La Gendarmerie survivra-t-elle en 2012 ? (2e partie et fin)

Lire la 1e partie.

La « révolution de 89 » débouche sur une évolution au forceps.

La première crise sociale majeure de la gendarmerie au début de l’été 1989 surprend tout le monde. Pourtant l’expression du mécontentement couve depuis l’automne 88, un peu comme la journée dite des tuiles à Grenoble en juin 1788, annonciatrice de la révolution française. Mais les généraux et leur directeur général ont fait la sourde oreille aux lettres anonymes parties de la région Rhône-Alpes, pensant qu’il s’agissait d’un simple mouvement d’humeur qui s’épuiserait de lui même. Le ministre a bien été alerté, mais le conseiller technique en charge du dossier n’a pas perçu l’ampleur du problème ou a jugé opportun de ne pas rapporter au ministre toutes les doléances des gendarmes. Après la crise, il retournera sur le terrain.

Les médias en ce début d’été n’ont rien à se mettre sous la dent. Ils s’emparent donc du sujet et publient des lettres anonymes, dont le contenu fait apparaître un style de management dépassé, des règles internes contraignantes et désuètes, en décalage important avec le reste de la société française.

Cette crise va conduire tout d’abord à une révision complète du système de concertation dans les armées. On fait élire les présidents de sous-officiers et on crée les conseils d’armée, dont les membres ne sont pas élus, mais tirés au sort. Mais surtout, le commandement de la gendarmerie transforme chaque département en un centre unique de police secours en dehors des heures de service « normales ». On mutualise les patrouilles de nuit et on ferme les brigades. C’est le COG – centre opérationnel de la gendarmerie – qui gère la ressource. Il est devenu depuis le CORG. Ce faisant, on a franchi un pas décisif en pensant sauver l’essentiel et sans voir qu’on vient de porter un coup fatal au concept même de la gendarmerie en vigueur depuis 1720. On est également obligé de lâcher un peu de disponibilité supplémentaire en instituant les QL – quartiers libres -, position intermédiaire entre le repos ou la permission et le service.

En 1998, le rapport au Premier Ministre de la mission confiée au député Carraz et au sénateur Hyest souligne les incohérences de l’organisation de la gendarmerie : « les effectifs de la gendarmerie restent massivement implantés dans les zones rurales et au contraire faiblement implantés, en comparaison, dans les zones péri-urbaines, dont elle a la charge ». Et les deux parlementaires d’encourager une évolution de la doctrine sacro-sainte du maillage territorial : « la gendarmerie doit adapter la doctrine actuelle d’une brigade par canton et commencer d’admettre des exceptions ponctuelles. »

Champs Elysées 2001 ou du CORG aux COB.

En dépit des alertes parues dans les médias à l’automne 2001 et comme si aucun enseignement n’avait été tiré de la « révolution de 89 », les gendarmes défilent en armes sur Les Champs Elysées en violation de leur statut militaire en décembre 2001. Cette deuxième crise débouche sur deux séries de conséquences, la première concerne le concept d’emploi de la gendarmerie départementale, la seconde, les mesures d’accompagnement.

Le concept de la communauté de brigades (COB) se place en rupture complète du principe séculaire du maillage territorial en vigueur depuis 1720. Partant du constat que beaucoup de brigades ont une capacité d’intervention limitée, on décide de mutualiser les ressources de plusieurs circonscriptions, faute de ne pouvoir augmenter les effectifs de manière considérable. La communauté de brigade devient donc l’unité d’intervention de base. Toutefois, certaines brigades, en raison de leur position géographique et de leur effectif suffisant continuent de fonctionner comme par le passé : ce sont les brigades autonomes. En 20 ans, on est donc passé de 3700 brigades à 1752 unités de base (1055 COB et 697 brigades autonomes).

Selon, l’encyclopédie de la gendarmerie publiée en 2006, « la mutualisation des moyens humains et matériels accentue à effectifs constants, leur présence de jour comme de nuit de 10 à 20% selon les lieux ». Est-ce pour autant la panacée ? La communauté de brigade fonctionne un peu comme un commissariat de police rural. Mais ce fonctionnement est pour le moins compliqué par la diversité et l’éloignement des implantations géographiques. On ne peut rationnaliser l’organisation du travail, de la surveillance et des enquêtes. Il faut régler en permanence des problèmes logistiques. Il faut surtout veiller à se faire voir dans les zones tranquilles alors que la politique de résultats mise en place incite plutôt à concentrer les forces de la COB sur les zones sensibles. Au total, il n’est pas certain que la sécurité des campagnes y trouve son compte.

La COB, concept transitoire en attendant un vrai redéploiement.

