Rapport du Conseil de l’Europe sur le droit d’association des membres du personnel professionnel des forces armées du 15 juillet 2002

Doc. 9518

15 juillet 2002

Droit d’association des membres du personnel professionnel des forces armées

Rapport

Commission des questions juridiques et des droits de l’homme

Rapporteur: Mme Agnès van Ardenne-van der Hoeven, Pays-Bas, Groupe du Parti populaire européen

Résumé

Bien que la Convention européenne des droits de l’homme garantisse à son article 11 la liberté d’association et que l’article 5 de la Charte sociale européenne (révisée) prévoie le droit de créer, de s’affilier et de participer activement à des associations constituées pour protéger ses intérêts professionnels, ce droit est encore refusé au personnel militaire dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe. La commission réclame la reconnaissance de ce droit dans les règlements et codes militaires des Etats membres, l’institution éventuelle d’un bureau national de médiateur, et suggère un amendement à l’article 5 de la Charte sociale européenne (révisée) pour aligner la liberté syndicale des membres des forces armées sur celle des policiers.

I.        Projet de recommandation

1.        L’Assemblée rappelle sa Résolution 903 (1988) relative au droit d’association des membres du personnel professionnel des forces armées, dans laquelle elle invite tous les Etats membres du Conseil de l’Europe à accorder, dans des circonstances normales, aux membres professionnels des forces armées, le droit d’association, avec interdiction du droit de grève. Elle rappelle également sa Directive 539 (1998) invitant les Etats membres à appliquer la Charte sociale européenne.

2. L’Article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit la liberté d’association et l’article 5 de la Charte sociale européenne (révisée) le droit syndical. Toutefois, ces articles ont une portée limitée en ce qui concerne les violations de la reconnaissance du droit des membres des forces armées à constituer un syndicat.

3.        L’Assemblée note que, malgré les efforts visant à promouvoir le droit civique d’association de certains groupes professionnels, le droit syndical n’est toujours pas reconnu aux membres du personnel professionnel des forces armées dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. En outre, plusieurs Etats membres reconnaissant le droit syndical pour cette catégorie de personnel prévoient des restrictions rigoureuses dans les conditions qui le régissent.

4.        Ces dernières années, les armées de certains Etats membres sont passées d’un système de conscription à un système purement professionnel. En conséquence, les membres du personnel militaire deviennent de plus en plus des employés « ordinaires » dont l’employeur est le ministère de la Défense, qui devraient bénéficier pleinement des droits des employés énoncés dans la Convention européenne des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales et dans la Charte sociale européenne.

5.        Les membres des forces armées, en tant que « citoyens en uniforme », devraient pleinement jouir du droit, dans des circonstances normales, de créer des associations spécifiques visant à protéger leurs intérêts professionnels dans le cadre d’institutions démocratiques, d’y adhérer et d’y participer activement tout en exerçant leurs fonctions.

6.        Le personnel militaire devrait être autorisé à l’exercice des mêmes droits, notamment le droit d’adhérer à un parti politique légal.

7.        En conséquence, l’Assemblée recommande que le Comité des Ministres invite les gouvernements des Etats membres:

i. à autoriser les membres des forces armées et le personnel militaire à s’organiser dans des associations représentatives ayant le droit de négocier sur des questions concernant les salaires et les conditions de travail;

ii. à lever les restrictions actuelles inutiles au droit d’association pour les membres des forces armées;

iii. à autoriser les membres des forces armées et le personnel militaire à adhérer à des partis politiques légaux;

iv. à inscrire ces droits dans les règlements et codes militaires des Etats membres;

v. à étudier la possibilité de mettre en place le bureau d’un Médiateur auquel le personnel militaire pourrait s’adresser en cas de conflit du travail et d’autres questions relatives à l’exercice des fonctions.

8.       L’Assemblée invite également le Comité des Ministres à étudier la possibilité de modifier le texte de la Charte sociale européenne (révisée) en introduisant un nouvel article 5, qui disposerait: « En vue de garantir ou de promouvoir la liberté pour les travailleurs et les employeurs de constituer des organisations locales, nationales ou internationales, pour la protection de leurs intérêts économiques et sociaux et d’adhérer à ces organisations, les Parties s’engagent à ce que la législation nationale ne porte pas atteinte, ni ne soit appliquée de manière à porter atteinte à cette liberté. La mesure dans laquelle les garanties prévues au présent article s’appliqueront à la police et aux membres des forces armées sera déterminée par la législation ou la réglementation nationale ».

