Le complexe de Vérité – suite et fin

C’est quoi la Patrie, aujourd’hui ?

Selon le dictionnaire Quillet de 1955, la patrie, c’est « le pays où l’on est né, ou, plus exactement, où « l’on a reçu naissance ». « La patrie est proprement la terre de ses pères, le sol natal, où l’on a sa famille, le souvenir de ses ancêtres, ses biens, ses habitudes » Le Quillet ajoute « C’est une conception un peu étroite que traduit l’adage latin « ubi bene, ibi patria » : là où l’on est bien, là est la patrie ».

Cette définition d’un bon dictionnaire ne résume-t-elle pas, grosso modo, le film « Indigènes » que vous avez sans doute vu. Ce film est une revendication identitaire, mais c’est aussi une illustration de la devise « pro patria mori ». Je regrette pour ma part le titre français donné au film de Clint Eastwood « la mémoire de nos pères », le titre original recouvre tout à fait l’affiche du film « Indigènes » : « the flag of our fathers » (le drapeau de nos pères).

Pour la famille militaire, la notion de drapeau a toujours été un puissant symbole. Je me souviendrai jusqu’à ma mort de la cérémonie qui a marqué notre départ du Tonkin pour le Centre Annam lorsque les honneurs ont été rendus au drapeau du 6ème Régiment d’Infanterie Coloniale alors qu’il montait à bord du cargo à destination de Tourane.

Tout ceci pour dire qu’il faut sans cesse poser et re-poser la question : c’est quoi la Patrie, aujourd’hui ?

Aujourd’hui, notre pays traverse une grave crise d’identité : le film Indigènes nous le rappelle de façon brutale. Les Français refusent aujourd’hui obstinément de regarder la colonisation. Ils admettent au mieux des images, des séquences « vidéo », des flons-flons, mais, regardez autour de vous, cela ne va pas beaucoup plus loin.

Les Français que l’on dit de souche -sans savoir de quoi on parle- ne se sont jamais interrogés ou si peu sur cette souche. La France s’est construite au fur et à mesure des immigrations successives que celles-ci soient sollicitées ou non, mais ce que tous ne savent pas, c’est que les Polonais, les Italiens et d’autres en ont singulièrement bavé au début du 20ème siècle en France. Et pourtant, il ne s’agissait pas d’une émigration massive en ville ou en périphérie de grandes villes comme c’est le cas aujourd’hui dans tant de régions et tout particulièrement dans ce que l’on appelle le 9-3.

Ce sont surtout les conflits du 20ème siècle qui ont poussé à la solidarité, à un sentiment d’appartenance. Le danger aujourd’hui est grand de voir se développer des communautarismes, ne fusse que pour des raisons de protection physique ou psychologique ou morale ou sociale au sein de ce qui devrait être ou devrait peu à peu devenir une Patrie.

Un des liens les plus forts de la patrie, dans les temps Jadis, fut le sang versé, c’est ce que rappelle le film « Indigènes ».

La frilosité de la France depuis 1918 est une des principales raisons des graves maux qui frappent notre société. Qui, aujourd’hui encore, ose lire l’exposé des motifs de la loi du 4 février 1919 sur l’accession à la citoyenneté des musulmans d’Algérie, texte où l’autorité de la France écrit : « Dans la guerre actuelle (14-18) (alors) que nos ennemis escomptaient des défaillances et des trahisons, les musulmans algériens ont fourni, par voie d’engagements volontaires ou par voie d’appel, des contingents importants à la défense nationale…etc. ». Le sang pour la défense de la patrie ne peut et ne doit avoir que le même prix. Ce prix est un prix particulier : le Gouvernement ne peut en décider Seul. Et ce fut l’une des erreurs de l’ordonnance de 1958 qui cristallisa les pensions de ceux qui avaient combattu dans les rangs des unités françaises en particulier en 1944-1945.

L’Armée a toujours développé les liens de solidarité. L’Uniforme y contribue mais il ne suffit pas. L’Armée fut par le passé notamment le lieu, le moment du grand brassage qui rapproche les Hommes. La professionnalisation n’a pas, en dépit des apparences, cette aptitude. Il est indispensable que tous les Français (hommes et femmes) se sentent appelés à participer à la défense de la Nation, qui est en quelque sorte la porte d’entrée dans la Patrie, car c’est ce vouloir vivre ensemble dont parlait Renan qui soude les humains vivant en collectivité.

Le Chantier de la Patrie est en construction permanente. La Patrie n’est pas que géographique. Autrefois, le mariage d’une princesse, d’un prince pouvait faire basculer un territoire. Cette possibilité se réduit de plus en plus dans le monde, mais rien n’arrête le mouvement des peuples : la fusion des nouveaux arrivants dans une nouvelle patrie. Le cas des USA est sans doute le plus notoire mais il n’est pas le seul.

La Vérité, si vérité il y a, est que le travail d’insertion dans la patrie, jadis, se faisait dans un grand jour réduit et différé alors qu’aujourd’hui, ce travail de construction de la patrie se fait sous l’oeil des caméras de vidéo-surveillance et des journalistes et dans l’instantané. Tout est donc affaire de mentalité, de volonté constructive, de connaissance des peuples, de leur motivation, de connaissance des civilisations. Bref, c’est un domaine où beaucoup est à faire parce que peu cherchent à connaître l’histoire. Or, l’histoire de notre pays ne s’est pas faite en un jour. Et la France ne s’est maintenue qu’avec le concours de ceux que l’on tenait pour des esclaves, des races inférieures comme le disaient maints hommes politiques de la fin du 19ème siècle (notamment Jules Ferry) et du début du 20ème, puisqu’ils ne les jugeaient pas dignes d’accéder à notre nationalité.

La Patrie c’est donc l’effort de tous, à tout instant. C’est une volonté de construire non pas des murs de béton mais des blocs solides d’humanité, capables de faire barrage aux pires déviances.

Jean Kerdréan – Un ancien – Fin

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