Allocution de M. Nicolas SARKOZY, Président de la République

Palais de l’élysée, Paris, le 23 août 2007

Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et messieurs les ministres,
Monsieur le Président de la Commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale,
Mesdames et Messieurs, les membres de la commission,

J’ai souhaité donner une certaine solennité au lancement de vos travaux, à la fois pour marquer l’importance que j’y attache personnellement, comme chef de l’Etat, chef des armées, garant de l’indépendance du pays et du respect des traités internationaux, et pour souligner les impulsions nouvelles que j’entends imprimer à notre politique de défense et de sécurité.

Pourquoi un livre blanc ? Un livre blanc est un texte de référence qui définit, pour une certaine période, les objectifs d’une politique publique, le cadre dans lequel elle se développe, les choix qu’elle appelle, notamment pour adapter l’Etat. Les livres blancs sur la défense et la sécurité nationale sont d’une nature particulière : ils traduisent concrètement l’ambition de l’Etat sur l’essentiel, c’est-à-dire la survie de la nation. Et dans ce domaine, je fais mienne la phrase du général de Gaulle : " La défense ! C’est la première raison d’être de l’Etat. Il n’y peut manquer sans se détruire lui-même ".

Mais aujourd’hui dans le domaine de la défense et de la sécurité nationale, nous avons besoin d’un nouveau cadre.

Le Livre blanc dont vous engagez la préparation et que j’approuverai en mars prochain sera le troisième depuis le début de la Vème République, après celui de 1972 et celui de 1994.

Il sera différent des précédents. Différent parce que le monde se transforme vite. Différent parce que nos conceptions, notre doctrine, notre organisation doivent s’adapter, en conséquence, plus rapidement, sauf à prendre le risque que l’Etat manque à son premier devoir : protéger la population, le pays, le caractère républicain de ses institutions, les grands choix internationaux qui conditionnent sa sécurité et son bien-être. Différent enfin parce que j’en ai confié la réalisation à une commission au format et à la composition inédits, j’y reviendrai.

Mais vous ne partez pas de rien, tout n’est pas à réinventer. Les grandes fonctions de notre défense ; dissuasion, prévention, protection et projection restent valides. Notamment la dissuasion qui reste un impératif absolu sur lequel je me suis déjà clairement prononcé. Dans ce cadre, je souhaite que la réflexion que vous allez mener soit fidèle à la conception française de la défense et de la sécurité : c’est à dire globale dans sa vision du monde, exigeante sur son indépendance, ambitieuse pour l’Europe mais ouverte et pragmatique sur ses alliances, audacieuse dans son approche des droits de l’homme et particulièrement attentive aux régions du monde dans lesquelles la France est historiquement et culturellement présente.

J’ai voulu, d’emblée, que plusieurs changements marquent vos travaux.

Le premier tient à la nécessaire ouverture qui doit marquer la réflexion. C’est vital si nous voulons faire évoluer notre défense et notre sécurité nationale vers une meilleure prise en compte des enjeux du XXIème siècle. Nous devons construire la sécurité et la défense de demain en fonction des besoins, non en fonction d’habitudes ou de certitudes préétablies.

Bien entendu, puisqu’il s’agit de défense et de sécurité, ces travaux, notamment dans la phase de préparation des décisions, appelleront une certaine confidentialité, chacun le comprend.

Mais je souhaite une vraie rupture dans les méthodes. J’ai donc demandé au président de votre commission, dont je sais qu’il partage pleinement cette vision, de prêter une attention particulière à la prise en compte d’une grande diversité d’opinions, d’expertises, de sensibilités, politiques, professionnelles et sociales.

Cela impliquera des consultations larges auprès des différents acteurs de notre défense et de notre sécurité, à tous les niveaux, avec l’appui des ministres concernés.

