le patron des armées en conflit avec Sarko

Le patron des armées en conflit avec Sarko (Extrait Le Canard enchaîné du 19 mars 2008)

Il désapprouve l’envoi de renforts en Afghanistan. Tandis que les députés, eux continuent d’ignorer cette guerre.

La semaine dernière, devant son cabinet, le général Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées, ne s’est pas renié. « Comme je le répète depuis un moment, a-t-il lancé devant ses collègues étoilés, l’Afghanistan devient un merdier ingérable. Et nous n’avons aucun intérêt à nous y impliquer davantage. »

Ce n’est pas en effet la première fois que le général Georgelin donne ainsi de la voix. Cela devient presque une tradition. En 2003, Henri Bentegeat, alors chef d’état-major, avait en vain déconseillé à Chirac d’intervenir en Afghanistan. A l’époque, le prédécesseur de Sarkozy souhaitait renouer avec Bush et prouver sa volonté d’engager le combat contre le « terrorisme international ».

C’est dire s’il est remarquable que deux patrons des armées successifs aient pris des positions aussi critiques sur la participation de la France à une guerre. Alors que, depuis 2003 et jusqu’à aujourd’hui, députés et dirigeants politiques n’ont pas ouvert la bouche sur le sujet. Que ce soit pour saluer avec ferveur ou désapprouver l’envoi de soldats français sur le front afghan…

Généraux en retraite

Dès l’élection présidentielle puis en septembre 2007, « Le Canard » avait annoncé que Sarkozy comptait accroître l’engagement français dans ce conflit. Et il n’en démordra pas. A Bucarest, lors du sommet de l’Otan, du 2 au 4 avril, il révélera l’importance des renforts qui partiront vers Kaboul. Malgré les réticences du général Georgelin, qui craint de voir des unités françaises piégées « dans une logique d’escalade » semblable à celle que connaît l’Irak, et considérées comme une force d’occupation dans un narco-Etat, premier producteur mondial d’opium.

Le patron des armées devra en rabattre. Faute d’avoir pu amener Sarko à ses vues, il se dit favorable à un « déplacement géographique » d’une partie du contingent français vers des zones où opèrent les talibans, plutôt qu’à une augmentation de ses effectifs. De même, le général Georgelin accepte l’envoi de 250 membres des « forces spéciales » et de nouveaux avions de combat au côté des Rafale déjà sur place. Le patron de l’armée de terre, Bruno Cuche, et d’autres généraux se montrent tout aussi prudents que Georgelin. Car, dit l’un d’eux, « on est aux limites de nos capacités en effectifs » 

Sarkozy n’ignore pourtant pas dans quel guêpier il se fourvoie. Et s’il lit les documents qu’on lui transmet, il doit savoir ce qui suit. Depuis 2003, le nombre des militaires alliés présents en Afghanistan (aujourd’hui environ 50 000 hommes) a plus que quadruplé. Quant au secrétaire général de l’Otan, Hoop Scheffer, il vient d’annoncer qu’il faudra y combattre les insurgés jusqu’en 2013, au minimum.

Autre excellente nouvelle, transmise à l’Otan par l’Américain Michael McDonnel, directeur national du renseignement, les talibans et les chefs de tribu qui leur sont favorables contrôlent 70% du territoire afghan. Et le même de proposer d’installer des bases de combat contre la rébellion le long des 2 500 kilomètres de frontières montagneuses entre l’Afghanistan et le Pakistan. Un doux rêve…

Plus raisonnable paraît être le général US James Jones, ancien commandant suprême des forces de l’Otan. Dans un document élaboré sous sa responsabilité et transmis au siège de l’Alliance atlantique, il affirme, péremptoire : « L’Otan n’est pas en train de gagner la guerre en Afghanistan. »  

Mais rien de tout cela ne peut arrêter Sarkozy sur le sentier de la guerre auprès de l’ami américain. Aussi a-t-il décidé de créer une petite base française à Abou Dhabi, à 200 km des côtes iraniennes. Sans que cette initiative belliqueuse provoque, bien sur, le moindre débat au Conseil des ministres ou à l’Assemblée.

Claude Angeli

 

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