Les Usurpateurs ou réponse à Jean Valjean

Cher Jean Valjean

Je m’inquiétais un peu je vous l’avoue … je vous avais vu vous arrêter au fond du couloir, et depuis je n’avais pas de réponse. Vous laissant à votre intimité, je m’étais même éloigné un peu, renonçant à en avoir. C’est vous dire si « votre papier » me comble d’aise !

Je ne vous connais pas suffisamment pour pouvoir me faire un portrait précis de mon correspondant, mais dès à présent, à travers votre lettre, je crois deviner :

Un homme de culture, qui fait référence à Victor Hugo et sait s’en inspirer, Un homme de principes, attaché aux valeurs, qui connaît « les BO » et sait tirer les leçons de l’Histoire, …Mais aussi, et je dirai même surtout, un homme meurtri qui a personnellement vécu une expérience frustrante en matière de décorations.

Pardonnez-moi si je me trompe …

De votre côté, excusez moi de vous le dire, vous n’en connaissez pas plus sur moi. Car contrairement à ce que vous imaginez :

Je ne suis pas « Officier Général » et bien qu’officier largement « supérieur » (en grade s’entend !), je n’ai à aucun moment eu la prétention de le devenir ! Je ne suis pas « Breveté de l’Enseignement Militaire supérieur » et n’ai même jamais été candidat (ce qui met à l’abri des aigreurs … vous voyez de quoi je parle ?) Je ne suis pas issu d’une « Grande Ecole », Je ne suis pas Tartuffe, je ne suis jaloux de personne, je ne « regarde pas les poitrines avec concupiscence » … encore moins celles des Généraux ! …Et je n’ai jamais été affecté à Paris, pas plus dans un Ministère que dans un Etat Major (et par conséquent pas … « homme de cabinet »). Tout au plus « invité » périodiquement à la DPMAT comme tout le monde et une fois par courtoisie dans le bureau du Chancelier de l’EMA où j’ai pu voir dans une armoire les piles de parapheurs, en attente de signatures, contenant les « citations » après l’expédition montée contre Bob DENARD et sa vingtaine de putschistes aux Comores … ça m’a marqué !

Par contre :

J’ai été « soldat de 2ième classe engagé » et j’ai travaillé comme magasinier à l’ordinaire d’un Régiment dans l’Est où je distribuais le café et les pommes de terre … J’étais caporal ADL au moment où j’ai passé le brevet para, Et j’étais sous officier avant d’accéder à l’épaulette.

Il faut vous dire que c’était à une époque où « l’ascenseur social n’était pas en panne… »

… tout ce que je vous dis ici a des témoins et est vérifiable !

Eh oui ! … j’ai été grenadier ! (pouvez-vous en dire autant ?) C’est vous dire si vos références aux soldats de Napoléon m’intéressent et me touchent. J’ai servi dans l’Infanterie où j’ai même été 6 ans chef de section et je n’ai jamais vu quelqu’un venir me demander de le remplacer sous les tropiques … et pourtant, j’étais disponible et beaucoup d’autres comme moi.

J’ai connu trois Chefs de Corps qui m’ont marqué d’une façon très forte et appartenaient à ces générations auxquelles vous faites référence ici et semblez vouloir vous identifier :

L’un avait fait trois séjours en Indochine et avait été blessé 6 fois, L’autre avait été prisonnier des viets … et était chasseur alpin d’origine ! Le troisième avait été parachuté sur Dien Bien Phu comme jeune capitaine la veille de la chute

Tous les trois étaient discrets, aucun ne « racontait ses campagnes » …Ils avaient la « cravate de la Légion d’honneur » … mais de « vraies références » pour la justifier.

Voila pourquoi je n’ai pas honte d’être resté « eau chaude – eau froide » lorsque je songe à eux, car on ne doit pas travestir l’histoire.

Bien sûr, j’ai eu l’occasion de rencontrer ces « hommes qui ont servi dans des unités où il faut une volonté de fer et s’imposer une discipline physique et morale exemplaire qui débouche sur un esprit de corps exceptionnel … » (vous m’avez fait venir les larmes aux yeux … !). Et c’est précisément en les rencontrant que j’ai appris à les connaître, les excellents, les bons … et les autres. C’est ainsi, en se « frottant à l’élite », que l’on perd ses complexes.

C’est donc ça qui nourrit ma culture aujourd’hui, et c’est la raison pour laquelle « je persiste et je signe » … Avec un regret toutefois, c’est de devoir évoquer ce genre de problèmes au moment où la situation est grave, où nos Armées connaissent des difficultés, où huit camarades viennent de mourir dans le Sinaï dans l’indifférence générale et d’alimenter ce débat superficiel auquel je veux tout de même répondre. J’ai senti que « le vieux braconnier » me prenait pour « un pigeon » mais je tiens à lui dire qu’entre le « Roi fainéant » et l’usurpateur il y a de la place pour une Monarchie respectable. C’est tout !

Vous avez introduit votre lettre par un texte qui m’apparaît un peu « hermétique » et je ne comprends pas très bien si vous m’identifiez au monarque où à Clorodulf … peu importe. Je vais vous répondre sur le mode littéraire par un texte qui résume ce que je pense de la question. Il n’est pas paru chez Gallimard, mais vous en aurez l’exclusivité :

Tout se passait au mieux dans le meilleur des mondes,
chacun avait sa place, au sein de nos Armées,
Aux Uns, dans des contrées que le soleil inonde,
On confiait les Missions les plus médiatisées.
Les Autres, il en faut bien pour veiller aux frontières,
Occupant le terrain, vivaient « la garnison »
Car ne l’oublions pas … Maginot c’était hier !
Ils étaient des Biffins, masos … et un peu c.s !

Ainsi allaient les choses, lorsqu’un jour, brusquement,
Un stratège ambitieux se piqua « d’innover ».
Il voulait, disait-il, assumer le changement
D’époque, le progrès … il fallait s’adapter.
Une Troupe entraînée, motivée, efficace,
Dominant la technique, se forge dans « l’action ».
Non ! Véritablement, l’Appelé n’a plus sa place,
Car le Combat moderne impose … la « projection »

« Allons ! Fi du passé ! Laissez là vos reliques !
Modifiez votre look et crevez les écrans !
En tenue camouflée, votre allure magnifique,
Fera de vous du Monde, les nouveaux conquérants.
Dans la pureté charnelle des matins de combat,
Au Liban, en Bosnie, au Tchad, au Kosovo,
Professionnels enfin ! … véritables Soldats,
Soutenez les Nababs, sauvez l’ami Gbagbo ! »

Supprimez les Torchons il reste les Serviettes !
Car les tâches obscures continuent à peser :
Marée noire, incendies et parfois la tempête
Le quotidien est fait d’urgences à régler …
Soldat d’élite là bas, mais ici Domestique,
Le « Frère valoir » est mort … avouez entre nous,
Vous avez tout fait pour. Aujourd’hui c’est logique,
En un mot, Jean Valjean : « les B… comptez-vous !! »

Avons-nous bien traduit notre pensée compère ?
La Muse se voulait ici au rendez-vous.
Je sais que ce sujet vous irrite, mais j’espère,
Que l’avenir saura … apaiser vos courroux !

Serviteur également cher collègue, sans rancune non plus et ne me remerciez pas car « rimer » me fait plaisir, me soulage … et me repose !

Jacob DELAFON

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