Commissariat de l’Armée de terre

Dans le cadre de sa contribution générale à la transparence, l’Adefdromil met en ligne un article fort intéressant rédigé par de jeunes commissaires de l’armée de terre.

Pour certains d’entre eux, les réformes successives mises en oeuvre marquent une volonté d’éliminer tout ce qui n’est pas du sérail, (il faut entendre par là, St Cyr) et qui, sur le plan potentiel, pouvait leurs porter ombrage (recrutement science-po notamment)…

La rédaction

CONCOURS DES COMMISSARIATS

L’objet de cet article est d’informer les étudiants souhaitant passer le concours des commissariats. Il s’agit d’un concours difficile, qui ouvre de belles perspectives de carrière à condition de choisir la bonne armée lors de l’intégration.

A concours équivalent, à compétence équivalente, les perspectives offertes par le commissariat de l’armée de terre avec celles offertes par la marine et l’armée de l’air souffrent d’une comparaison objective.

Sans entrer dans le détail du métier, il convient juste de rappeler que le corps des commissaires n’est pas un corps unique. A la différence des médecins (service de santé) chaque armée possède son commissariat. Seule l’organisation du concours est mutualisée et un embryon de formation commune est en cours [1]. Chaque commissariat dispose de sa propre administration, de son uniforme, etc…

C’est à l’issue du concours et dans l’ordre de classement que les candidats choisissent entre la Terre, l’Air ou la Marine. Statistiquement, les meilleurs optent pour la Marine ou l’Air. L’armée de terre étant plutôt l’apanage des derniers [2].

Cette situation est expliquée officiellement par un déficit d’image et de communication. Mais il y a fort à parier que l’image d’un corps est le résultat des carrières offertes potentiellement à ses membres. Ces derniers relayant la fierté ou leur malaise lors de rencontre avec des candidats potentiels au concours. Actuellement il existe un décalage entre ce que ressentent beaucoup de commissaires de l’armée de terre et la politique de communication mise en place.

Cette dernière reste très discrète sur des termes tels que : DEM, CID, CML. Ces termes figurent parfois sur les plaquettes et ponctuent les schémas relatifs au cursus de carrière. Enfin ces termes ne sont que la partie émergée d’un ensemble de contraintes que n’ont pas les commissaires qui ont fait le choix de l’Air ou la Marine.

Perspectives de carrière

Les carrières des commissaires de l’air ou la marine sont assez semblables. Elles permettent dans les faits et la plupart des cas d’accéder au grade de lieutenant-colonel (indice de solde allant de 649 à 781 pour les plus anciens.) Ceci n’est pas le cas des commissaires de l’armée de terre pour lesquels l’automaticité (de fait [3]) n’est quasi garantie que jusqu’au grade de commandant (indice 543 à 610). A 5€ 07 le point d’indice, l’écart n’est pas négligeable. Cet écart de carrière est constaté officiellement par la direction centrale du commissariat de l’armée de terre (DCCAT) comme en atteste un document POWERPOINT [4] diffusé lors d’un séminaire à METZ. Cette situation ne s’améliorera pas car dans un rapport intitulé « rapport d’activité 2003 du commissariat de l’armée de terre (CAT) (page73) » il est écrit que l’ « on assiste à un engorgement du corps des commissaires au grade de lieutenant-colonel et de commandant en raison d’un lien au service à l’issue du CESCAT [5] ». De même que le rapport 2005 dispose page 79 le « nombre de départ au grade de commissaire commandant s’avère insuffisant (1% contre 4%) commissaire lieutenant-colonel (1.5% contre 5%) ».

Paradoxalement, si les commissaires de l’armée de terre ont des perspectives défavorables, ce n’est pas en raison d’un déroulé de carrière serein ou de conditions de travail « allégées ».

Le fait d’avoir réussi un concours difficile ne leur donne le droit que d’avoir une carrière à nouveau ponctuée d’examen et concours inévitables, car imposés, dont les résultats conditionnent le déroulé de la carrière (et donc l’avancement [6]) en déconnexion quasi-totale des notes obtenues dans les premières affectations.

Quels sont-ils ?

