La Suspension d’emploi

Il suffit de lire la presse ou de se rendre sur certains sites militaires pour se rendre compte que tout et n’importe quoi est dit au sujet de la suspension d’emploi concernant nos trois camarades suspendus par le ministre de la défense dans le dossier communément appelé «L’Affaire Poncet».

C’est ainsi, par exemple, qu’un général qualifie la suspension d’emploi de sanction disciplinaire sur le site de la Saint Cyrienne. Comment voulez-vous, partant de là, que les journalistes, pas très au fait du statut général des militaires, écrivent des choses sensées ?

En réalité, la suspension d’emploi est une mesure conservatoire qui peut être prononcée par toute autorité ayant pouvoir disciplinaire dans le respect des dispositions de l’article 44 de la loi n°2005-270 du 24 mars 2005 portant statut général des militaires qui dispose :

« En cas de faute grave commise par un militaire, celui-ci peut être immédiatement suspendu de ses fonctions par l’autorité ayant pouvoir disciplinaire.

Le militaire suspendu demeure en position d’activité. Il conserve sa solde, l’indemnité de résidence et le supplément familial de solde.

La situation du militaire suspendu doit être définitivement réglée dans un délai de quatre mois à compter du jour où la décision de suspension a pris effet. Si, à l’expiration de ce délai, aucune décision n’a été prise par l’autorité ayant pouvoir disciplinaire, l’intéressé est rétabli dans un emploi de son grade, sauf s’il est l’objet de poursuites pénales.

Lorsque le militaire, en raison de poursuites pénales, n’est pas rétabli dans un emploi de son grade, le ministre de la défense peut déterminer la quotité de la retenue qu’il subit et qui ne peut être supérieure à la moitié de sa solde augmentée de l’indemnité de résidence et du supplément familial de solde.

Si le militaire n’a subi aucune sanction disciplinaire, il a le droit au remboursement des retenues opérées sur sa rémunération. Toutefois, en cas de poursuites pénales, ce droit n’est définitivement arrêté qu’après que la décision rendue par la juridiction saisie est devenue définitive. »

Le Temps pendant lequel un militaire est suspendu compte pour les droits à l’avancement et pour les droits à pension de retraite.

Le temps passé dans cette situation est aussi pris en compte pour la progression dans les échelons de solde, à l’exception toutefois des échelons spéciaux de certains grades et des échelons spéciaux de lieutenant-colonel ou assimilé.

Dès la notification de la décision de suspension d’emploi le militaire concerné par la mesure peut, s’il l’estime infondée ou irrégulière, demander au juge des référés, qui est un magistrat statuant seul, d’ordonner des mesures provisoires tendant à préserver ses droits.

Dans le cas d’espèce, les militaires suspendus peuvent saisir le juge des référés d’un référé suspension afin d’obtenir la suspension de l’application de la décision administrative prise par le ministre de la défense.

La mesure de suspension est provisoire, elle cesse de produire son effet dès que le tribunal s’est prononcé sur la demande d’annulation.

Le juge se prononce dans un délai variant de 48h à un mois ou plus en fonction de l’urgence.
Les conditions à remplir sont les suivantes :

Avoir au préalable ou simultanément demandé au tribunal l’annulation de la décision ; Justifier de l’urgence ; Démontrer qu’il y a un doute sérieux sur la légalité de la décision ; La décision ne doit pas être entièrement exécutée.

La requête est toujours présentée par écrit et signée. Elle doit contenir tous les éléments nécessaires pour que le juge puisse statuer, c’est-à-dire les conclusions (ce qui est demandé précisément au juge), l’exposé précis des faits, les moyens de droit (arguments juridiques tendant à établir le bien-fondé de la demande, l’illégalité ou le doute sur la légalité de la décision. Enfin, il faut démontrer qu’il y a bien urgence.

Pour un référé suspension, il est nécessaire de joindre une copie de la décision concernée et de la demande d’annulation de cette décision.

Le ministère d’avocat n’est pas obligatoire.

La requête peut être déposée au greffe de la juridiction compétente (Conseil d’Etat ou tribunal administratif) ou envoyée par lettre recommandée. Dans les deux cas, il convient d’inscrire la mention « référé » sur la requête et sur l’enveloppe.

Enfin, pour en revenir à la suspension de fonctions, si celle-ci permet à l’administration d’écarter les militaires suspendus de leurs fonctions dans l’intérêt du service, elle permet également aux militaires de préparer beaucoup plus sereinement leur défense.

