Armée de terre : Une gestion des ressources … inhumaine

Au même titre que le reste de la Fonction publique (Stratégie Ministérielle de Réforme oblige), l’Armée de terre a décidé de moderniser sa gestion des ressources humaines. Pour cela elle s’appuie sur sa direction du personnel militaire de l’armée de terre (DPMAT) qui a ses petites ficelles pour tempérer les individus qui seraient tentés de s’élever contre des pratiques à la « limite » du réglementaire ou de la morale.

Dans ce cadre, depuis 2 ans des excès concernant les mutations en vue de tenir « un poste à plus haute responsabilité » en état-major ou prendre un temps de commandement de compagnie sont observés à une échelle assez importante pour qu’ils méritent d’être évoqués dans cette tribune.

Ces excès se rapportent à la méthode employée par les bureaux de gestion de la DPMAT quand ils décident de muter des personnels officiers (jeunes capitaines) sur des critères professionnels, géographiques et de durée d’affectation (jusqu’à moins de 2 ans entre deux mutations !) qui leur appartiennent.

Quand ils n’invoquent pas la politique de gestion de leur Général-directeur DPMAT pour arriver à leurs fins, ces « gestionnaires » se retranchent derrière des règlements (intelligemment écrits pour être interprétés dans le sens le plus favorable pour eux).

Ces excès se font cependant pour le plus grand bien de la stabilité et de la carrière d’une nomenklatura très protégée et préservée par un « statut » avantageux que représentent les jeunes officiers issus de Saint-Cyr.

Ces abus pourraient être cocasses s’ils n’avaient pas de répercussion sur les familles (perte d’emploi du conjoint, perte du logement, déstabilisation de la cellule familiale, célibat géographique…) si ils ne frappaient pas les plus faibles (ceux qui ne comptent aucune relation dans la hiérarchie) liés par une situation précaire du fait de leur statut d’officier contractuel comme les officiers sous contrat (OSC) ou fragile du fait de leur origine statutaire comme les officiers de recrutement « tardif » ou « semi direct tardif » et qui sont destinés aux emplois, carrières et garnisons les moins gratifiants.

La méthode type adoptée est chronologique et se joue en 5 actes. Pour un déroulement type prenons exemple des mutations 2006/2007.

Acte 1 : l’annonce dans les unités et organismes ou la phase de préparation.

En juin/juillet de l’année 2006, le personnel « pressenti » est averti qu’il est susceptible d’être muté au cours de l’été 2007 pour tenir un poste en état-major ou prendre un temps de commandement d’unité élémentaire. Il lui est alors remis une fiche de desiderata de mutation (FIDEMUT) à renseigner où doivent apparaître 4 garnisons futures souhaitées par ordre de priorité dont l’une au moins est obligatoirement située en région terre Nord-est (RT-NE) ou en région terre Ile-de-France (RT-IDF). Une fois remplie, cette fiche est envoyée à la DPMAT. Il est entendu que l’intéressé peut mentionner son désir de n’être pas muté afin d’exercer son temps de commandement ou renforcer l’état-major au sein de son affectation actuelle où des places seront à prendre à l’été suivant.

Acte 2 : Le dialogue ou la phase de déstabilisation et d’intimidation

Le gestionnaire transmet à l’intéressé, en septembre/octobre 2006, verbalement et par DRH interposés la confirmation de sa mutation tout en le priant de renoncer à ses 4 choix initiaux car, comme il fallait s’y attendre, aucun poste n’est disponible. L’intéressé est invité à renouveler sa demande en formulant 4 nouveaux choix.

L’opération peut se répéter !

Si le dialogue n’aboutit pas, le gestionnaire peut adresser une fiche de dernière proposition d’affectation. Il demande, sous couvert du chef de corps, a l’intéressé de classer par ordre de priorité les possibilités d’affectations répondant aux besoins de l’armée de terre en regard de ses qualifications. L’affectation retenue par la direction du personnel figure sur cette fiche qui n’appelle plus d’autres propositions !

Visiblement deux éléments ne sont pas pris en compte par la DPMAT :

Le format réduit de l’armée de terre, Les moyens internet,

qui permettent à chacun de savoir en quelques clics les postes qui se libèrent dans chaque garnison en France.