II.       Exposé des motifs par Mme van Ardenne-van der Hoeven, rapporteuse

A.       Introduction

1.       Les sociétés démocratiques occidentales ont une grande considération pour la protection des droits de l’homme. C’est ainsi que les nombreuses et diverses formes de coopération européenne trouvent toutes leur fondement dans la préservation des droits de l’homme universels. Bien que de nombreux droits soient énoncés dans la Convention européenne des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, une partie importante de la société est tenue à l’écart de l’exercice de nombreux droits de l’homme inaliénables. Dans bien des Etats membres du Conseil de l’Europe, les droits fondamentaux du personnel militaire sont sérieusement limités.

2.       Tout d’abord, il convient de rappeler que l’article 11 (liberté de réunion et d’association) de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales est libellé comme suit:

      1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

      2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat.

3.       Il est notoire que le droit de réunion et d’association afin de défendre les intérêts de groupes professionnels est dans l’intérêt des démocraties matures. Il importe que les employés aient la possibilité de s’unir dans une forme quelconque de fédération afin de représenter leurs intérêts professionnels en matière de conditions de travail, de conditions d’emploi et de rémunération. Ce droit a été établi à plusieurs occasions, dans la Convention européenne des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales et par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Votre rapporteuse estime peu satisfaisant que, dans un grand nombre d’Etats membres, ce droit soit refusé à tout un groupe professionnel.

4.       L’exercice de ce droit fondamental est également inclus à l’article 5 de la Charte sociale européenne que le Comité des Ministres estime constituer la référence normative pour toutes les activités du Conseil de l’Europe dans le domaine social1. Cet article maintient la possibilité de faire une exception pour les membres de la police et le personnel militaire, et dispose que « le principe de l’application de ces garanties aux membres des forces armées et la mesure dans laquelle elles s’appliqueraient à cette catégorie de personnes sont également déterminés par la législation ou la réglementation nationale ».

5.       En 1988, l’Assemblée a adopté la Résolution 903 relative au droit d’association des membres du personnel professionnel des forces armées. Le paragraphe 8 invite tous les Etats membres du Conseil de l’Europe qui ne l’ont pas encore fait à accorder, dans des circonstances normales, aux membres professionnels des forces armées de tous grades, le droit de créer des associations spécifiques formées pour protéger leurs intérêts professionnels dans le cadre des institutions démocratiques, d’y adhérer et d’y jouer un rôle actif.

6.       Avec la Recommandation 1415 (1999), l’Assemblée réaffirme énergiquement son attachement à une protection efficace des droits de l’homme. Elle observe qu’il ne peut y avoir de véritable démocratie sans reconnaissance de tous les droits de l’homme, y compris les droits civils.

7.       Toutefois, depuis l’adoption de la Résolution 903, aucun progrès significatif n’a été accompli en la matière. Encore moins de la moitié des quarante-quatre Etats membres du Conseil de l’Europe reconnaît le droit du personnel professionnel des forces armées à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association avec d’autres, bien que ce droit soit garanti dans la Convention européenne des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales et dans la Charte sociale européenne. Le fait que de nombreux Etats membres imposent des restrictions rigoureuses à la liberté de réunion et d’association du personnel miliaire professionnel est jugé alarmant par votre rapporteuse.

8.       Dans la Directive n° 539 (1998), l’Assemblée déclare que le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres, et charge donc la commission des questions sociales, de la santé et de la famille de veiller au respect par les Etats membres des dispositions de la Charte sociale européenne, de ses protocoles et de la Charte sociale révisée.

9.       C’est pourquoi, le 4 mai 2001, l’Assemblée a adopté une proposition de recommandation de M. Jurgens et plusieurs de ses collègues. Dans cette proposition, il est recommandé au Comité des Ministres de réexaminer cette question du droit des membres des forces armées d’adhérer et de participer à des associations spécifiques constituées pour protéger leurs intérêts professionnels dans le cadre d’institutions démocratiques et de promouvoir l’acceptation de ce droit dans tous les Etats membres.

