L’armée française face aux discriminations

(Extrait du journal Ouest-France du jeudi 10 mai 2007)

L’égalité citoyenne est-elle une réalité dans les armées françaises ? L’institution n’est pas exempte de reproches, même si elle joue la carte de l’intégration.

L’armée française « ambitionne de rester une institution d’intégration et une école de citoyenneté ». Pour autant, les discriminations n’en sont pas absentes. Le ministère de la Défense, conscient du défi à relever, a signé, le 3 mai, une convention de partenariat avec la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde). Objectif : mettre en oeuvre des actions d’information et de formation en matière de lutte contre toutes les discriminations. Des discriminations qui touchent, plus particulièrement, les militaires issus de l’immigration dont surtout les personnels féminins.

L’intégration de ces soldats d’origine africaine et maghrébine, ou venus des DOM-TOM, est difficile. Comme le révèle un rapport de 2005, commandé par le Centre d’études en sciences sociales de la Défense à l’institut français des relations internationales, « les discriminations sont multiformes ». Dans les termes d’abord : « blagues racistes, propos tenus entre soi ». Dans les pratiques ensuite : « corvées, exhibitions d’affiliations d’extrême-droite ou nazies, non-respect des interdits alimentaires, exclusion du groupe de ceux qui ne boivent pas d’alcool ». Dans le vécu quotidien : « discrimination professionnelle et sentiment de fragmentation sociale ».

Le rapport aurait pu rester dans les tiroirs du ministère. Mais il vient d’être publié sous le titre Les couleurs du drapeau (1). La sociologue Catherine Withol de Wenden, l’une des deux rédactrices du rapport, a rencontré des soldats « qui souffrent avant tout de ne pouvoir être regardés comme tels, dans leur citoyenneté et leur dignité ». Elle a exploré une armée où règne un « sentiment de discrimination ethnique, religieuse ou sexuelle ». Cette discrimination « interne, entre pairs », si elle n’est pas combattue, peut « susciter des identités collectives de compensation en retour » ou une « tentation communautariste ».

La galère du capitaine réunionnais sous contrat précaire

Le capitaine C. a au moins un avantage : cet officier de gendarmerie n’est pas une femme… Pour le reste, Roger C. semble être victime de nombreuses discriminations. « Discrimination ethnique et discrimination par le statut », n’hésite t-il pas à résumer. « Abus de pouvoir », ajoute son avocat.

Originaire de la Réunion, pupille de la Nation, Roger a été adopté par un couple d’enseignants breton. Après des études d’informatique, il fait son service national aux écoles de Saint-Cyr-Coëtquidan. A l’heure où la sécurité des réseaux informatique commence à donner des sueurs froides au ministère de la Défense, l’armée finance entièrement sa thèse de doctorat en informatique. Roger décide alors de s’engager dans cette armée qui lui accorde sa confiance. Officier de réserve en situation d’activité, il demande à intégrer la gendarmerie en 1999. « J’avais envie de faire la police judiciaire et d’intégrer l’institut de recherche criminelle de la gendarmerie qui m’avait sollicité. J’aurais été leur premier docteur en informatique ». Deux ans plus tard, l’armée de terre accepte le départ du jeune lieutenant.

A la joie de ce changement d’arme succèdent vite les désillusions. Sous statut précaire d’OSC (officier sous contrat), Roger C. est d’abord muté au service de traitement de l’information. « pas besoin d’un doctorat pour faire de l’informatique de gestion », explique celui qui entre temps est passé Capitaine.

En 2003, on lui propose le commandement de la plateforme judiciaire au groupement de gendarmerie de Paris. « Quand je suis arrivé, on venait de nommer un autre capitaine sur le même poste ».

Dès lors, en dépit d’excellentes notations, l’officier est systématiquement écarté de tout poste à responsabilité. Placardisé ! « Un jour, je n’avais plus de bureau ; le lendemain, plus d’ordinateur ».

En 2004, son contrat n’est renouvelé que pour deux ans. Fin 2006, il apprend qu’il ne sera plus renouvelé.

« C’était déjà inadmissible. Mais quand, en plus, j’ai appris qu’on avait torpillé la candidature que j’avais déposée auprès d’une autre administration dans le cadre de ma reconversion, je me suis rendu compte que les erreurs de gestion, les revirements de l’administration et les manoeuvres déloyales n’étaient pas accidentelles. Cette stratégie de l’échec est discriminatoire et ségrégationniste, j’en suis maintenant convaincu. Je ne parle pas d’un complot contre le capitaine C, juste de pratiques ordinaires, habituelles ».

Philippe CHAPLEAU

(1) "Les couleurs du drapeau : Christophe Berossi et Catherine Wthol de Wenden. Robert Laffont. 19 euros."

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