Voici cent ans, Dreyfus, victime devenue symbole de l’injustice, était enfin réhabilité contre l’acharnement et l’aveuglement de la haute hiérarchie militaire, qui refusait de reconnaître ses erreurs et voulait avoir raison, même au prix de la condamnation d’un innocent, stigmatisé de plus en raison de ses origines et de son appartenance religieuse.
Pour céder à la tentation de se projeter dans le passé, il est évident que cent ans plus tôt, l’Adefdromil aurait été « dreyfusarde », c’est-à-dire pour la vérité, la justice et le droit.
Cette quête de l’inaccessible doit être recommencée chaque jour inlassablement, au cas par cas, et dans le contexte moderne que nous connaissons :
celui d’un état de droit rénové avec des règles et des principes constitutionnels reconnus, des lois et des règlements plus clairs et plus précis, un droit de recours, une justice administrative qui fonctionne malgré ses imperfections ; mais aussi celui des démons du passé toujours présents, comme le principe de l’autorité discrétionnaire et absolue du chef militaire et comme celui du refus d’un vrai dialogue social en temps de paix institutionnalisé par un statut aberrant et anticonstitutionnel, voté à la sauvette par la représentation nationale. Lire Une suite à : La vérité toute nue ou la vraie vérité sur le SGM.
A divers niveaux, la hiérarchie est ainsi amenée parfois inconsciemment à renouveler les erreurs du passé. Il y a en 2006 des centaines de capitaines Dreyfus dans l’Armée Française.
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Comment, en effet ne pas éprouver un profond sentiment d’injustice à la lecture de nombreux dossiers qui parviennent à l’Adefdromil ?
On découvre ainsi qu’un militaire d’une unité d’élite a été agressé par son chef de corps lors d’une compétition sportive pour éviter que l’équipe de « l’état-major » ne soit défaite. Les conséquences d’un tel acte particulièrement indigne sont lourdes : arrêt maladie de plusieurs mois, inaptitude physique entraînant une perte de rémunération importante et pour corser le tout la falsification grossière des faits dans le registre des constatations de l’unité où la blessure du militaire victime est mise sur le compte « d’une bousculade avec des camarades ».
Dans telle autre unité, un sous-officier supérieur particulièrement bien noté et apte physiquement se voit refuser sa demande de réengagement jusqu’à la limite d’âge sans motif légitime, si ce n’est la conviction du décideur d’avoir « à veiller à ce que les officiers et sous-officiers partent à temps… ».
Au moment même où les médias rapportent l’inauguration en fanfare, à Verdun, du monument en hommage aux combattants musulmans de la première guerre mondiale, la France s’apprête à expulser un légionnaire qui l’a servie pendant cinq ans et qui n’a pu obtenir « le certificat de bonne conduite » délivré ou refusé sans véritable contrôle par les chefs de la légion. Peu importe que son casier judiciaire soit vierge, il est considéré comme ayant séjourné illégalement sur le territoire français depuis le début de son engagement, la validité de son visa ayant expiré. Lire La France expulse aussi ses Légionnaires.
Ainsi, la Légion fabrique aussi des sans-papiers et le légionnaire qui n’a pas su garder le petit doigt sur la couture du pantalon, est jetable par définition, même en temps de paix !
Ces quelques exemples illustrent le quotidien de l’Adefdromil. Mais notre propos n’est pas de noircir inutilement le tableau, mais bien de faire progresser la condition des femmes et des hommes en uniforme. Il arrive aussi fréquemment que nous nous contentons d’alerter la Ministre sur des faits qui nous sont rapportés sans les rendre publics pour permettre à l’institution militaire de résoudre le problème par elle-même sans porter atteinte à son image. Il serait donc contraire à la vérité de dire que nous ne sommes pas responsables.
Mais les centaines de capitaines Dreyfus de l’armée française ne peuvent aujourd’hui être défendus qu’à travers de véritables associations professionnelles de militaires d’active comme cela existe dans des pays voisins et amis. La Constitution reconnaît ce droit, il appartient à la loi de le formaliser en abrogeant les dispositions du statut qui lui sont contraires. Ce sera évidemment un enjeu du prochain mandat présidentiel.
Si les chefs veillaient à la défense des intérêts de leurs subordonnés, selon la formule consacrée, si le système de dialogue interne fonctionnait, ces militaires en conflit avec l’institution, auraient-ils besoin de s’adresser à nous pour défendre leur juste cause ?
En définitive, il suffit d’accepter une redéfinition claire du rôle de chacun : au chef, l’honneur et la charge de commander, aux subordonnés ceux d’obéir dans le cadre des lois et règlements, aux associations professionnelles, celui de défendre les intérêts professionnels des militaires d’active, de réserve ou retraités par un dialogue constructif, mais sans concession.
C’est ainsi que nous concevons notre rôle !