B.       Faits nouveaux

10.       On a assisté ces dernières années à une marche continue vers la coopération militaire et l’intégration entre les pays européens ainsi qu’à l’instauration d’une identité européenne commune de défense et de sécurité avec une force de réaction rapide européenne. Par ailleurs, le Partenariat pour la paix a abouti à une coopération militaire dans le cadre des exercices et des missions. L’élargissement de l’Otan et de l’Union européenne débouchera sur une coopération et une intégration accrues et d’une portée encore plus grande. En cas d’action combinée des forces armées, par exemple dans les missions de maintien de la paix, les différences entre les Etats membres en matière de droits de l’homme et de libertés fondamentales pour le personnel militaire deviennent encore plus visibles. L’encouragement de l’égalité, de la sécurité et de la stabilité dans les forces armées européennes est une nécessité vitale. L’octroi de droits démocratiques aux membres professionnels des forces armées en constitue une partie importante.

11.       Deuxième fait nouveau apparu dans les Etats membres ces dernières années: la conversion de systèmes militaires avec conscription en forces armées qui comptent entièrement sur des militaires de carrière. De ce fait, les membres du personnel militaire deviennent de plus en plus des employés «ordinaires» dont l’employeur est le ministère de la Défense. Aussi devraient-ils, de l’avis de votre rapporteuse, bénéficier pleinement des droits sociaux – des employés – énoncés dans la Convention européenne des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales et dans la Charte sociale européenne.

12.       Troisièmement, avec le recul de la part des conscrits dans le personnel militaire, les ministères de la Défense devront compter plus largement sur des volontaires pour pourvoir leurs postes vacants. A la longue, cela signifie non seulement que les conditions de travail dans les forces armées devront devenir de plus en plus compétitives face aux conditions de travail dans les autres secteurs du marché du travail mais aussi que les forces armées ne pourront pas s’exclure de la société en refusant à leurs membres les droits de l’homme et les libertés fondamentales. On pourrait y parvenir dans une large mesure en autorisant le personnel militaire à exercer pleinement ses droits sociaux.

13.       Le paragraphe 2 de l’article 11 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales laisse aux gouvernements la possibilité d’imposer des restrictions au droit à la liberté de réunion et d’association pour certains groupes de la société. Toutefois, cette possibilité d’une portée considérable doit être traitée avec soin et ne devrait être utilisée que dans le cas de menace grave pour la sécurité nationale. Il convient d’éviter un usage inapproprié de ce paragraphe qui consisterait à supprimer tout droit d’association pour le personnel militaire. En conséquence, dans une situation normale, il faut autoriser la liberté d’association pour les membres des forces armées et son exercice doit être régi par la loi.

14.       Selon les conceptions contemporaines, les employés ne peuvent être limités dans leurs libertés fondamentales plus que cela n’est strictement nécessaire dans la relation de travail. Il faut donc vérifier que cette restriction n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif à atteindre. Par ailleurs, le respect des libertés fondamentales est de l’intérêt général. Les gouvernements doivent veiller à ce que les employeurs respectent ces libertés fondamentales, si nécessaire, par le biais de la législation.

15.       De l’avis de votre rapporteuse, tous les Etats membres devraient permettre au personnel militaire professionnel de constituer et d’adhérer à des associations professionnelles visant à améliorer les conditions de travail dans les forces armées. De telles organisations fourniraient un réseau de soutien professionnel indépendant dont le besoin se fait grandement sentir. La forme de ces associations – syndicats, associations professionnelles ou tout au moins associations représentatives – est une prérogative nationale et pourrait être fondée sur des considérations sociales, culturelles, historiques et juridiques. Toutefois, le droit d’association est pleinement applicable au personnel militaire professionnel et devrait donc être énoncé dans les lois et réglementations des Etats membres.

16.       Qui plus est, l’OIT déclare que la Convention n° 87 concernant le droit d’association pour la défense des intérêts professionnels d’un certain groupe professionnel ne peut être traitée séparément de la Convention n° 98 concernant le droit de négociation de ce groupe professionnel. Cela devrait également s’appliquer au personnel militaire.

C.       Situation actuelle

17.       Le questionnaire envoyé aux délégations parlementaires nationales demandait des renseignements sur les restrictions actuellement imposées, dans le cas des personnels professionnels des forces armées, au droit d’association qui vont au-delà des limitations générales de ce droit en vigueur dans le pays en question. La rapporteuse a reçu un total de vingt-deux réponses (Azerbaïdjan, Chypre, Croatie, République tchèque, Danemark, Estonie, Finlande, France, Allemagne, Hongrie, Italie, Luxembourg, “l’ex-République yougoslave de Macédoine”, Pays-Bas, Norvège, Pologne, Slovénie, Suède, Suisse, Ukraine, Royaume-Uni, Yougoslavie).