Le CML (certificat militaire de langue)

Alors que l’école militaire de st CYR dispense 5 h d’anglais par semaine à ses futurs officiers en vue de préparer cet examen via le DCL, l’école des commissaires de l’armées de terre (EMSAM) située à MONTPELLIER dispense 1h1/2 de cours par semaine et a détruit son laboratoire de langue. Précisons que lors du concours d’entrée, l’anglais n’est pas obligatoire et tant pis pour l’éventuel candidat qui aurait choisi l’Allemand ou l’Espagnol. Il découvrira après coup qu’il commence sa carrière avec un handicap [7]. Ce diplôme comporte trois niveaux. Il faut impérativement détenir au moins deux niveaux pour avoir le droit d’être inscrit aux examens et concours suivants.

Le DEM (diplôme d’état major)

Alors que les commissaires sont sur des postes de chef de service [8], sans avoir systématiquement un adjoint, ils sont envoyés 5 mois à l’école d’Etat-major de Compiègne pour passer un examen avec et dans les mêmes conditions que les officiers issus de St CYR/EMIA.

Cette formation propre à l’armée de terre est focalisée sur la résolution de problèmes tactiques [9], l’apprentissage d’un logiciel de gestion tactique en états-majors [10] et l’anglais opérationnel tactique (ce qui signifie être capable de décrire en anglais le schéma simplifié d’un plan de bataille…).

Le fait que les commissaires n’aient aucun pré requis importe peu [11]. Dès le début du stage il est clairement dit aux stagiaires que les fondamentaux (chef de section, commandant de compagnie) sont considérés comme acquis. Il est même prévu de mettre en place un système de contrôle continu. En outre, une moyenne générale de 12/20 serait exigée pour prétendre au CID…

Mais que certains commissaires soient difficilement suppléés pendant leur absence, qu’aucun n’aient reçu une formation sérieuse sur les évolutions récentes de le réglementation des marchés publics ou des incidences de la LOLF, qu’il n’y ait aucune formation continue bien qu’ils soient appelés à travailler en permanence dans un système administratif en perpétuel évolution, ne semble pas importer.

Le CID (collège interarmées de défense)

Enfin, et alors qu’ils sortent à peine du DEM, sous réserve de l’avoir réussi (idem DCL) ils sont inscrits d’office à ce concours.

Ce concours doit être préparé en sus du travail quotidien en qualité de chef de service. Il est intéressant de noter que les seuls préparant en fonction sur des postes de Niveau 5 (en principe officiers supérieurs) sont les commissaires. A ce niveau de poste, l’armée de terre essaie de mettre en priorité des officiers supérieurs qui en ont fini avec les examens et concours. Les officiers (CYR/EMIA) préparant sont mis sur des postes de rédacteurs où, pour un certain nombre [12], le travail consiste quasi uniquement à préparer le concours. Les commissaires devront travailler le soir, prendre sur leurs congés…

Ce concours va permettre d’accéder à une formation de haut niveau et pour certains d’accéder en sus [13] à des études dans les écoles prestigieuses (HEC, ESSEC) mais jusqu’à présent la majorité vont suivre des troisièmes cycles universitaires qui s’ajoutent au DESS passé en cours de formation initiale qui lui-même s’ajoute au troisième cycle souvent obtenu avant de passer le concours…

Encore faudra- t-il réussir. Car ce que tait le commissariat de l’armée de terre c’est que les épreuves d’admissibilité sont communes à tous les officiers de l’armée de terre (taux de sélection 2007 : 1 pour 3.7). Et ensuite pour ceux qui auront franchi ce sas les résultats à l’oral sont plafonnés pour les commissaires à 10 postes. Il est prévu de leur attribuer un jury particulier d’admission. Actuellement le commissariat reste très discret sur ce concours. En effet, peut-on s’autoriser à penser que dans le cas de la réussite de seulement 8 candidats à l’écrit tous seront reçus… le projet ne prévoit pas de minima. En outre, il semblerait que les postes non honorés seraient rendus au pot commun. La politique de transparence dans ce domaine crucial pour les carrières est pour le moins floue actuellement…

Enfin la direction centrale du commissariat peine à donner un avis clair sur les devenirs de carrière de ceux qui échoueront. Compte tenu de l’engorgement décrit supra auront-ils des carrières bloquées, commandant à vie ou pire capitaine ? Auquel cas les autres cursus de la fonction publique présentent des attraits non négligeables…

Autres contraintes

Incidence des examens et concours sur la vie de famille

Car le choix de devenir commissaire suppose d’accepter au début un certain nombre de contraintes qu’il convient de décrire maintenant.

