Inquiétudes pour l’armée de terre

Par Renaud Marie de Brassac

Les témoignages reçus par l’association de défense des droits des militaires la conduise à rejoindre les préoccupations du général de corps d’armée Jean-Claude Thomann publiées dans le journal LE MONDE du 13 mai 2008 dans un article intitulé « Menace sur notre capacité militaire »:

L’Adefdromil approuve sans restriction le point de vue éclairé du Général Thomann qui met en cause la vision technocratique des membres chargés de la publication du Livre blanc sur la sécurité et la défense : « chef-d’œuvre du raisonnement technocratique, ses attendus comme ses conclusions ignorent certaines réalités opérationnelles et fonctionnelles des armées ».

Dans cet article, le général Thomann souligne la composition surprenante de la commission en charge de la rationalisation du soutien : un préfet et un bataillon de contrôleurs généraux des armées. A la réflexion, ces contrôleurs généraux des armées sont-ils les plus qualifiés pour s’attaquer à cette réforme du soutien de l’armée française ? N’aurait-il pas été plus judicieux de confier cette mission à des officiers généraux ayant exercé des responsabilités opérationnelles ? C’est-à-dire aux véritables chefs de notre armée, c’est-à-dire à ceux qui ont commandé des unités dans un cadre interarmées, à ceux qui ont participé à des opérations extérieures ou à des missions onusiennes, à ceux qui ont organisé des évacuations de ressortissants français et étrangers, à ceux qui ont tout simplement commandé des hommes sur le terrain et non à partir d’un fauteuil installé dans un bureau feutré de l’hôtel de Brienne ou du boulevard Saint Germain.

Les technocrates en charge du livre blanc sont plus sensibles aux pressions des lobbies aéronautique, naval et nucléaire comme le souligne le général Thomann qu’au devenir de l’armée de terre moins porteur en termes de contrats pour les industries d’armement. Pourtant, il semblerait que les matériels de l’armée de terre soient pour la plupart obsolètes ou manquent cruellement de pièces détachées. Il en va ainsi par exemple des parcs blindés à roues et de transport de troupes chenillés, des hélicoptères de transport Puma etc.

La commission de rédaction sur le Livre blanc aurait été bien inspirée d’inclure dans ses auditions quelques sous-officiers opérationnels. Elle aurait pu ainsi découvrir la réalité du terrain notamment dans les Balkans, en Afghanistan… Voici quelques témoignages adressés à l’Adefdromil :

Balkans :

« J’ai récemment servi 9 mois dans les Balkans au sein de l’OTAN. C’est triste à dire mais la France est le quart monde des nations intervenantes. Nous sommes loin derrière les pays de l’ex bloc de l’Est. Entre un paquetage composé de vêtements d’occasion, des véhicules hors d’âge (309 Peugeot, Citroën BX), nous faisons pale figure. Ayant une fuite d’huile, notre transal a été obligé d’atterrir en urgence à Istres.

Ce manque de moyens est très dommageable car nous avons des hommes de valeur qui ne peuvent pas exprimer pleinement leurs compétences.

Pire, pour les avions, je m’interroge sur les limites de la sécurité »

Afghanistan.

« Je suis rentré il y a peu de temps d’un séjour de plusieurs semaines à Kandahar, en Afghanistan. De nombreux points ont choqué mes camarades et moi-même.

Si notre mise en place fût une décision politique, il faut bien reconnaître que le « commandement » a misé sur la capacité d’adaptation de ses sous-officiers et sur l’emploi du « système D »! En effet, chacun sait que le sous-officier est un râleur mais aussi qu’il est expert pour mener à bien toutes les missions confiées malgré l’absence de moyens, de soutien de ses supérieurs, parfois de confiance et très souvent de… considération!

Arrivés sur le site de Kandahar, nous étions des parasites.

  • Aucun moyen de communication avec nos familles. Nous téléphonions chez les anglais et allions sur internet chez les américains.
  • Pas de douches ni de toilettes. Nous nous rendions chez les Népalais.
  • Pour maintenir notre condition physique, aucune salle de sport : les Canadiens nous ont reçus à bras ouverts, les Américains aussi.
  • Pas de foyer pour se détendre: les Hollandais, les Canadiens et les Anglais nous ont ouverts leurs installations.

Bref, aucun soutien des hommes !

Concernant le logement, dès notre arrivée sur Kandahar, nous étions 80 sous tente ce qui est excellent pour se reposer dans le calme ! Après trois semaines de ce régime, nous nous sommes retrouvés finalement à douze par tente. C’était mieux… mais cela reste des tentes !

Quand le froid arrivât, les appareils de chauffage n’étaient pas encore là. Une fois que nous les avons touchés, ils étaient… en nombre insuffisant ! Le commissaire se contenta de nous dire : « ce n’est pas prévu d’en avoir plus! ». On pouvait légitimement s’attendre à ce qu’il nous répondit « je vais voir se que je peux faire pour en avoir plus ! ».

Sur une Base de 10 000 personnes, nous étions seulement 150 français. Au sein de ce petit détachement aurait du régner une bonne ambiance. Et bien non ! Le commandant du détachement air ne nous disait pas bonjour, ne venait jamais nous voir, bref, il ignorait ses hommes. Belle mentalité !

Au niveau opérationnel, le matériel est arrivé en vrac, au coup par coup…rien de bien défini !

N’ayant pas d’oxygène pour les centrales des avions, nous nous sommes fournis chez les hollandais. En guise de remerciement, une fois notre installation d’O2 mise en place, le CST de notre détachement nous a dit: « le mieux maintenant, c’est que chacun se débrouille de son côté (Français et hollandais). » C’est le mécano O2 Français qui a fait un geste pour remercier nos amis hollandais…

Comme nous étions une bonne équipe, cela s’est finalement bien passé. Nous avions foi en notre travail: assurer le support des troupes au sol!!

Les avions étaient présents à chaque fois que les troupes terrestres en faisaient la demande malgré un commandement fantôme et sans soutien de l’armée de l’air à ses hommes. Ceci aurait pu être préjudiciable à notre travail, à notre moral et à la sécurité des vols ce qui aurait eu pour conséquence une absence de soutien des troupes au sol.

La mission terminée, nos supérieurs reçurent les félicitations, se congratulèrent pour le travail accompli sans moyens et avec, ils l’oublièrent très rapidement, le dernier maillon de la chaîne : les sous-officiers.

L’eau doit toujours être limite sur le camp (sous tente, je répète) mais le Rafale est présent sur le sol Afghans: respect…

Par décence, nous ne parlerons pas des rémunérations… »

Françaises, Français, voici ce que les politiques ont fait de notre armée !

Comme l’écrit le général Thomann, « la décision appartient au président de la République, qui, mieux que quiconque, peut apprécier notre besoin opérationnel et choisir les moyens les plus appropriés pour préserver notre influence dans la conduite des relations internationales. Garant de la sécurité et de la défense de nos concitoyens, il ne peut ignorer les vrais défis à relever dans les prochaines années… »

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