18.       Les restrictions imposées à la liberté d’association par les Etats membres du Conseil de l’Europe varient. Nombre de pays n’ont pas du tout mis en œuvre l’article 11 de la CEDH dans leur législation nationale. D’autres l’ont fait, mais les règlements militaires impose de sévères restrictions. Le Comité européen des droits sociaux a conclu à la non-violation de l’article 5 de la Charte sociale européenne dans trois affaires différentes qui lui ont été soumises par EUROFEDOP (Fédération européenne du Personnel des services publics) et a rappelé sa jurisprudence constante dans laquelle il établit que les Etats membres sont autorisés à apporter n’importe quelle limitation et même la suppression intégrale de la liberté syndicale des membres des forces armées. Une modification de l’article 5 pourrait être envisagée, de façon à permettre une interprétation plus dynamique de l’article, comme celle que donne le Comité en ce qui concerne la liberté syndicale de la police.

19.       Il y a toutefois quelques Etats membres exemplaires. C’est ainsi qu’en Autriche, au Danemark, en Finlande, en Norvège, en Suède et en Suisse la liberté de réunion et d’association des personnels militaires ne fait l’objet d’aucune restriction. Le personnel militaire est autorisé à participer activement à un parti politique ou à une association afin de défendre ses intérêts professionnels comme tous les autres citoyens. Les Pays-Bas et la Belgique – ce dernier pays n’a pas répondu au questionnaire – octroient les mêmes droits aux membres des forces armées. En Norvège, le personnel militaire professionnel peut prétendre à un congé sans solde d’un maximum de trois ans pour travailler dans une telle association, on compte plus de trente associations indépendantes. Près de 95 % des membres des forces armées norvégiennes sont affiliés à une ou plusieurs associations. En Suède, le droit d’association pour le personnel militaire ne fait plus l’objet de restrictions depuis 1974. La Suisse limite uniquement le droit de grève des membres des forces armées lorsqu’il s’agit de questions de sécurité nationale. L’Irlande, le Portugal et la Bulgarie, qui n’ont pas répondu au questionnaire, ont accordé le droit d’association aux membres des forces armées. L’Irlande l’a fait en 1991, le Portugal en 2001 et la Bulgarie très récemment, en avril 2002. L’exemple de ces Etats membres mérite d’être suivi.

20.       D’autres Etats membres, tels que l’Allemagne, la Hongrie, le Luxembourg et les Pays-Bas, ont choisi des formes intermédiaires et permettent aux membres des forces armées de s’affilier et de participer activement à des associations qui défendent leurs intérêts professionnels, mais réglementent sous une certaine forme leur affiliation à des partis politiques. Aux Pays-Bas, des structures consultatives du personnel militaire existent depuis la fin des années 1920; à la fin des années 1980 des négociations ont été entamées concernant les conditions fondamentales de travail. Toutes les activités politiques sont autorisées à l’exception de la condition de membre du Parlement. En Allemagne, le personnel militaire peut s’affilier activement à des partis politiques mais ils doivent se conformer à leurs devoirs de fonction. Au Luxembourg, les associations professionnelles et les activités politiques du personnel militaire sont autorisées, mais il ne peut pas s’affilier à des organismes représentatifs au niveau national ou local. Le personnel militaire hongrois a la possibilité de se présenter aux élections parlementaires ou municipales mais son statut militaire est suspendu jusqu’à la fin du mandat. Ce statut peut ensuite être rétabli s’il le souhaite.

21.       Toutefois, de nombreux Etats membres n’autorisent pas la participation à des activités politiques et l’affiliation à des partis politiques. Ils estiment que les membres des forces armées doivent conserver une position de neutralité politique. L’Azerbaïdjan, la République tchèque, l’Estonie, la Finlande, la Roumanie, la Slovénie et l’Ukraine interdisent l’affiliation aux partis politiques mais octroient (sous des formes réglementées) le droit d’association pour la défense des intérêts professionnels du personnel militaire. Dans ces pays, le personnel militaire n’a pas le droit de grève.

22.       L’Azerbaïdjan n’impose aucune restriction sur le droit d’association du personnel militaire. En République tchèque, le personnel militaire est autorisé à s’associer dans des «associations professionnelles», mais les activités des ces associations doivent être garanties par un accord d’association avec le ministère de la défense. La Roumanie – ce pays n’a pas répondu au questionnaire – impose une restriction aux membres des forces armées, à savoir qu’ils ne sont pas autorisés «à s’affilier à des syndicats ou associations qui vont à l’encontre du commandement unique. Autrement, leur participation à une association de défense des intérêts professionnels est autorisée. Le ministère slovène de la Défense aide et finance l’Association des officiers slovènes et d’autres organisations dont les activités sont d’une importance particulière pour la défense. L’Ukraine autorise la création d’associations volontaires pour protéger les intérêts professionnels du personnel militaire, à l’exception des organisations dont «le statut est contraire aux préceptes des activités des forces armées de l’Ukraine».