La préparation aux examens et concours doit se faire sur le temps disponible après le service (qui peu être très long, 9h au quotidien) sans compter le fait que ceux-ci doivent gérer cela avec les départs en opérations extérieures (Cote d’Ivoire, Afghanistan, etc…) théâtres sur lesquels la préparation aux examens n’est pas forcément adéquate. Ceci pénalise une vie de famille déjà bien alourdie par les contraintes naturelles et normales [14] du métier commun aux commissariats de l’air et la Marine.

Ajoutons qu’en raison des examens cités supra, la disponibilité des personnels est considérablement amoindrie [15]. En effet, les personnels qui suivent les cours du CID ou en cours de préparation du concours ne sont plus disponibles pour les opérations extérieures. Ce qui conduit à répartir la charge sur ceux qui restent.

Les mutations

Alors que les commissaires de l’air et la marine ont un système de mutation qui s’est « assoupli », le commissariat de l’armée de terre a opté pour un système de mutation automatique tous les trois ans lors des quinze premières années de carrière. Ceci rend encore plus difficile l’accession à la propriété et le travail du conjoint, deux éléments à ne pas négliger dans un contexte d’incertitude quant aux régime des retraites [16].

Les postes occupés

Pour compenser tout cela, le commissariat de l’armée de terre mett²ait en avant avec une certaine justesse, l’intérêt des postes occupés. Il est fort valorisant à 25 ans d’assurer des fonctions de chef de service qui en général requièrent dix ans de plus dans l’armée de terre. Mais ce que le commissariat ne précise pas, c’est que ces fonctions doivent être assumées avec un tout petit grade (capitaine) alors que ses homologues au sein des régiments possèdent bien souvent un ou deux galons de plus [17] (commandant ancien ou plus souvent lieutenant colonel). Ce qui, dans une institution où le poids des grades (et des origines [18]) est omniprésent le pénalise considérablement dans son action au quotidien. En outre, et alors qu’il doit être le conseiller et le garant d’une bonne orthodoxie des dépenses budgétaires, il est noté par le colonel commandant le régiment. A cet égard, le commissariat de l’air fait montre d’un sens plus pragmatique des réalités. Les commissaires chefs de service sont généralement lieutenant-colonel et restent notés par le service du commissariat de l’air.

Le commissariat de l’armée de terre, par une réforme du déroulé des carrières, vient de casser ce qui pouvait être le principal point d’attraction d’un candidat pour ce corps. Désormais les jeunes commissaires, à l’issue d’une formation initiale de deux ans, commencent leur carrière comme adjoint au chef des services administratifs pendant deux ans pour aller faire de l’audit ensuite pendant 3 ans en direction régionale du commissariat. Ils ne retourneront ensuite en régiment qu’au moment du DEM puis du CID !!! Affectation constituant une véritable sinécure pour préparer un examen puis un concours.

La loi 62

Quant au bénéfice de l’article 3 de la loi 62, le commissaire de l’armée de terre est pénalisé au regard de ce qui se passe dans l’air et la Marine.

Cette loi, qui permet à un militaire d’intégrer la fonction publique classique en qualité de civil sans repasser de concours, permet d’accéder en fonction des grades et des indices à des postes qui peuvent être très intéressants. On retrouve ainsi de nombreux commissaire de l’air et la marine à la cour des comptes, au conseil d’Etat, dans la préfectorale, etc…

Proportionnellement à ses effectifs, les commissaires de l’armée de terre sont sous représentés. Ce fait, et sans que ce paradoxe ne suscite de réaction, le commissariat de l’armée de terre le connaît ainsi que la cause [19]. Il s’agit d’un « lien au service » à l’issue du CID [20]. Le coût d’une formation est tel que, pour le justifier, on oblige le candidat à rester 4 ans de plus au sein du service à l’issue de la formation. Ceci participe à l’engorgement du service, vieilli les candidats de cinq ans. Parallèlement, le candidat qui désire présenter un dossier de 62 doit, actuellement, renoncer au bénéfice du concours CID. Ainsi, un candidat de l’armée de terre qui présente un dossier de 62 opère un véritable saut dans l’inconnu sans aucun « parachute de secours ». S’il échoue dans sa tentative d’intégration, il pourra espérer au mieux s’il est encore dans les créneaux se raccrocher au train de ceux qui passent le concours du CID ; au pire, il ne sait pas ce qui va se passer pour sa carrière, la DCCAT n’ayant encore rien annoncé officiellement ce jour…

