Le « moral » des Gendarmes

Lire la note du Président de l’Adefdromil.

La coupe est pleine … sur nos écrans, dans les journaux, on nous commente quotidiennement la montée en puissance du mécontentement qui, parti des brigades, a atteint les circonscriptions de gendarmerie à la faveur du « rapport sur le moral » et plus récemment encore a été repris par le général directeur des ressources humaines. Il croit devoir venir nous expliquer pourquoi cette grogne est justifiée et de quelle manière on a poussé la maréchaussée « à bout ». On avait pris l’habitude de voir les épouses au créneau…mais si la hiérarchie s’en mêle… !

Après 1989 et les lettres anonymes qui avaient servi de prétexte à une grande distribution de cadeaux au nez et à la barbe des trois armées nous avions connu une dizaine d’années de calme jusqu’en 2001, les manifestations du Languedoc, la traînée de poudre à travers l’hexagone , le spectacle d’un général commandant de région conspué en direct sous les caméras, avant que le ministre ne sable la victoire au champagne aves « les mutins ». Mais les avantages, une fois digérés…il en faut d’autres.

En fait, depuis un quart de siècle, nous devons supporter les caprices « d’enfants gâtés » de ceux qui s’acharnent à tirer les marrons du feu en jouant sur deux tableaux :

se proclamer « auxiliaire de justice » auprès de la hiérarchie militaire et exiger les avantages de la police nationale. Se positionner dans le monde militaire auprès du ministère de l’intérieur pour bénéficier de la considération et des avantages « du soldat » !

… et c’est ainsi que bon an mal an, nos « pandores » s’acharnant à « rouler pour eux » parviennent à préserver une image qui est aujourd’hui totalement usurpée.

Nous sommes un certain nombre (actifs et retraités) à oser le dire et à le proclamer sous couvert de l’anonymat… comme ils savent si bien le faire eux-mêmes. Nous sommes infiniment plus nombreux à le penser : les militaires des autres armées en ont « ral’bol » de voir ces gens se recommander de leur identité et tiennent à le faire savoir… à leur manière. Ils demandent à l’Adefdromil, puisque c’est son rôle, d’en être l’interprète…

La disponibilité ? ne nous faites pas rire…si vous êtes victime d’une agression aux portes d’une gendarmerie après 18 heures il vaut mieux avoir l’annuaire sous le bras pour appeler le centre opérationnel, qui vous enverra une patrouille d’une localité voisine au bout d’une demie heure…si elle est disponible et après vous avoir fait subir un interrogatoire en règle.

La mobilité ? Parlons-en ! A 35 ans de service le gendarme part bien souvent en retraite après 4 ou au plus 5 mutations et 12 années passées dans son pays d’origine… Son épouse a tout loisir d’exercer une activité professionnelle, celle du militaire ne peut en dire autant.

Les « conditions matérielles » ? il en faudrait des « opex » pour compenser le prix du loyer gratis et la prime de police intégrée à la retraite après 20 années d’un combat acharné à l’assemblée nationale. Sans compter l’environnement social, les colonies de vacances, etc…

Tout le monde le sait très bien et les plus anciens en gardent un souvenir précis : c’est en 1981 avec l’arrivée de la gauche et sous l’impulsion de Charles HERNU, fils de gendarme, que « nos camarades » ont songé à exploiter inlassablement un filon favorable et fait progresser un statut qui leur a permis de devenir aujourd’hui de façon incontestable les privilégiés…du monde militaire.

Ce mot « militaire », il est choquant que de nos jours les gendarmes puissent s’en réclamer. Pire : c’est une escroquerie qu’ils osent s’identifier à ceux qui ont pour vocation à faire la guerre lorsque le pays est confronté à un conflit, eux qui précisément et « par construction »…ne la font jamais !

Ce fut donc une véritable insulte au monde combattant…au vrai, de voir il y a quelques mois les restes d’un soldat de Dien Bien Phu portés par deux gendarmes à l’occasion de son accueil officiel dans la cour des Invalides. Personne n’a osé dénoncer officiellement cette imposture ! (Saint Tropez oui, Dien Bien Phu non !)