23.       En conclusion, plusieurs réponses au questionnaire révèlent que, dans quelques Etats membres, l’association des membres du personnel professionnel des forces armées est encore interdite, en violation de l’article 11 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales. La Croatie, la France, l’Italie, la Pologne et la Yougoslavie interdisent expressément au personnel militaire d’organiser des syndicats et des partis politiques au sein des forces armées. Tous ces Etats, à l’exception de la Croatie, interdisent également aux membres des forces armées de former une association professionnelle. En Italie, il est illégal d’organiser une réunion du personnel militaire non liée aux devoirs de la fonction. Toutefois, le Parlement italien étudie actuellement une réforme de la représentation militaire. Les membres des forces armées françaises sont autorisés à se porter candidats aux élections des organes représentatifs aux niveaux local et national. Dans ce cas, plusieurs articles limitatifs du Code militaire sont suspendus pendant la durée de la campagne politique.

D.       Conclusions

24.       Votre rapporteuse conclut qu’en dépit de l’existence de l’article 11 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, de l’article 5 de la Charte sociale européenne ainsi que de la Résolution 903 et de la Recommandation 1415 de l’Assemblée, à l’heure actuelle, le droit de créer, de s’affilier et de participer activement à des associations constituées pour protéger ses intérêts professionnels est encore refusé au personnel militaire dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe.

25.       Les réponses au questionnaire révèlent que de nombreuses formes différentes d’association pour les membres des forces armées sont prévues par les lois et réglementations militaires dans les Etats membres. Dans certains d’entre eux, le personnel militaire jouit d’une totale liberté de réunion et d’association, but vers lequel tous les Etats membres devraient tendre. Toutefois, de nombreux autres pays imposent des limitations, placent les associations professionnelles sous surveillance gouvernementale, voire interdisent catégoriquement aux membres des forces armées de s’associer.

26.       Bien que l’article 11 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales permette des restrictions légales à la liberté de réunion et d’association pour certains groupes professionnels – pour des motifs de protection de la sécurité nationale et d’ordre public – ces restrictions ne devraient pas s’appliquer au personnel militaire dans des circonstances normales, comme l’établit également la Résolution 903 (1988). Toutefois, ces restrictions, prévues pour des situations exceptionnelles, sont très souvent la règle pour le personnel militaire dans les Etats membres. Ces Etats membres ignorent ainsi les principes fondamentaux de la liberté de réunion et d’association de tous les citoyens. Le principe selon lequel les membres des forces armées sont considérés comme des «citoyens en uniforme» implique qu’ils devraient également jouir des droits sociaux fondamentaux. Il faut rappeler que selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le droit syndical est un droit mineur dont les modalités ne sont pas fixées, et la spécificité du droit syndical n’est pas reconnue. De nombreuses affaires concernant le droit syndical ont été déclarées irrecevables par la Commission ou la Cour.

27.       Votre rapporteuse estime que, compte tenu de l’intention initiale du deuxième paragraphe de l’article 11, des associations représentatives du personnel militaire devraient au moins être autorisées dans tous les Etats membres. Les membres du personnel professionnel des forces armées devraient ainsi avoir toute possibilité de négocier les conditions de travail, les conditions d’emploi et de rémunération.

28.       Toutefois, d’autres formes de la liberté d’association qui existent déjà ne devraient pas être exclues ou abolies. Certains Etats membres accordent déjà au personnel militaire les mêmes droits qu’aux citoyens ordinaires en ce qui concerne le droit de réunion ou d’association mais, même pour la plupart d’entre eux, ils font une exception en ce qui concerne le droit des forces armées de faire grève. C’est une limitation compréhensible mais seulement lorsque des questions de sécurité ou de stabilité nationales sont en jeu. Selon votre rapporteuse, la situation dans ces pays doit rester l’objectif final pour tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.