Cette difficulté liée au CID existe désormais dans la marine et l’air. Cependant, ceux-ci n’ayant pas eu jusqu’à présent le problème du « lien au service » avaient développé une politique volontariste de « placement » de leurs personnels, se constituant ainsi un fort réseau qui concourt sans aucun doute au renom de ces corps. Ajoutons que dans un contexte de réduction des effectifs dans la fonction publique les accès via la 62 se sont durcis. De fait les systèmes de réseaux deviennent indispensables. Malheureusement, le commissariat de l’armée de terre n’en dispose pas [21]…

Les bonifications de retraite

Pour récompenser ceux qui ont quand même fait le choix du commissariat de l’armée de terre après avoir passé un concours commun, le commissariat de l’armée de terre leur refuse le bénéfice d’une bonification de deux annuités de retraite au titre des études déjà effectuées. Bonification auquel ont droit les commissaires de l’air et de la marine.

L’esprit du service

Enfin, parler d’un déficit de communication, mettre l’accent sur les forums [22] est assez hypocrite quand dans le même temps la communication interne trahit la baisse de considération apportée à la gestion des carrières des commissaires. Comment expliquer autrement que la partie réservée à la gestion du corps des commissaires ne fasse plus que deux pages [23] dans le rapport d’activité 2005 (soit autant que celles consacrées aux personnels civils) alors que dans le même document 2003 il y était consacré 6 pages !

[1] Cf. stratégie ministérielle de réforme 2004/2005 sur intradef/modernisation administrative.

[2] Ainsi lors du recrutement de la 22ème promotion le niveau était tellement faible que toutes les places n’ont pu être honorées. Le commissariat de l’armée de terre a eu alors recours à des contractuels… (page 79 rapport d’activité 2005).

[3] Le statut ne prévoit aucune automaticité à la différence des autres officiers. Il faut demander à des commissaires de l’armée de terre les pièces d’un colloque général à la DCCAT en 2004. Ajoutons que le projet de décret des statuts en cours de discussion tend à consolider cet état de fait.

[4] Document intitulé « La politique de gestion des commissaires ».

[5] Le concours du CESCAT a été remplacé par celui du CID.

[6] C’est-à-dire hypothéquer très sérieusement la possibilité d’accéder au grade de lieutenant-colonel.

[7] Concédons que ce cas est rare. Nonobstant, il s’agit quand même d’un problème de communication dès le recrutement…

[8] Ce qui signifie être directeur d’un service administratif et financier dans un régiment. Concrètement c’est la gestion de nombreux personnels (une cinquantaine) aux statuts très divers (militaire, ouvrier d’état, ouvriers fonctionnaires, fonctionnaire, agent contractuel de l’Etat, etc.), le suivi de domaine très différents (restauration, gestion d’un parc mobilier et immobilier, budget d’environ 2 millions d’euros, etc.).

[9] L’épreuve de note de synthèse va être prochainement supprimée du programme.

[10] Le SICF.

[11] Un officier des armes passe trois ans à COETQUIDAN, puis un an en école d’application avant d’être chef de section. Il suivra un stage de 5 mois (CFCU) avant d’être commandant d’unité après avoir été adjoint pendant un an.

[12] Il est curieux de constater que la plupart des préparants sont mutés des régiments pour aller en école ou en état-major. Pourquoi serait-il plus facile de préparer le concours en étant chef de service que commandant d’unité…

[13] La formation CID dure un an auquel peut s’ajouter une formation complémentaire de un an de type 3ème cycle.

[14] Astreintes, permanences, cérémonies, missions diverses…

[15] Il faut y ajouter l’accumulation des stages en tout genre dès la sortie d’école. (« Poids relativement important des stages des commissaires lieutenants » p 41 rapport d’activité 2005).

[16] Vivre en étant propriétaire avec deux retraites est plus facile qu’avec une seule retraite et charges de loyer.

[17] Ajoutons qu’ils n’ont plus à passer d’examen ou ce concours…

[18] Il y a St CYR et les autres…

[19] Rapport d’activité 2003.

[20] Autrefois CESCAT.

[21] Outre le problème du lien au service, pendant des années, il était très mal vu de vouloir quitter le commissariat de l’armée de terre.

[22] P 79 rapport d’activité 2005.

[23] Ce n’est plus qu’une sous partie d’un vaste chapitre mêlant sans complexe la gestion des ressources humaines et le pilotage de gestion !!!

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