Que les honneurs leurs soient rendus.

Suite à certaines rumeurs qui m’arrivent aux oreilles aujourd’hui concernant l’attribution de médailles aux militaires décédés lors du crash de la semaine dernière en Egypte, et après avoir parcouru votre site, je me permets d’attirer votre attention sur ce sujet toujours aussi douloureux.

Le 17 décembre 2003 survenait un accident aérien lors d’une séance d’aérolargage dans les Pyrénées causant la mort de 3 officiers de l’Armée de l’air et de sous-officiers des Armées de l’air et de terre. Rapidement des doutes survenaient quant aux causes du crash (au mieux, erreur de pilotage!).

A l’époque, j’avais été ulcéré par les différences de traitement face à un tel drame. Revue de détail.

Pour obtenir le numéro de téléphone de l’épouse du mécanicien d’équipage décédé, le commandement s’était résigné à appeler le père du défunt ! C’est ainsi que fut annoncé brutalement à un homme âgé de plus de 80 ans, cardiaque et ancien combattant le décès de son fils. Quant à l’épouse, contrairement aux épouses d’officiers, elle fut prévenue par téléphone sur son lieu de travail.

Pour se rendre en avion militaire sur le lieu de la cérémonie, seules quatre places furent accordées à sa famille contre 17 réservées pour celle du commandant de bord. Un mois après les obsèques, l’assistante sociale s’est enfin furtivement manifestée pour un entretien estimé à 5 minutes…sur le pas de la porte.

Comme un malheur n’arrive jamais seul, Bercy refusa la pension de réversion à la veuve au motif que, dans l’Armée de l’air, un couple sans enfant doit être marié depuis plus de 2 ans au jour du décès (1).

Enfin, les officiers de l’équipage ont été décorés de la Légion d’honneur et les sous-officiers de la médaille militaire. On nous expliqua que c’était le règlement.

Lors de la cérémonie militaire à Toulouse, le CEMAA, s’était approché du groupe des proches des sous-officiers défunts dont je faisais partie pour nous assurer que l’Armée de l’air était une grande famille solidaire et que nous devions rester soudés. Ulcéré par ses propos en total décalage avec ce que nous vivions, je lui avais répondu que l’heure ne se prêtait pas aux polémiques mais que des choses graves se passaient et que celles-ci ne pourraient être gardées sous silence bien longtemps. Surpris, il proposa de me recevoir. Je lui donnais mon nom et mon grade.

Mais le plus dur pour moi, fut d’être incapable de répondre au père du mécanicien qui s’inquiétait de savoir pourquoi son fils n’avait pas obtenu la même médaille que le reste de l’équipage. Ancien combattant, Lui, connaissait la valeur des médailles gagnées au feu.

La semaine suivante, le CEMAA me proposa, soit une audience avec lui, soit avec l’Inspecteur général de l’armée de l’air. J’optais pour l’Inspecteur de l’armée de l’air (IAA). Avec un camarade, nous lui avons remis un rapport sur les faits précités. Nous lui avons fait part également des problèmes rencontrés depuis une dizaine d’année suite à l’utilisation de ce type d’avion, des méthodes d’instruction, de certaines pratiques en vol et de comptes rendus restés sans effet. Différentes personnes avaient déjà relaté en vain ces problèmes.

Nous avions enfin été écoutés et certaines mesures furent prises d’un point de vue militaire et aéronautique.

Renseignements pris, dans le cadre général d’attribution de la Légion d’honneur, un officier doit totaliser au minimum 15 ans de service. Aucun des pilotes n’avait atteint 15 ans de service. Elle leur avait donc été attribuée à titre posthume. A titre posthume il n’y a aucune durée de temps de service ou de grade. De ce fait, aucune raison objective ne s’opposait à ce que les sous-officiers tués en service commandé ce jour-là reçoivent comme leurs camarades officiers, la Légion d’honneur ! D’ailleurs, depuis ce crash, le Bureau Enquête Accident Défense a confirmé nos doutes, seuls les sous-officiers à bord ce jour-là, n’ont pu commettre une erreur ou faute dans la conduite du vol.

Quoiqu’il en soit, à peine un mois après cet accident, plusieurs camarades et moi-même étions avertis qu’on allait nous conférer la médaille militaire en récompense des services rendus durant notre carrière. Nous l’avons refusée, car il était inacceptable pour nous de recevoir la même médaille que notre camarade, mort en service aérien commandé, au prétexte que nous venions de dépasser un certain nombre d’années de service !

Contacté par le Grand Chancelier pour justifier mon refus, je lui relatais l’ensemble des faits précités. Il m’expliqua s’être entretenu avec le CEMAA et que ce dernier admettait qu’il s’agissait d’une erreur commise par l’officier de la Chancellerie et que l’on avait sa parole que plus jamais ne seraient faites de distinctions au sein d’un même équipage. Je sais que les promesses n’engagent que ceux qui les croient. Cependant, j’ai la faiblesse de penser que le CEMAA de l’époque, le Général Wolzinski, était sincère.

J’entends aujourd’hui que beaucoup doutent de l’uniformité des médailles attribuées aux militaires tués lors de ce dernier accident. Je tiens à préciser que l’attribution de la Légion d’honneur offre des facilités aux enfants des défunts (facilités d’accès à de grandes écoles…). Je voudrais dire également que 95% des personnes à qui l’on attribue actuellement la Légion d’honneur n’auront pas de problèmes plus tard pour subvenir aux besoins de leurs enfants. En effet, la plupart sont des hauts fonctionnaires, des personnalités médiatiques proches du pouvoir politique ou des militaires de haut rang dont très peu peuvent réellement prétendre avoir connu le feu. Nous sommes bien loin de l’esprit napoléonien pour lequel cet Ordre a été créé.

Pour conclure, que l’on soit officier ou personnel non officier de toutes les armes, un décès en opérations ou en service ne doit pas être un sujet de polémiques quant à l’attribution de la Légion d’honneur.

Les circonstances de l’accident survenu en Egypte ne sont pas identiques à celles du 17 décembre 2003. Pour autant, cela n’empêchera pas les veuves, les orphelins et les familles de subir la même peine. Cependant les plus modestes ressentiront plus gravement l’absence de l’être cher, mort au service de la nation.

Que les honneurs leurs soient rendus de la plus belle des manières !!

Un major de l’air en retraite

(1) pour être tout à fait exact, grâce à l’intervention de Madame Michèle Alliot-Marie, Ministre de la défense, la veuve du mécanicien a pu bénéficier de la pension de réversion à titre exceptionnel. Que Madame Michèle Alliot-Marie me permette de lui présenter mes remerciements.

Lire également :

Morts en service commandé Décès en activité sur la base aérienne 128. Deux poids, deux mesures. Récompense posthume : où est la reconnaissance de la Nation ? Vers la fin d’une discrimination ?

À lire également