Et chaque année, ces dépôts de gerbes à l’Arc de triomphe à l’occasion de la commémoration de l’Armistice !! Où était la maréchaussée pendant la grande guerre ? Peut-être dans les gares à contrôler les permissionnaires…mais certainement pas à Verdun ou au Chemin des dames ! Parlons-en justement au moment où nous allons perdre nos deux derniers poilus. N’importe quel « appelé » depuis 14-18 jusqu’à l’Algérie mérite plus le titre de « militaire » que nos pandores qui sans arrêt s’en réclament. On n’est sûr que d’une chose concernant le « soldat inconnu »…c’est qu’il n’est pas gendarme. Il faut oser le dire !

Sans même parler du GIGN… et de ses dérives, des « écoutes », des « irlandais », des « paillotes », et d’un certain nombre « d’affaires » qui, il faut le reconnaître, n’épargnent aucune institution mais montrent bien que le milieu n’est ni aussi exemplaire ni aussi transparent qu’il le proclame. Ceux qui l’ont approché ne peuvent l’ignorer.

Faut-il pour autant « jeter toute l’institution avec l’eau de la lessive » ? Certainement pas.

La Gendarmerie a développé un savoir-faire et un professionnalisme qui est l’apanage, hélas trop souvent, de ses sous-officiers. Car il est là le véritable problème : ce « fossé » entre les gens du terrain et cette hiérarchie « suffisante » et trop souvent inutile. Il est pesant et ne peut échapper à l’observation car il remplit leurs forums de cette tension permanente entre les gendarmes et leurs officiers. Chacun le sait, personne n’ose le dire. Qu’on le traite une bonne fois pour toute !

Alors…au moment où l’on se penche gravement sur les problèmes de sécurité et de défense, où le livre blanc est en gestation et quelques mois avant de « restructurer » une fois de plus, nous venons dire à ceux qui décident : osez !!… et au ministère de l’intérieur qui va « recevoir » les gendarmes : « prenez-les, et surtout gardez-les !! »

… pour éviter de pourrir ce qui reste sain dans les autres armées.

Soyez en sûrs…beaucoup le pensent.

Destinataire :

Adefdromil

Copies à :

Ministère de la Défense (cabinet) Ministère de l’intérieur (cabinet) Le Figaro (courrier des lecteurs)

NOTE DU PRESIDENT DE L’ADEFDROMIL

En raison même de son audience, l’ADEFDROMIL reçoit régulièrement des lettres anonymes exprimant des points de vue divers et variés.

Ce faisant les auteurs de ces écrits cherchent de toute évidence à nous manipuler et nous instrumentaliser.

Qu’on ait le besoin de préserver son anonymat face à la hiérarchie, nous pouvons le comprendre. En revanche, le fait qu’un écrit nous parvienne de manière anonyme le rend éminemment suspect puisque nous sommes indépendants de la hiérarchie.

C’est pour cette raison que nous refusons de publier de tels écrits qui n’apportent aucune garantie.

A titre exceptionnel, nous avons pourtant décidé de publier cette lettre sur le malaise des gendarmes qui émanerait selon ce qui est dit d’un groupe de militaires d’active et à la retraite. Le style et le ton font plutôt penser à un écrit rédigé par un officier général ou supérieur de l’EMAT ou de l’EMA. Il convient donc de le lire avec toutes les précautions et les réserves d’usage. Ce documentadressé en copie au cabinet du ministre de la défense, du ministre de l’intérieur et au courrier des lecteurs du journal Le Figaro,n’engage pas l’ADEFDROMIL.

Toutefois, il nous paraît refléter l’opinion de nombreux militaires des trois armées exaspérés par l’agitation dans la gendarmerie et l’écoute qu’elle reçoit. Car, il n’y a en effet, aucune raison de traiter différemment le malaise des gendarmes de celui des autres militaires. A cet égard, le rapport du HCECM n’a pas fait de distinction lorsqu’il a souligné que « le classement des militaires a évolué moins favorablement que celui d’autres corps en uniforme de la police nationale et de l’administration pénitentiaire qui ont bénéficié de revalorisations récentes et importantes ».