En interne, les COB sont à l’origine de beaucoup de mécontentement et de frustration. La petite brigade dite de « proximité » n’est pas vraiment fermée sans être ouverte comme par le passé. Les gendarmes y habitent toujours et on les voit de temps en temps, eux ou leurs collègues de la COB sur la route ou en patrouille. Mais on perçoit combien ce système est artificiel. L’Etat n’a plus les moyens de renforcer les effectifs et on a été incapable de tirer les conséquences de la situation nouvelle. Une fois de plus, on tente de faire faire le grand écart aux gendarmes.

Citons pour s’en convaincre le maire d’une petite commune de 700 habitants dans la Sarthe, major de gendarmerie en retraite (Essor mai 2004) : « …l’unité de proximité n’est plus aussi disponible que nous pourrions le souhaiter pour la surveillance de sa propre circonscription. ». Jusque dans les années 1980, le commandant de brigade dirigeait l’action de la gendarmerie dans sa circonscription. Il l’orientait en fonction de l’évolution de la délinquance et d’autres facteurs qui relevaient directement de son initiative. Le commandement effectuait un contrôle a posteriori qui lui permettait d’apprécier l’impact de l’unité. Aujourd’hui, le commandant d’unité de proximité ne dispose plus de réelles prérogatives de commandement, du fait que cette mission incombe au commandant de la communauté de brigades. D’autre part des gendarmes adjoints volontaires remplacent des titulaires sans disposer de leurs prérogatives, ce qui devient à l’usage une contrainte d’emploi puisqu’ils ne peuvent agir seuls. Les disponibilités, dont bénéficient à juste titre les personnels, constituent un autre facteur qui altère l’effectif quotidien disponible. L’implication de l’unité dans cette nouvelle structure oriente de facto son action vers l’espace où se concentre l’activité industrielle et commerciale, mais aussi la population, d’où une activité plus importante à l’extérieur de la circonscription des personnels de la brigade de proximité. .L’un des éléments qui ne fut jamais pris en compte concerne la réduction progressive mais constante de l’effectif quotidien disponible. »

Des mesures ont été prises pour faire passer la pilule et mettre un couvercle sur la marmite, car le système de concertation n’a pas évolué. Pour tenter de s’accrocher aux avancées sociales obtenues par les policiers, on favorise la distribution de galons au plus grand nombre en augmentant les postes budgétaires et en facilitant l’avancement. C’est le PAGRE, plan d’adaptation des grades aux responsabilités qui conduit à une sorte de mexicanisation larvée de l’institution et qui contribue au mécontentement de ceux qui ne peuvent en bénéficier. Il y a donc plus de cadres ( 5 789 officiers en 2007 contre 2 700 au milieu des années 90) pour contrôler l’exécution des missions et moins d’exécutants pour effectuer le travail de base, alors même que les gains de productivité sont dérisoires. La grogne s’alimente aussi du refus de doter les gradés de gendarmerie d’une grille indiciaire spécifique qui mènerait l’institution hors des armées selon certains. La loi d’orientation et de programmation sur la sécurité intérieure (LOPSI) a tout de même prévu d’augmenter les effectifs de la gendarmerie de 7000 militaires entre 2002 et 2007, pour alimenter en partie le repyramidage des grades. Dans les faits, les réajustements sont annuellement plus modestes. Le rapporteur du budget de la Gendarmerie au Sénat confirme début 2007 qu’il y a un déficit de 950 postes par rapport à la loi de programmation et espère que le retard sera comblé. L’espoir fait vivre.

A la tête de la gendarmerie, après un préfet, saint-cyrien et fils de gendarme, le gouvernement a préféré, en 2004, confier la direction de l’institution à un officier général issu du corps. C’est que la direction de la gendarmerie n’est plus la sinécure dont rêvaient quelques décennies plus tôt bon nombre de magistrats. Il vaut donc mieux, dans l’immédiat, y placer un général.

Dans le même temps, la redistribution des zones de compétence entre la police et la gendarmerie et la mise en oeuvre de certaines des recommandations du rapport « Carrast- Hyest » n’ont pas vraiment résolu de problèmes. Elles en ont même parfois créé de nouveaux.

Il faut en conclure que la COB est un concept transitoire, appelé à disparaître lorsque les politiques auront compris qu’un regroupement des unités est indispensable et que la sécurité des zones rurales a un coût. C’est un véritable enjeu politique, qui devra être traité dans les années à venir sans attendre une nouvelle crise. Il est évident qu’à l’occasion d’une restructuration le problème du statut des gendarmes doit être posé. Il est difficile d’entendre et d’admettre que 4 gendarmes « valent » 7 policiers en termes de disponibilité. Cette équation revient à nier la parité « police-gendarmerie » puisqu’en fait les gendarmes, contraints d’occuper leur logement de service, travaillent plus, sont plus disponibles que leurs collègues policiers pour un salaire égal. Le statut militaire est évidemment plus rentable pour l’Etat employeur. Mais cette situation peut-elle perdurer au regard du principe « à travail égal, salaire égal » ?

