Pour quelques dollars de plus…

Au moment où les médias désoeuvrés s’inquiètent des difficultés du recrutement militaire dans les pays développés, qui se souvient encore que la perspective de ces mêmes difficultés constituait, en France, le principal motif de la refondation du statut général des militaires (SGM) ?
Non sans lucidité, nos dirigeants avaient clairement saisi le paradoxe d’une force armée remise à niveau sur le plan des matériels, mais désertée par ses troupes. Un journaliste de l’époque, spécialiste des questions militaires dans un grand quotidien national résumait l’inquiétude d’alors en prédisant qu’il sera plus facile de construire un second porte-avions, nucléaire ou non, que de recruter les membres d’un deuxième équipage.
Il faut admettre que les effets de la « déconscription » se faisaient cruellement sentir, alors même que les anachronismes du statut pesaient trop lourdement sur les personnels résiduels et qu’en cette fin de XXème siècle, une embellie économique attirait la ressource vers des métiers plus marrants.

En dépit de ses belles déclarations préliminaires d’intention, nous avons tous assisté, impuissants, au naufrage des velléités rénovatrices du Ministre de la Défense. Son action s’inscrit à l’évidence plus dans un vain parcours politique personnel, que dans la pérennisation d’une défense adéquate. Cédant aux groupes de pression étoilés ou autres, le pouvoir politique accoucha d’un texte dénué de toute fraîcheur, l’intangible commandant de ne pas remettre en cause l’omnicompétence du chef militaire français. Le SGM « nouveau », officialisant un décrochage conséquent entre les aspirations modernes et l’archaïsme du métier des armes n’en fut pas moins salué par l’ensemble de la représentation nationale comme une réussite consensuelle (c’est vrai qu’il n’y eut personne dans la rue). Nos parlementaires avaient manifestement perdu de vue le pourquoi de la chose, et tout aussi manifestement d’autres chats à fouetter.

Malheureusement, les faits ont pour détestable habitude d’être têtus. Nonobstant une campagne publicitaire au coût pharaonique, l’armée française peine à regarnir ses rangs, à recruter une jeunesse saine et dynamique, et toujours à conserver les bons éléments. Ces derniers, et en dépit d’une conjoncture économique actuellement moins favorable, découvrent assez rapidement que ce qu’ils ont appris à faire dans l’armée, parfois dans d’exécrables conditions, ils peuvent le faire partout ailleurs, dans de bien meilleures.

Dans un premier temps, et sous couvert d’une égalité psycho physico physiologique à pleurer de rire, la féminisation à marche forcée aura permis de masquer le processus anémiant. Au royaume des effectifs, il n’existe aucune différence entre un « bon gars » et « une brave fille » et les jeunettes offrent même l’avantage de faire baisser la moyenne d’âge. D’où les cris de victoire de nos gestionnaires avant que l’explosion du taux d’absentéisme pour raisons médicales ne vienne les rappeler aux dures réalités humaines.

De la même façon, on trouvera toujours une frange de la population susceptible de répondre favorablement, mais faute de mieux, à l’appel d’une solde assurée. Mais les « mercenaires » présentent, tout comme les amazones, un fort taux d’attrition.
Avant même d’être concrétisé par une pénurie de personnel, le problème du recrutement commence toujours par un déficit en motivation. De ces motivations qui fondent, vaille que vaille, les vocations et assurent, peu ou prou, la cohésion de l’ensemble.
C’est hélas au moment de l’utilisation des « moyens » que ça se gâte un tantinet. On peut, à la rigueur comptabiliser un individu en congé de longue durée dans les effectifs. Il est plus difficile de lui désigner une mission ou de l’envoyer au combat.
A défaut d’avoir réellement construit quelque chose d’attractif, le ministère va devoir se tourner vers les bonnes vielles recettes pour repousser le constat d’échec (disons jusqu’en 2007).

La prime à l’engagement demeure l’idée maîtresse de ceux qui en manquent un peu. Elle est vieille comme le monde, et seuls les niveaux atteints commencent à innover un peu. Selon « OUEST France », les australiens offrent 20 000 dollars pour recruter un militaire, quand les américains en proposent 40 000. Sans doute l’effet « IRAK ».
La palme revient sans doute aux canadiens qui lâcheraient royalement 250 000 dollars pour détourner un médecin vers la troupe. Voilà qui doit donner des poussées d’urticaire à notre service de santé des armées qui, hier encore, proposait a contrario un sacré pécule pour éclaircir ses rangs. Comprenne qui pourra.