Quelques cas de jurisprudences :

La suspension de fonctions et sa prolongation sont des mesures conservatoires prises dans l’intérêt du service et ne constituent pas des sanctions ; par suite, et en tout état de cause, elles ne portent pas atteinte au principe de présomption d’innocence (Cour administrative d’appel de Bordeaux statuant au contentieux N° 98BX01613 du 18 octobre 2001)

la suspension provisoire du service, même assortie d’une retenue de traitement, est une mesure conservatoire uniquement destinée à écarter temporairement un agent du service en attendant la décision de l’autorité disciplinaire. Elle ne présente pas par elle même le caractère d’une sanction disciplinaire. Elle n’est pas au nombre des décisions qui doivent être motivées, par application de la loi du 11 juillet 1979 .Elle n’a à être précédée ni de la communication du dossier à l’intéressé ni de la consultation du conseil de discipline ; (Cour administrative d’appel de Bordeaux statuant au contentieux N° 97BX31632 du 9 novembre 2000)

la suspension de fonctions et son éventuelle prolongation sont des mesures conservatoires prises dans l’intérêt du service et ne constituent pas une sanction disciplinaire .Elles ne sont pas au nombre des mesures qui, en vertu de la loi du 11 juillet 1979, doivent être motivées. Elles n’ont pas davantage à être précédées d’une procédure contradictoire ;
Elles ne sont pas non plus au nombre des mesures pour lesquelles le fonctionnaire concerné doit être mis à même de consulter son dossier par application de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905 (Cour administrative d’appel de Paris statuant au contentieux N° 97PA03167 du 27 mai 1999)

Les faits qui motivent une suspension doivent avoir le caractère d’une faute grave (Conseil d’Etat du 18 février 1970. Centre hospitalier départemental Félix-Guyon c/ Sieurs Hoareau, Payet et Belon)

L’absence de gravité des faits retenus peut engager la responsabilité de l’administration (Conseil d’Etat du 24 juin 1977, Dame Deleuse).

La suspension peut être prononcée en cas de présomption de faute grave (CE 25 janvier 1984, Maître)

Les faits invoqués à l’appui de la suspension doivent avoir un caractère de vraisemblance suffisant (CE 2 mars 1979, Cne d’Asnière-sur-Oise)

Par poursuites pénales, il faut entendre la mise en oeuvre de l’action publique et non pas une simple plainte ou une enquête officieuse à l’encontre du fonctionnaire. (CE 19 novembre 1993, Vedrenne)

Un fonctionnaire en congé de maladie peut être suspendu à la date d’expiration de son congé (CE 29 Octobre 1969, Cne de Labeuvrière)

L’expiration du délai de quatre mois au terme duquel le fonctionnaire suspendu doit, sauf le cas de poursuites pénales, être rétabli dans ses fonctions ne s’oppose pas à la saisine du conseil de discipline ni à l’application d’une sanction (CE 31 mai 1989, Tronchet)

L’autorité compétente peut mettre fin à tout moment à la suspension qui a un caractère essentiellement provisoire (CE 13 novembre 1981, Cne de Houilles)

Compte tenu de la nature essentiellement provisoire d’une mesure de suspension, celle-ci ne peut avoir pour effet de rendre vacant l’emploi occupé par le fonctionnaire qui en est frappé (CE 8 avril 1994, M Gabolde et Ministre de l’Economie)

Le fonctionnaire suspendu continue d’être lié au service public et doit en conséquence observer la réserve qu’exige la qualité dont il demeure revêtu et notamment s’abstenir d’exercer toute activité incompatible avec la mission du corps auquel il continue d’appartenir ; cependant, du fait même qu’il est dans l’impossibilité de poursuivre l’exercice de ses fonctions, il cesse d’être soumis à l’interdiction de principe du cumul desdites fonctions avec une activité privée rémunérée (CE 13 juillet 1966, Fédération Education nationale)

Lorsqu’un fonctionnaire suspendu vient à être incarcéré, l’autorité compétente peut mettre fin à la suspension et constater que, du fait de son incarcération, l’intéressé se trouve dans l’impossibilité d’accomplir son service et perd tout droit à rémunération (CE 13 novembre 1981, Cne de Houilles).

Lire également :

mercredi 19 octobre : La suspension du Général PONCET : une plus grande exigence de vérité et de responsabilité par Dominique de Brienne, mercredi 19 octobre : la paille et la poutre par Christian L’Huillier, mercredi 19 octobre : Drôle de retraite pour un général (Canard Enchaîné), samedi 22 octobre : AFFAIRE PONCET vue du côté de la presse ivoirienne.

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