Vous devrez aussi procéder à des auditions publiques au cours de vos travaux. Il faut sortir des cercles fermés et des réflexions en chambre. Je souhaite donc que vous puissiez recueillir l’avis de personnalités étrangères, notamment européennes, sur l’évolution future de l’environnement international et sur l’idée qu’elles se font de la politique française. Vous pourrez demander l’avis de scientifiques, philosophes ou sociologues susceptibles d’éclairer l’avenir et la pertinence de nos choix. Ou encore faire appel au témoignage et à l’expérience d’acteurs de terrain que l’on a peu l’habitude d’entendre.

Pour les mêmes raisons, je vous encourage également à aller à la rencontre de celles et ceux qui, au quotidien, servent la défense et la sécurité nationale : il faut bouger, écouter, apprendre, pour que cette réflexion tienne compte des réalités sociales, professionnelles, humaines que connaissent ceux qui ont choisi de servir la défense et la sécurité du pays.

L’ouverture, c’est aussi la présence parmi vous de membres de la représentation nationale et d’élus locaux. J’ai tenu personnellement à ce que le Parlement soit, cette fois, associé à la commission dès l’amont des travaux. Ceux-ci déboucheront, nous le savons, sur plusieurs traductions législatives. C’est en tout état de cause une dimension essentielle pour notre politique de défense et de sécurité nationale, essentielle pour le lien entre la nation, sa défense et ses choix en matière de sécurité. Je salue et remercie chaleureusement les membres des deux assemblées qui ont accepté cette tâche, dans le respect des prérogatives respectives et de la diversité des choix politiques de chacun.

Enfin, je tiens à souligner l’appel à contributions que vous allez lancer prochainement, notamment auprès des centres universitaires compétents, et la mise en place à cette fin d’un forum sur Internet. C’est une voie d’expression et de sensibilisation aujourd’hui indispensable. Je l’ai dit, je souhaite que les Français entendent parler de la défense à d’autres occasions que le seul 14 juillet.

L’autre changement tient à la conception large de la défense et de la sécurité nationale que je vous demande de définir. Comme vous, j’entends dire depuis des années que la sécurité extérieure de la France et la sécurité de et sur son territoire sont indissociables. Mais je n’en vois pas toujours la traduction concrète dans notre organisation, nos moyens, ou même notre réflexion !

A dire vrai, il faut s’interroger sur l’adéquation à la situation de demain de textes d’organisation de notre défense. Nous sommes tous d’accord pour estimer que la fin de la guerre froide aurait probablement du se traduire de façon plus concrète dans notre organisation et dans nos moyens. Le moment est venu de revoir des textes, certes vénérables comme les ordonnances de 59, mais qui datent d’un demi-siècle. Cette réflexion doit notamment permettre d’accélérer la réforme du ministère de la défense qui est une des clés de cette modernisation. Je laisse cela à votre appréciation : vous pressentez la mienne.

Je vous demande de me proposer une stratégie globale de défense et de sécurité nationale actualisées qui garantisse les intérêts de la nation si une surprise stratégique venait à les menacer. Avec pour objectifs majeurs, compréhensibles par tous nos concitoyens, la protection de la population et la défense des intérêts fondamentaux de la nation, y compris ses intérêts européens et internationaux.

Sur une base ainsi élargie, je souhaite engager une réforme de l’Etat, pour l’adapter aux défis futurs de notre sécurité, aux dimensions transnationales des menaces et des réponses aux menaces .Il faut à l’évidence décloisonner les services et les administrations, renforcer la dimension interarmées de nos capacités , mieux coordonner l’action interministérielle, être capables d’agir efficacement en coordination avec nos partenaires européens et internationaux, qui se sont dotés de structures modernisées.

Les Français attendent de l’Etat qu’il dispose de capacités d’anticipation et de capacités de réaction très rapides. C’est la contrepartie légitimement attendue des efforts, notamment financiers, consentis en faveur de la défense et de la sécurité nationale. Nous nous devons de répondre à cette attente. Anticipation et réactivité seront donc les maîtres mots de cette nouvelle stratégie.