Une autre approche, sans doute plus pragmatique si on occulte les possibles dérives, consiste à rémunérer le militaire qui concrétise le recrutement d’un tiers (famille, amis, voisins, …tout est bon). Nous voilà revenu au temps du sergent recruteur qui touche 500 livres sterling par recrue s’il est militaire de sa très gracieuse majesté, et 2 500 dollars s’il est américain. L’histoire ne dit pas si le recruteur reverse une partie de la prime à « sa » recrue. Notons qu’un général de gendarmerie mobile écrivait il y a deux ans dans une feuille de chou locale et par lui subventionnée, qu’il récompenserait les siens gendarmes réussissant l’exploit de fomenter des vocations. Nul n’est prophète en son pays.

Pour attirer et retenir le candidat, on peut aussi augmenter les soldes, comme par exemple et pour la quatrième fois cette année, la Nouvelle Zélande. Les anglo-saxons sont pragmatiques et appliquent la devise: « every man his price ». Le problème bien français est qu’une augmentation des soldes se heurterait au sacro-saint principe de la grille de rémunération des fonctionnaires. Si nous n’avons pas trop entendu nos « camarades » de la fonction publique, ni d’ailleurs nos « Chefs » syndicaux, quand nos soldes s’éloignaient durablement de cette grille et vers le bas, il est hautement probable que l’inverse produirait rapidement quelques remous.

Enfin, et en désespoir de cause, certains pays commencent à embaucher des ressortissants étrangers, et Philippe CHAPLEAU, de « Ouest France » cite l’Espagne qui vient d’incorporer 300 argentins et uruguayens dans ses rangs. Observons encore que le service de santé de l’armée française louche depuis belle lurette sur ce genre de recrutement « latéral », puisque tout médecin européen peut exercer librement en France.

Le pacifisme prôné depuis des décennies, la chute du mur de Berlin et la disparition des menaces identifiables n’invitent pas à se lancer dans une aventure apparemment sans avenir. Pour voir du pays il suffit d’intégrer des multinationales et pour faire de l’humanitaire il existe d’autres voies moins aliénantes que l’engagez-vous (qu’ils disaient).
Devant de telles évolutions, il reste audacieux d’affirmer qu’une rénovation réelle du SGM aurait conjuré longtemps le spectre de la désertification. Pour autant, il est difficile de croire que l’intangibilité de la subordination à la française réponde à une aspiration aussi profonde que secrète de la jeunesse actuelle.
On aura beau proclamer que nos enfants réclament ordre et autorité, voire coups de pieds aux fesses, la simple observation de la réalité quotidienne prouve qu’il n’en est rien, ou qu’ils cachent magistralement leur jeu.
Rien ne s’opposait d’ailleurs à ce que cette rénovation avortée dépasse le simple cadre d’une remise à niveau sociale et fasse preuve d’imagination dans des avancées conséquentes ou agréablement surprenantes. L’Histoire des armées est jalonnée de périodes où la condition sociale du militaire s’élevait largement au dessus de la moyenne générale et faisait figure d’exemple. Ensuite le progrès et l’indifférence grignotaient cette avance jusqu’à l’anéantir, puis creuser un retard dont on ne percevait la réalité qu’au travers des difficultés à recruter. Et on dit que l’Histoire ne repasse jamais les mêmes plats!

L’échec de la modernisation sociale du Statut Général des Militaires ne se résume pas en la simple victoire d’une caste de privilégiés sur le plus grand nombre, et avec la complicité suspecte du politique de tout bord. C’est, pour l’essentiel, un rendez vous manqué entre les forces vives de la nation et sa fonction publique militaire. Chacun est reparti de son coté, la jeunesse vers des aspirations à sa démesure, et l’armée vers une sorte de ghetto feutré bruissant des coups pendables de quelques autorités et des secrets défense bien commodes de son ministre.
Celui-ci n’a plus aucune marge de manoeuvre pour redresser la situation et, de toute façon, semble avoir l’esprit occupé à autre chose. Genre « fusibler » à l’aube deux ou trois généraux pour préserver son microscopique potentiel électoral. A cet effet, il n’a pas hésité à amplifier démesurément les responsabilités d’exécutants ou de simples « responsables » de tout niveau en oubliant d’assumer les siennes par une démission qui allait pourtant de soit.
On eut même la stupéfaction de le voir batifoler dans une émission divertissante où, curieusement, on souleva plus les conditions d’exécution sommaire d’un terroriste en Côte d’Ivoire que celles d’un juge français à Djibouti. Concernant ce dernier, il aura fallu dix ans pour que la thèse du meurtre « économico-politico-mafieux » l’emporte sur celle d’un « suicide » pourtant dûment constaté par la gendarmerie française. Sans doute la même qui écoute les conversations téléphoniques sur ordre ou boute le feu à des paillotes.
Mais là nous sommes tout à fait sereins. Avec un procureur implacable comme Michèle Alliot Marie, dont le but claironné est de préserver la crédibilité de la France aux yeux d’un monde qui s’en contrefiche, les commanditaires, les assassins, les falsificateurs de rapport d’autopsie, les salisseurs de la mémoire du juge BORREL ont du souci à se faire.

Claude DEBEIR

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