29.       Il n’y a aucune raison pour que les membres des forces armées en tant que «citoyens en uniforme» ne soient pas autorisés à s’affilier à des partis politiques. La neutralité politique des forces armées peut être assurée en limitant les activités politiques déclarées du personnel militaire qui est en uniforme ou qui fait état de son statut militaire. Le statut militaire peut également être suspendu à l’occasion de la candidature à un organe représentatif ou pendant la durée d’appartenance au dit organe.

30.       Parallèlement à l’octroi des droits d’association et d’affiliation à des partis politiques au personnel professionnel des forces armées, certains Etats membres ont désigné un médiateur indépendant pour les forces armées (inspecteur général). En cas de conflit du travail, un militaire ou un groupe de militaires peuvent s’adresser à ce médiateur impartial. Les rapports et conseils dudit médiateur sont ensuite pris en considération dans l’élaboration de la politique de la main-d’œuvre du ministère de la Défense. Votre rapporteuse est d’avis que parallèlement à la suppression des restrictions au droit d’association, les Etats membres devraient également envisager sérieusement de nommer un médiateur.

ANNEXE

Questionnaire

envoyé aux délégations parlementaires nationales

1.        L’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme se lit comme suit :

« Article 11 – Liberté de réunion et d’association

1       Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

2       L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat. »

Eu égard à cet article votre pays a-t-il imposé, dans le cas des personnels professionnels des forces armées, des restrictions au droit d’association allant au delà des limitations générales de ce droit en vigueur dans votre pays?

2.        Si oui, ces limitations concernent-elles

i. le droit d’être membre d’un parti politique et d’y jouer un rôle actif?

ii. le droit d’être membre d’une association protégeant les intérêts professionnels des personnels des forces armées et d’y jouer un rôle actif?

iii. d’autres droits?

3.        Eu égard à la Résolution 903 (1988) de l’Assemblée Parlementaire (jointe en annexe), notamment au paragraphe 8, quelles mesures ont été prises

a. par votre Parlement?

b. par votre Gouvernement?

c. par d’autres instances? 

pour garantir aux membres des forces armées le droit, dans des circonstances normales, de créer des associations spécifiques pour protéger leurs intérêts professionnels dans le cadre des institutions démocratiques, d’adhérer à de telles associations et d’y jouer un rôle actif.

Commission chargée du rapport: commission des questions juridiques et des droits de l’homme

Renvoi en commission: Doc. 9080 et renvoi n° 2607 du 22 mai 2001

Projet de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 13 juin 2002

Membres de la commission: M. Lintner (Président), M. Magnusson, Mme Gülek, M. Marty (Vice-présidents), M. Akçali, M. G. Aliyev, M. Andican, M. Arabadjiev, Mme van Ardenne-van der Hoeven, M. Attard Montalto, M. Barquero Vázquez, M. Bindig, M. Brejc, M. Bruce, M. Bulavinov (remplaçant: M. Khripel), M. Chaklein, Mme Christmas-Møller, M. Clerfayt, M. Contestabile, M. Davis, M. Dimas, M. Engeset, M. Enright, Mme Err, M. Fedorov, Mme Frimansdóttir, M. Frunda, M. Guardans, M. Gustafsson, Mme Hajiyeva, M. Holovaty, M. Jansson, M. Jaskiernia, M. Jurgens, M. Kastanidis, M. Kelemen, M. Kostytsky, M. S. Kovalev (remplaçant: M. Zavgayev), M. Kresák, M. Kroll, M. Kroupa, M. Lacão, Mme Libane, M. Lippelt, M. Manzella, Mme Markovic-Dimova, M. Mas Torres, M. Masseret, M. McNamara, M. Meelak, M. Michel, Mme Nabholz-Haidegger, M. Nachbar, M. Olteanu, Mme Pasternak, M. Pellicini (remplaçant: M. Budin), M. Penchev, M. Piscitello, Mme Postoica, M. Pourgourides, Mme Roudy, M. Rustamyan, M. Skrabalo, M. Solé Tura, M. Spindelegger, M. Stankevic, M. Stoica, Mme Stoisits, Mme Süssmuth, M. Svoboda, M. Symonenko, M. Tabajdi, M. Tepshi, Mme Tevdoradze, M. Vanoost, M. Vera Jardim, M. Volpinari, M. Wilkinson, Mme Wohlwend

N.B. Les noms des membres qui ont participé à la réunion sont indiqués en italique.

Secrétaires de la commission: Mme Coin, M. Sich, Mme Kleinsorge, M. Ćupina, M. Milner

1 . Réponse du Comité des Ministres aux Recommandations 1354 (1998) et 1415 (1999).


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