Primes de gueule

La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. Article 15 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.

L’honnête citoyen, soucieux du bien public et de l’usage des deniers de l’Etat ne comprend pas les récriminations nées de l’instauration de la fameuse prime au mérite ou prime de résultats distribuée dans les forces de police.

Car enfin, voilà une innovation qui introduit de la souplesse dans la rémunération uniforme de la fonction publique et de la justice en récompensant ceux qui sont censés travailler le plus et dans des conditions difficiles et qui obtiennent des résultats.

La prime au mérite ou prime de résultats exceptionnels constitue ainsi la synthèse quasi parfaite de deux idées largement exposées pendant la campagne présidentielle : la rupture et l’ordre juste.

Comme souvent, hélas, la mise en oeuvre des belles idées est délicate, si on n’y prête pas la main, si on cède à quelques facilités, si on fait trop confiance à son entourage.

Tel est peut-être le cas de cette région de gendarmerie dans laquelle le général doit répartir près de 350 000 euros annuels de pactole entre ses milliers de collaborateurs et de collaboratrices. Un peu plus de 900 d’entre eux ont trouvé grâce à ses yeux au titre de l’année 2006.

Si on en croit l’instruction n°10600 du 14 avril 2005, qui régente tout cela, ce sont ceux (et celles) qui ont atteint « les objectifs fixés au début de l’année civile »… ou ceux qui ont obtenu « des résultats tenant compte de l’action et de l’engagement personnels du militaire ou des qualités professionnelles dont il fait preuve ». La formule est plaisante, car elle n’est pas contraignante et permet de tout faire ou presque.

On ne s’en prive pas d’ailleurs puisque la plupart des proches du général sont récompensés depuis son chef d’état-major, en passant par les commandants de groupement, les chefs de bureaux ou des officiers en charge de la logistique, de l’infrastructure, des ressources humaines, du contrôle de gestion, etc. De brillants commandants d’unité ayant pris leur fonction pendant l’été de l’année de référence ont tellement performé en quelques mois qu’ils sont aussi distingués. Pour ne pas faire de jaloux, des petites mains plus modestes se dévouant sans compter dans les bureaux sont gratifiées : qui à la reconversion des GAV, qui à la photographie des évènements de relations publiques, à la formation en langues étrangères (utile dans les banlieues !), à l’entretien du casernement ou à l’installation des ordinateurs. Au passage, on n’oublie pas non plus les réservistes qui viennent tenir le standard et assurer la permanence.

On comprend mieux dans ces conditions que la pilule soit dure à digérer pour ceux qui passent des nuits sur le terrain, et qui découvrent qu’ils ont moins de mérites que d’autres et ne peuvent ainsi bénéficier de la manne divine comprise tout de même entre 300 et 500 euros pour plus des trois quarts des « primés ».

Il y a indiscutablement un mérite certain à servir près des chefs et à bien les servir. Etait-ce bien ce mérite éminent que la prime visait à récompenser ? On avait cru comprendre autre chose.

Alors, prime de résultats ou prime de gueule ? Coups d’éclat ou coup de gueule ? Délit flagrant ou délit de sale gueule ? Faut-il la ramener ou la fermer ? Mais qu’est ce qu’elle a ma gueule ? Ne serait-on pas en train de se la payer…en prime ? En définitif, rien d’étonnant à ce que certains la fassent…

la GUEULE !

Dominique de Brienne

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