La nécessité d’un redéploiement est donc un véritable enjeu politique, qui devra être traité dans les années à venir sans attendre une nouvelle crise.

Vers des polices de communautés d’agglomération ?

Le bon sens conduit à repositionner les forces là où leur action est essentielle pour la sécurité publique des citoyens. C’est l’application du principe stratégique élémentaire cher au maréchal Foch : la concentration des efforts. La création des COB est un premier pas dans ce sens. Il est dès lors difficile de comprendre et de suivre le rapporteur du budget de la gendarmerie à l’Assemblée Nationale lorsqu’il déclare fin 2006 : « le caractère militaire de la gendarmerie est essentiel en termes d’aménagement du territoire pour maintenir un maillage territorial et une présence dans les endroits les plus reculés ». Est-il bien sérieux de vouloir confier le désert des tartares aux gendarmes alors que les banlieues brulent ou que la délinquance augmente dans les zones « gendarmerie » urbanisées ? Cette affirmation est même en contradiction avec le concept de la communauté de brigade. Le courage politique consisterait à ne pas tenter de justifier la présence de gendarmes « dans les endroits les plus reculés » au nom du principe dépassé du maillage territorial et du refus de la désertification des campagnes, rebaptisé « aménagement du territoire », mais d’oeuvrer pour un redéploiement équilibré et progressif du dispositif policier en zone rurale.

Cet effort de rationalisation de l’implantation de la gendarmerie implique en contrepartie d’encourager financièrement la création de polices locales compétentes sur plusieurs communes ou cantons, dont l’activité pourrait être coordonnée par le poste de gendarmerie le plus proche, voire encadrée par des gradés détachés. Les communautés d’agglomération, dont le nom serait à l’origine de celui des communautés de brigade, compétentes en application de l’article L2212-5 du code général des collectivités, élargiraient ainsi leur champ d’action. Un nouveau service civil pourrait aussi partiellement fournir des personnels motivés connaissant la région. Les casernements laissés libres par les gendarmes pourraient être réaffectés aux nouveaux services ainsi créés et les partisans du dualisme policier n’y trouveraient rien à redire. Quelques exemples existent déjà comme à Eaubonne dans le Val d’Oise (source : Essor).

Mais qu’en pensent les élus locaux ? Il suffit de se référer aux interviews de maires publiés régulièrement dans L’Essor de la Gendarmerie, le mensuel de l’Union des Personnels en Retraite de la Gendarmerie (UNPRG) pour comprendre et admettre la pertinence de l’idée.

Ainsi, le maire de Melay, petite commune de Saône et Loire de 900 habitants se plaint de n’être plus pris au sérieux par les gendarmes lorsqu’ils les sollicitent. Il fait « le triste constat des défaillances des services de l’Etat sur le terrain » (janvier 2007). Celui de Plan de Cuques (Bouches du Rhône), confirme que la disponibilité des policiers est moindre que celle des gendarmes. Il souhaiterait que la compétence des policiers municipaux se rapprochent de celles des policiers ou gendarmes. Il va recruter deux policiers municipaux supplémentaires (février 2007). M. Martin Malvy, président de l’association des petites villes est plus réservé sur le sujet (novembre 2006) : « la police en tenue relève des missions régaliennes de l’Etat »… et « il ne faut pas faire croire que la police municipale va pouvoir assumer le rôle des forces de l’ordre étatiques. ». L’ancien ministre du Budget craint des inégalités entre les communes riches et celles qui ont de faibles ressources budgétaires. Xavier Lemoine, maire de Montfermeil rappelle quant à lui (juin 2006) que « L’Etat encourage la création de polices municipales pour que la Police Nationale se concentre sur les faits les plus importants ». Mais « la sécurité doit être la même pour tous » et ne pas dépendre des ressources budgétaires de la commune.

Au terme de ce tour d’horizon, il apparaît que l’Etat pourra difficilement échapper à la rationalisation de la sécurité publique des zones rurales, dans les années à venir. Sans doute, la Gendarmerie survivra-t-elle en 2012, mais selon l’ampleur du « lifting », elle ne sera plus tout à fait la même : rajeunie ou transformée. Et surtout, il faut regretter que ce vrai problème de société ne soit pas abordé réellement dans le cadre de la campagne présidentielle. Il vaut mieux faire des promesses susceptibles de faire rêver les naïfs et ne pas parler des sujets qui fâchent. La perversion de la cité commence par la fraude des mots*.

* Platon.

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La Gendarmerie survivra-t-elle en 2012 ? (1e partie)

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