Telle est la raison qui nous conduit à publier cet écrit, significatif du fossé bien connu qui sépare les armées et la gendarmerie.

Nous croyons devoir préciser que le malaise de la gendarmerie est bien réel et que son rattachement au Ministère de l’Intérieur sous statut militaire ne peut être qu’une étape vers des restructurations plus importantes.

On peut comprendre les inquiétudes des différentes armées face aux avancées obtenues ou susceptibles d’être obtenues par la gendarmerie. Mais qu’ont-elles fait pour défendre les intérêts de leurs personnels ? Elles se sont complus dans une position d’attente, croyant que le principe d’égalité de traitement allait jouer en leur faveur. Il n’en a malheureusement pas été ainsi. Lorsqu’il a été décidé d’inclure l’ISSP dans le calcul de la retraite des gendarmes ces mêmes armées n’ont pas cherché à obtenir l’intégration des primes de qualification de leurs personnels ! Les chefs militaires qui doivent selon le statut général des militaires veiller aux intérêts de leurs subordonnés sont directement responsables de la dégradation de la condition militaire. Qui est à l’origine de la création de la solde OPEX ? Qui a toléré que les charges militaires ne soient plus un « accessoire permanent de la solde » ? Qui a accepté que les fusiliers commandos de l’air qui figuraient sur le décret de l’armée de l’air soient transférés sur le décret des parachutistes afin de permettre l’unique revalorisation de l’ISA1 des pilotes ? Qui a accepté avec la complicité du CSFM que les primes ne soient plus versées aux militaires en période de reconversion ? Qui a accepté que l’avocat ne puisse plus défendre les militaires de la légion étrangère traduits devant un conseil d’enquête si ce ne sont les chefs de la Légion étrangère avec le concours bienveillant du CSFM ? Qui a accepté que du jour au lendemain les règles d’attribution de l’IDPNO changent sans aucune mesure transitoire ? Qui a accepté qu’une commission des recours des militaires soit créée avec des délais prohibitifs du droit commun au seul détriment des militaires alors que l’article 23 de la loi2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives concerne tous les fonctionnaires[1]? Qui a accepté que les textes fondateurs de la commission des recours des militaires soient modifiés dans le seul but de rendre plus opaques les fondements des avis donnés au ministre de la défense ? C’est ainsi que les avis des rapporteurs communicables de plein droit aux requérants en application de la loi sur la communication des documents administratifs ne sont plus communiqués depuis 2003 au motif qu’ils seraient purement oraux ! De qui se moque-t-on ? Les chefs militaires ne veillent pas aux intérêts de leurs subordonnés mais à leur remise en cause ou leur réduction. Une chose est certaine : pas un seul fonctionnaire ne serait demeuré inactif face à de telles décisions !

Au lieu de faire corps avec la gendarmerie, une nouvelle fois l’armée de terre se veut plus légaliste qu’elle ne l’est en vérité et crie aux loups en condamnant les méthodes employées par les gendarmes pour faire aboutir leurs revendications. Cela relève nous disent les membres du CFMT dans leur avis que ce « comportement tient davantage de l’action syndicale que du respect des principes de la loi portant statut général des militaires. »

Avant de porter de tels jugements péremptoires, les membres du CFMT feraient bien de se pencher sur l’histoire de l’armée de terre. Ils y découvriront l’existence des comités de soldats dans les années 1970 – 1979 [2] très souvent encouragés par les militaires de carrière ou sous contrat. C’est ainsi par exemple qu’en 1970, dans le régiment d’élite qu’est le R.I.C.M., trois soldats sont emprisonnés pour avoir confectionné le journalcrosse en l’air [3], que le 1er septembre 1974, deux cents soldats et sous-officiers du régiment de marche du Tchad écrivent au ministre des armées pour lui faire part de leurs revendications, qu’en décembre 1973 une lettre des neuf de Frileuse est envoyée à la presse, qu’en 1974 est lancé« L’Appel des 100 » [4] que fin 1974 arrive le temps des manifestations de rue des soldats [5], qu’à partir de 1975 vont reparaître à l’intérieur des casernes les journaux revendicatifs Tam Tam au 24°RIMa de Perpignan, Sapeur Majeur au 5°R.G. de Versailles, que les 1er mai 1977-1978 donnent lieu à des manifestations à visage découvert et en 1979 à une révolte dans le train Paris-Nancy ! Grâce à ces mouvements, le statut général des militaires verra le jour en 1972, un nouveau règlement de discipline générale en 1975, les brimades seront interdites, les soldes des appelés améliorées, celles des militaires aussi !

