Le sort des EVAT
Le contrat précarité emploi ou « première embûche » – pour reprendre un lapsus de notre Premier Ministre – poète, suscite la colère des étudiants qui voient dans ce dispositif passé en force au Parlement non pas une solution à l’emploi des jeunes mais des armes nouvelles données aux employeurs.
Mais qui a inauguré, sans descendre dans la rue, le CPE : Contrat, Précarité, Exclusion pour reprendre le slogan utilisé actuellement ?
L’armée bien sûr puisqu’elle est à la pointe de toutes les réformes silencieuses permettant aux différents gouvernements de la présenter en exemple aux autres ministères. On peut citer parmi ses plus belles réformes récentes : la mise en oeuvre du nouveau statut général des militaires sans grogne, ni des parlementaires, ni des intéressés et bien sûr le fameux C.P.E ; le contrat précarité des engagés … sans débat !
Nos militaires du rang bénéficient en effet de contrats d’engagement extrêmement précaires (CPEE) qui les conduisent, à la sortie de l’Institution militaire, très souvent au chômage à un âge où tout un chacun aspire à une vie familiale stable.
Dès la signature de son premier contrat, l’engagé est en situation de précarité. En effet, à titre d’exemple pour l’armée de terre, à l’exception des engagements souscrits dans le cadre du service militaire adapté dont la période probatoire est de trois mois, la durée de cette période est fixée à six mois pour toutes les autres catégories d’engagement. Elle peut être renouvelée une fois sur décision du chef de corps ou de service pour raison de santé ou insuffisance de formation. Les fortes têtes voient toujours leur période probatoire renouvelée… et la raison de santé est souvent employée pour éliminer les plus récalcitrants. Le motif invoqué : inaptitude à la vie en collectivité.
La précarité de nos soldats est particulièrement bien planifiée, organisée et orchestrée au motif que les effectifs des armées doivent rester jeunes ! Peu importe que l’engagé soit physiquement, moralement et professionnellement au top niveau lorsque l’autorité militaire aura décidé de le mettre à la porte. Ce qui importe, c’est de ne pas avoir des retraites à jouissance immédiate à payer à partir de 15 ans de services. Pour atteindre cet objectif, toujours dans l’armée de terre, chaque année une directive relative à la gestion des militaires du rang préconise la conduite à tenir envers les uns ou les autres. Les règles seront modulées en fonction du but à atteindre. Certains ne feront que trois, cinq ou huit ans de services militaires. Ils ont comme maigre consolation un hypothétique droit à la reconversion. Certains caporaux-chefs ou quartiers maîtres de 1ère classe peuvent espérer percevoir une indemnité de départ s’ils ont au moins neuf ans et au plus onze ans révolus de services militaires accomplis. Mais rien n’est acquis d’avance ! Faut-il encore que le chef de corps ne souhaite pas renouveler le contrat. Dans ce cas, l’indemnité sera de 14 mois de solde brute. Maigre lot de consolation pour ceux qui sont à quatre ans de la retraite à jouissance immédiate.
Finalement, seuls quelques rescapés du système pourront aller au-delà de 15 ans de services et accéder au droit de percevoir cette fameuse retraite à jouissance immédiate.
Mais la précarité de nos soldats dépasse très largement l’unique question de la durée du contrat d’engagement. Elle est omniprésente dans la vie de tous les jours car les banques ne prêtent sur le court ou le long terme qu’à ceux qui ont une situation stable. Difficile dans ces cas d’acheter une maison ou un appartement, d’espérer fonder une famille en toute sécurité.
Pourtant, à la demande des représentants syndicaux et patronaux à Bruxelles, la Commission européenne publiait, le 28 juin 1999, une directive communautaire posant le principe que les CDI « sont et resteront la forme générale des relations d’emploi entre employeurs et travailleurs ». La directive faisait obligation aux Etats membres « d’établir un cadre pour prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs ». Pour l’application de cette directive, le gouvernement français a fait adopter une loi qui prévoit que les CDD des fonctions publiques d’Etat, hospitalière et territoriale ont une durée maximale de trois ans et ne peuvent être renouvelés au-delà de six ans. Si à l’issue de cette période maximale, ces contrats sont reconduits, ils ne peuvent l’être que par décision expresse et pour une durée indéterminée ». Les partisans de cette création d’un CDI font valoir qu’il met fin à la précarité qui affecte quelque 250 000 agents des trois fonctions publiques. La fonction publique militaire faisant partie de la fonction publique de l’Etat, on ne voit pas pourquoi les engagés ne bénéficieraient pas de ces dispositions et n’accèderaient pas comme les autres agents à une situation statutaire et règlementaire qui les protégerait beaucoup mieux et qui est celle des militaires de carrière.
On s’étonne donc que la Cour des comptes, pour une fois mal informée, puisse encourager le recours aux carrières courtes, alors qu’il s’agit déjà du cas général concernant plus de la moitié des effectifs militaires :
« Indépendamment d’éventuelles réformes qui touchent à l’architecture même du système de retraites, la Cour recommande les ajustements suivants :
– Pour faire face à la question du « pyramidage », les armées pourraient ainsi favoriser, plus encore, les carrières courtes (inférieures à 15 ans) non seulement pour les militaires du rang mais aussi pour une part notable de l’encadrement. Le nombre des militaires sous contrat est de nature à faciliter une telle orientation »
Sur ce point, le Ministre de la Défense a répondu :
« Il convient de rappeler que, à ce jour, les militaires servant sous contrat représentent 53,42% de l’ensemble de la communauté militaire. Favoriser de façon trop accentuée les carrières courtes, et donc n’ouvrant pas droit à pension militaire de retraite, pourrait affecter gravement la ressource démographique et entraîner des problèmes d’attractivité du métier des armes. »
Dans les semaines ou mois à venir, l’Armée de terre, s’apprêterait à renvoyer dans leurs foyers un certain nombre d’EVAT avant qu’ils ne franchissent le Cap fatidique ; nul, bien entendu, n’ose penser que l’Armée de terre puisse contredire le ministre dont nous avons cité la réaction à propos des propositions de la cour des comptes. Il y a une dizaine de jours, un des visiteurs du soir avait envoyé à l’Adefdromil le billet intitulé « Pensons Pensions » publié sur le site et formulé des propositions plutôt de bon sens. Si la situation des militaires est appelée à changer, rappelons que seul le Parlement peut en décider, de façon, espérons-le, un peu plus sérieuse qu’il ne l’a fait pour le vote du nouveau SGM dont l’Adefdromil a l’intention de vous entretenir dans quelques jours.
Rapidement, il va donc falloir choisir entre la précarité organisée pour les engagés qui peut avoir un effet de repoussoir envers les jeunes tentés par une carrière militaire et le maintien de quelques avantages attractifs comme celui de la retraite à jouissance immédiate après quinze années de services, qui, rappelons le, constitue le plus souvent un simple complément de revenus et non une rente confortable.
Pour les éclairer, nos décideurs disposent désormais du Haut Comité d’Evaluation de la Condition Militaire tout récemment créé, et encore silencieux, auquel pourrait-être confiée une étude des mesures susceptibles de limiter la précarité de nos engagés, tout en rassurant la Cour des Comptes sur les objectifs de gestion.
Renaud Marie de Brassac