3°Acte : La gestion ou phase d’argumentation

L’individu est informé, en janvier 2007, verbalement (reçu par le DRH ou contacté par téléphone) de sa future destination qui ne correspond évidemment en rien aux quelques choix formulés. Il s’agit évidemment le plus souvent d’un joli port de pêche : Douai, Mailly, Mourmelon, La Courtine, Besançon, Suippes, Le Larzac, Valdahon…Lille au sein du CRR- FR, (Corps de Réaction Rapide- France) dernière fierté des armées.

Des arguments sont alors évoqués verbalement par les DRH pour convaincre le mécontent qui contesterait sa mutation : renouvellement de contrat ? Avancement ? Notation ? Possibilité de meilleure mutation ultérieure ?… Dans tous les cas, le récalcitrant a droit à la ritournelle : intérêt de l’Institution ! Primauté du temps de commandement ! Servir n’est pas se servir ! L’officier doit tenir son rang et montrer l’exemple…

4°Acte : La mutation ou phase de soumission

En février/mars 2007 et avant l’envoi de l’ordre de mutation (document officiel qui donne le lieu et la date de prise d’effet de la mutation. Il permet d’entamer les démarches en vue du déménagement, l’inscription des enfants à l’école etc.), le futur muté est invité verbalement par la DPMAT à rédiger une lettre manuscrite sur laquelle il doit faire apparaître son volontariat pour la mutation qui lui a été « proposée » !

Les arguments de soumission sont identiques à ceux du 3°Acte.

Pour celui qui refuse son « orientation professionnelle » ou sa mutation, c’est parfois l’invitation courtoise à signer un préavis de non renouvellement de contrat pour convenances personnelles !

5°Acte : Les statistiques ou la phase d’autosatisfaction

En 2005, la DPMAT annonçait plus de 71% de personnels satisfaits et 80% (hormis quelques cas particuliers) des ordres de mutation ont été rédigés avant la fin du mois d’avril !

Il faut souhaiter que les nouvelles équipes à la tête des bureaux de gestion fassent aussi bien en 2008.

Une petite enquête menée auprès des capitaines dans n’importe qu’elle unité de l’armée de terre confirmerait ces faits. Ainsi depuis deux ans, on s’aperçoit que pour permettre aux jeunes officiers issus de Saint-Cyr de bénéficier, sans délai, de temps de commandement d’unité élémentaire ou de poste à responsabilité au sein des meilleures unités (régiments prestigieux qui « tournent »), une majorité d’officiers issus des recrutements « subalternes » : « OAEA », « RANG » et « OSC » sont mutés en dehors des règles de mutabilité et pour servir dans les garnisons les moins attrayantes en termes géographiques et/ou professionnels : Mailly, Lille, Douai, La Courtine, Mourmelon…

Il faut ajouter que lors de leurs conférences ou dans leurs brochures d’information les gestionnaires de la DPMAT ne manquent pas une seule occasion pour citer en exemple leur modèle de gestion des hommes.

Certains suggèrent même de l’imposer à l’Education Nationale !

Renaud Marie de Brassac

Point de droit :

Aux termes de l’article L 4121-5 du code de la défense « les militaires peuvent être appelés à servir en tout temps et en tout lieu ».

Il résulte de ces dispositions législatives que le ministre de la défense peut à tout moment donner dans l’intérêt du service une nouvelle affectation à un militaire, sans que celui-ci puisse invoquer des droits acquis à sa précédente affectation ou invoquer des droits acquis à être muté selon ses désidératas notamment formulés dans les fiches individuelles de prévision de mutation (FIDEMUT).

En effet, la FIDEMUT est une aide préparatoire à la décision. Elle n’a aucune valeur règlementaire.

De même, il appartient au ministre d’apprécier les suites qui peuvent être données dans l’intérêt du service aux demandes de mutation qui lui sont formulées. Mais le ministre ne tient d’aucune disposition législative ou règlementaire le pouvoir de contraindre un agent qui demande une mutation ne correspondant pas aux voeux qu’il est invité à formuler.

Concernant les mutations d’office dans l’intérêt du service dont peuvent faire l’objet les militaires, elles ne sont pas au nombre des décisions administratives défavorables dont la loi du 11 juillet 1979 impose la motivation.

Enfin, l’autorité qui prononce une mutation d’office doit veiller que celle-ci ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de l’intéressé, au respect de sa vie privée et familiale au sens des stipulations de l’article 8 de la Convention Européenne des droits de l’homme.

En cas de contestation, c’est le tribunal administratif dans le ressort de la nouvelle affectation qui doit être saisi ou le Conseil d’Etat en ce qui concerne les officiers. Ceci après saisine de la Commission des recours des militaires.

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