Les armées françaises mises au pain sec

(Extrait du journal satirique Le canard enchaîné n°4531 du 29 août 2007)

Les valeureux guerriers qui défilaient devant la tribune présidentielle le 14 Juillet auraient sans doute moins bombé le torse s’ils avaient eu connaissance du rapport sur la glorieuse armée française remis la veille à Sarkozy.

Il s’agit, comme l’indique Morin dans sa lettre de transmission à son chef bien-aimé, d’un« état des lieux du ministère » que, en très discret ministre de la Défense, il a fait réaliser dès son arrivée, « conformément aux instructions reçues. » La majorité n’ayant pas changé, la démarche avait agacé MAM, qui s’était sentie visée.

Saluons sa clairvoyance. Cet audit est une exécution en règle de sa gestion. Sous prétexte de respecter la loi de programmation- le credo chiraquien-, la dame avait engagé des projets tous azimuts et promis n’importe quoi.

Cette boulimie n’a pas résisté à un examen du contrôle général des armées (l’inspection des finances maison), chargé du pensum. Il faudrait 32.5 milliards supplémentaires sur cinq ans pour honorer les futures factures. Les têtes pensantes du ministère sont désormais sommées de réfléchir à des « hypothèses réalistes ». Moralité : il va falloir se serrer le ceinturon. C’est écrit en toutes lettres dans le rapport : « des aménagements ont dû être apportés au projet initial, tant sur le format que sur les équipements. »

On passe sur le manque d’avions de transport, d’hélicos ou sur la « capacité de surveillance par drones ». Il y a mieux : « certains renouvellements (de matériel) ont été reportés jusqu’à la perte de toute marge calendaire ». En clair, sine die. Et il ne s’agit pas de bouton de guêtre. Les équipements en question concernent « tous les programmes de la dissuasion »– la base de la doctrine française de défense-et, en prime, « les avions de combat et ravitailleurs, [sans compter] les véhicules blindés moyens, les frégates et les sous-marins d’attaque et leurs torpilles ». Mon général doit se retourner dans sa tombe à Colombey.

On apprend aussi, dans cette passionnante revue de détail, que « certains matériels, prolongés bien au-delà des durées de vie prévues pour attendre la relève, sont susceptibles de manquer à l’appel », tels les vieux Transall, les chars AMX 10, etc.

Ce que les patrons du Contrôle général des armées appellent pudiquement des « tensions financières » a conduit à recruter 20 000 hommes de moins que prévu par la fameuse loi de programmation.

Pas si grave, puisqu’il a fallu abaisser « le taux de sélection au recrutement », qualifié de « préoccupant ». Pour les militaires du rang, on est ainsi tombé à une unique embauche pour 1.8 candidat. Autrement dit, à part les pieds plats et les débiles profonds, on prend tout ce qui se présente. Ce qui n’empêche pas les deux tiers de ces veinards de ne pas renouveler leur contrat. Des amabilités de ce genre, le rapport en est plein.

Sarko, quant à lui, a dévoré ces seize pages. Ce costard taillé sur mesure à Chirac et à MAM, c’est exactement ce qu’il attendait pour trancher dans le vif des crédits de défense. Hervé Morin, au moins, en voilà un ministre discipliné…

Brigitte Rossigneux

« confidentiel-dépense »

« La situation financière est réellement préoccupante », euphémise Morin, dans sa lettre à Sarko datée du 13 juillet. Les « engagements pris pour l’application de la loi de programmation militaire », censée accoucher du nouveau modèle d’armée d’ici à 2013, représentent la bagatelle de 109 milliards.

Pour tenir la distance, il faudrait mettre au pot « 6.5 milliards de plus par an » ! Et le bon Morin de conclure : « Répondre à ces besoins supposerait un effort manifestement incompatible avec les normes budgétaires. »

Perspicace avec ça !

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