Dans ce cadre, il faudra aussi aborder des aspects de cette politique publique qui n’avaient pu être traités à fond en 1994 : bien entendu, les conséquences de la professionnalisation des forces armées sur la relation entre la défense, la sécurité et la société ; mais aussi l’organisation de nos moyens sur le territoire métropolitain et outre-mer, ou encore les dimensions nouvelles de la sécurité civile face aux risques de catastrophes naturelles, de crise sanitaire internationale, ou d’hyper terrorisme.

Comme je m’y suis engagé devant les Français, cette réflexion sera conduite sans tabou. Les compétences qui sont ici rassemblées et leur diversité sont un gage de crédibilité.

La sécurité des Français exige en effet une identification aussi claire que possible des dangers contre lesquels il faut se prémunir, mais aussi des coopérations et des conditions de paix dans le monde qu’il faut encourager.

D’ores et déjà, le terrorisme et la prolifération apparaissent comme des enjeux majeurs. Ils étaient clairement identifiés dans le Livre Blanc de 1994 mais ils sont en passe de franchir un seuil particulièrement inquiétant. Notre sécurité ne s’y réduit pourtant pas. D’autres enjeux, moins évidents, d’autres données, moins connues, seront déterminants ou vont apparaître en pleine lumière dans les années à venir : je pense notamment à toutes les conséquences de la mondialisation.

Ne cédons pas aux visions réductrices, simplificatrices ou manichéennes du monde : elles sont rarement un gage de paix, elles ne sont guère dans la tradition de la France. Il est de notre responsabilité de préparer l’avenir en prenant en compte la complexité des enjeux, les causes des conflits possibles, et aussi les raisons d’espérer.

Au demeurant, et c’est une dimension essentielle de vos travaux, la France définit sa défense et sa sécurité nationale dans un cadre européen, transatlantique et international. Elle doit être à même de peser dans les organisations qui déterminent la paix et la sécurité internationale, comme de répondre aux obligations qui découlent de sa participation et de sa place au Conseil de sécurité. Il conviendra que vous me fassiez les propositions qui vous paraîtront les meilleures en ce sens. Je souhaite adapter notre politique et nos moyens à ces enjeux. Je souhaite que la France contribue activement à la définition d’un cadre international plus efficace, plus juste aussi, qui réponde aux défis des quinze ans à venir. Car, là également, réside l’une des clés de la sécurité des Français.

Enfin, votre travail, large et libre, devra être opérationnel et conclusif. Votre rôle est d’aider à déterminer des choix particulièrement importants pour le pays : objectifs hiérarchisés de défense et de sécurité nationale, stratégie, équipements, formats des forces, financement, ressources humaines, cohérence de l’effort de renseignement, politique industrielle et de recherche. Rien ne doit vous être étranger.

La tâche est rude, car les contraintes sont multiples, les nécessités de changement importantes et l’héritage lourd.

J’ai fixé le cadre général de l’effort de la nation autour de 2% de la richesse nationale. C’est une indication importante pour vos travaux. Cet objectif doit permettre à la France de se doter des capacités nécessaires et de rester dans le peloton de tête des nations européennes, avec le Royaume Uni.

Les arbitrages et décisions relèveront du chef de l’Etat. Leur traduction législative, qui sera sans doute diversifiée compte tenu du champ qui vous est assigné, sera soumise au Parlement par le gouvernement. Il conviendra, à cette fin, de disposer de scénarios crédibles, de choix clairs. Je ne me déroberai pas, quant à moi, aux responsabilités que m’ont confiées les Français.

Il me reste, Monsieur le conseiller d’Etat, Mesdames, Messieurs, à vous remercier d’avoir accepté de consacrer votre temps, votre énergie et votre expérience à cette entreprise essentielle de modernisation de notre défense et de notre sécurité.

(Source Site de la Présidence de la République) http://www.elysee.fr/elysee/elysee.fr/francais/accueil-presidence_de_la_republique.2.html)

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