Il n’y avait pas durant cette période de « comités de gendarmes » de nature à miner l’esprit de discipline propre et indispensable aux forces armées et je ne me souviens pas avoir vu ou lu un quelconque article émanant de la gendarmerie dénonçant ou montrant du doigt les méthodes employées par les autres armées pour obtenir une revalorisation de leur condition militaire. Car, je le rappelle, très souvent, les militaires d’active encourageaient les comités de soldats [6].

Par ailleurs, la Gendarmerie, dans le cadre de ses missions, n’a jamais manqué de fournir aux armées des unités combattantes et des volontaires. Elle a eu aussi ses morts et ses héros, même si ce n’est pas elle qui porte la responsabilité de la défaite de 1940 ou de la chute de Dien Bien Phu ! A cet égard les auteurs anonymes de ce tract devraient visiter le site du ministère de la défense, service historique, ils y découvriront qu’en Indochine, la gendarmerie nationale constituait le 2ème contingent au sein des troupes françaises, après la Légion étrangère. Qu’elle a pris de ce fait une part active au conflit jusqu’en 1954. Outre les missions prévôtales, les gendarmes étaient chargés d’encadrer et de former les nombreuses gardes provinciales composées d’autochtones restés fidèles à la France. Près de 3200 gendarmes ont participé directement aux batailles, notamment à Diên Biên Phu, où ils sont nombreux à avoir péri lors du siège ou en captivité. Je me devais, pour l’honneur de la Gendarmerie et le respect de tous les gendarmes morts au combat ou en captivité, de rappeler cette vérité historique que des revendications matérielles ou des observations d’ordre éthique, aussi légitimes soient-elles, ne sauraient altérer.

Michel BAVOIL

Président de l’Adefdromil

[1]« Les recours contentieux formés par les agents soumis aux dispositions des lois n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et n°72-662 du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires à l’encontre d’actes relatifs à leur situation personnelle sont, à l’exception de ceux concernant leur recrutement ou l’exercice du pouvoir disciplinaire, précédés d’un recours administratif préalable exercé dans des conditions fixées par Décret en Conseil d’Etat ».

[2] Comités de soldats dans l’armée de terre : en 1976 = 56 ; en 1977 = 100 ; en 1978 = 68 ; en 1979 = 66 ; dans l’armée de l’air : en 1976 = 8 ; en 1977 = 20 ; en 1978 = 8 ; en 1979 = 10 ; dans la marine : en 1976 = 4 ; en 1977 = 4 ; en 1978 = 2 ; en 1979 = 2 ; dans les écoles : en 1976 = 3 ; en 1977 = 6 ; en 1978 = 6 ; en 1979 = 3.

[3] A l’issue de leur procès, le commissaire du gouvernement passe sans le savoir à la postérité en déclarant que« dans l’armée, il n’y a que des soldats disciplinés ou des héros, il n’y a pas de martyrs ». (Source « M… comme militaire » Alain MOREAU).

[4] Plus de 5000 noms vont être apposés sous ce texte qui condense les principales revendications des soldats.

[5] 200 à Draguignan, 300 à Karlsruhe, 150 à Verdun, 50 à Nancy, 150 à Lunéville, à visage découvert, pour une solde décente, des permissions régulières, contre le racisme et les brimades. (source « M… comme militaire » Alain MOREAU).

[6] J’occupais de 1973 à 1979 les fonctions de commis greffier auxiliaire au Tribunal Militaire aux Armées de LANDAU en Allemagne. Affecté au parquet, je réceptionnais les procédures judiciaires, ouvrais les dossiers et les remettais au commissaire du gouvernement. Très souvent, il se rendait à Paris pour connaître la suite à donner…

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