu dans le grade », j’adresse une demande de résiliation de contrat. Cette fois-ci, elle m’est tout simplement rendue avec l’avis du chef de section par ce même commandant de compagnie, et ce, en présence du représentant des sous-officiers. Aucune réaction. Pas de c……., pas d’embrouilles, la voie hiérarchique n’est une nouvelle fois pas respectée, mais bon, faisons comme si rien ne s’était passé, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Toutefois, ce que j’ai du mal à comprendre c’est pourquoi mes chefs s’obstinent-ils à vouloir me garder si je ne suis pas un bon cadre.
En décembre 2007, n’ayant plus rien à perdre, j’adresse au Ministre de la Défense et au Chef d’Etat-Major de l’Armée de Terre un compte-rendu dans lequel j’expose mon déroulement de carrière et en particulier les erreurs de gestion qui l’ont entaché. Après plusieurs mois d’attente, seul le cabinet du CEMAT y répondra. Si ce compte-rendu a tout de même permis de corriger certaines erreurs administratives, la réponse reste cependant superficielle, puisqu’elle ne s’appuie que sur les dires du chef de corps (qui reflètent ceux du commandant de compagnie – et comme le chef a toujours raison…) et sur les quelques éléments dont dispose la DPMAT (feuilles de notes, classement, … des documents renseignés par le chef de corps). Elle occulte le fond du problème. Son explication de l’attribution par équivalence du CM1 est plus que douteuse. Il n’y est nullement question de mes demandes qui n’ont jamais suivi la voie hiérarchique et qui ne sont donc jamais parvenues à la DPMAT. Et en ce qui concerne mes notations et mon maintien dans le grade, tout est une question de mérite. C’est vrai qu’il est tellement plus facile de justifier une non-inscription à un tableau d’avancement (ou une enième stagnation dans les notations) par les sempiternels discours sur le mérite qui permettent au commandement de s’affranchir de toute explication. Par ailleurs, quand votre dossier se voit primé, du moins en ce qui concerne la 6e compagnie du 53e RT, par les dossiers de déserteur, de cadres adeptes de l’absentéisme injustifié à répétition ou d’esquives en tout genre, de cadres venant travailler – quand ils viennent – imbibés d’alcool, …, il faut avouer qu’il y a de quoi se poser des questions sur les critères de sélection appliqués. Mais ce ne sont là que de petits détails sans importance aux yeux d’un commandement qui ne voit que ce qu’il veut bien voir.
Je renvoie alors en réponse une seconde lettre au Ministre de la Défense et au CEMAT que je termine en demandant ma démission du corps des sous-officiers. Je transmets également, à titre de compte-rendu, ces correspondances au Président de la République, Chef des Armées. Mais, à ce jour, ni le Président de la République ni le Ministre de la Défense ni même le CEMAT n’y ont répondu. Doit-on en déduire qu’ils préfèrent la version édulcorée du commandement plutôt que celle d’un sergent dont la carrière a été gérée, à ses yeux, de manière aberrante comme du consommable (pour reprendre un terme régulièrement employé au 53e Régiment de Transmissions pour qualifier les engagés volontaires). Doit-on en conclure qu’ils cautionnent cet abus de pouvoir, cette négligence professionnelle pour ne pas parler d’amateurisme dans la gestion de la ressource humaine, ainsi que l’omerta pratiquée par une hiérarchie qui a fui ses responsabilités ?
Avec le recul, je me rends compte que, comme d’autres, j’aurais mieux fait de suivre une voie moins noble, à savoir rester planqué derrière un écran d’ordinateur, faire l’anguille en esquivant les camps régimentaires, les tours de service, les participations aux cérémonies commémoratives, … ou encore faire le beau devant les chefs. « Le monde récompense plus souvent les apparences du mérite que le mérite même. » François de la Roche Foucauld, Maximes. Malheureusement, en cherchant à acquérir davantage d’expérience militaire et en m’exposant ainsi aux yeux du commandement, j’ai renoncé à la facilité. Certes, j’ai commis des erreurs et j’ai pu avoir des réactions quelque peu « brutales » suite à certaines décision de commandement. En m’engageant, je croyais en certaines valeurs. Je me suis trompé.
« Décourager la volonté d’hommes et de femmes servant leur pays dans nos rangs serait lourd de conséquences car ce service est devenu l’expression d’un choix délibéré. Ceux qui, nous rejoignant, prennent la décision d’associer une partie de leur vie à notre destin commun expriment spontanément leur adhésion. Rejeter ou simplement ne pas cultiver cette adhésion serait leur faire injure. » (Général d’Armée Bernard Thorette, L‘exercice du commandement dans l’armée de Terre)
J’ai le sentiment aujourd’hui d’avoir été affecté au mauvais endroit au mauvais moment, dans une compagnie où un sergent n’est plus considéré comme un sous-officier, et que les valeurs auxquelles je croyais lorsque je me suis engagé ne sont qu’illusion. Que vaut la parole d’un petit gradé face à une hiérarchie sourde et aveugle qui se dégage systématiquement de toute responsabilité par des artifices de commandement chaque fois qu’elle est mise en porte-à-faux, face à un commandement carriériste qui se soucie plus de son confort personnel et se désintéresse totalement de ses subordonnés ? J’entends parler de fidélisation de la ressource humaine et en particulier des cadres, voici l’exemple d’une politique de l’échec qui démotive plus qu’elle n’encourage le subordonné à servir l’institution. Aujourd’hui, contraint de devoir assumer seul la responsabilité de cet échec, je n’ai plus d’hésitation sur le sens à donner à ma carrière.
« La faute la plus grave qu’un chef puisse commettre dans l’exercice de son commandement est d’ignorer la personnalité, les aspirations, les besoins, le comportement humain de ses subordonnés et de les commander comme il le voudrait et non comme ils sont en réalité .» Maréchal FOCH