Il faut sauver les officiers généraux !

IL FAUT SAUVER LES GENERAUX DE L’ARMEE FRANCAISE

PAR CHRYSOSTOME

« Ils croyaient que se retrouver Capitaine en 1815 était épouvantable. Ils ne savaient pas qu’à ce grade là tout le bonheur de la vie serait épuisé pour une génération de militaires qui s’en f.. bien d’être général. Général de quoi ? Est-ce que le métier de soldat en France va devenir cette mascarade honteuse ? »

Colonel André Brouillard dit Pierre Nord (1)

En 1944, en Normandie, il fallait sauver le soldat Ryan ! Aujourd’hui en 2005, il faut sauver les généraux de l’armée française.

La Ministre l’a bien compris. Il faut materner les étoilés, leur épargner le traumatisme du retour à la vie civile, celui de la perte de la voiture de fonction avec chauffeur, de la secrétaire et du planton. Donc, pas question de poireaux grognons ! Elle a donc fait valider par le conseil des ministres l’idée qu’on lui a soufflé : consacrer un général à la reconversion de ses congénères, un peu comme ce ministère qui, à Brasilia, est dédié à la « débureaucratisation ».

A la décharge des généraux, le métier est difficile. Que de patience et d’abnégation pour parvenir aux étoiles désirées accordées de manière dérisoire pour quelques années. Ainsi, environ 30% des promotions de Saint Cyr – 180 élèves environ – deviennent généraux. Mais, Général de quoi, pour reprendre l’expression de Pierre Nord, grand soldat qui quitta l’armée comme colonel à 46 ans pour se consacrer à l’écriture.

Général de Compétence ? L’impertinent Le Luron parlant des gens com…pétents disait : « ça va faire du bruit ». Avec les généraux peu de risques ! Car compétence ou incompétence rime avec silence. L’histoire de ses trois chefs successifs d’une grande direction du personnel militaire manifestement désignés pour leur compétence, est édifiante. Le premier, après deux ans de fonction, demandait qu’on lui explique la différence entre la disponibilité des officiers et le congé sans solde, un peu comme si un directeur des ressources humaines s’interrogeait sur la distinction entre un contrat à durée déterminée et un contrat d’intérim. No comment ! Le second, quant à lui, conscient de ses lacunes avait choisi par prudence – d’aucuns diraient par pusillanimité – de déléguer dès sa prise de fonction la gestion des personnels à ses chefs de bureau en application de l’adage : pas de c., pas d’embrouilles ! Enfin, le troisième avait lors de sa prise en mains du service énoncé à ses collaborateurs directs le principe directeur de son action : « Ce qui est important dans la gestion des personnels, ce sont les interventions. Plus l’autorité à l’origine de l’intervention est d’un rang élevé, plus cette autorité est en droit d’obtenir satisfaction », appliquant ainsi inconsciemment ces vers de Corneille :

« Car on doit ce respect au pouvoir absolu
De n’examiner rien quand un roi l’a voulu
».

Avec, à la clé, la certitude de recevoir toute l’estime de l’intervenant à défaut de celle d’affecter « the right man at the right place »! Mais c’est comme cela qu’on fait carrière.

Général d’Objectivité ou général Conditionnel ?

En temps de paix, faute de manier l’épée, on s’essaye à manier modestement la plume : « J’estime en conséquence que le Capitaine X pourrait, étant donné son esprit revendicatif et corporatiste présenter un danger pour la cohésion d’un régiment à faible effectif s’il est placé dans un poste de commandement. » La promotion des généraux est le plus souvent conditionnelle. La mutation du Capitaine X, quant à elle, a été annulée grâce à ce conditionnel qui ouvre des perspectives infinies dans les appréciations des subordonnés :

– « Pourrait devenir dangereux si le parti communiste se l’attachait ». Notation bien connue du Colonel Bigeard par le général Massu.

– Et pourquoi pas : « Pourrait être c.., s’il n’était intelligent ». A noter que la réciproque est vraie.
– « Pourrait devenir terroriste s’il se convertissait à l’Islam ou même pourrait devenir général si on cousait des étoiles sur ses manches. »

Général de Flagornerie ?

Les étoiles se méritent. Alors il ne faut pas hésiter à honorer les nouveaux promus en la personne desquels on est récompensé. Ce qui donne ce morceau d’anthologie d’un colonel devenu depuis général, lors de la remise d’un képi d’apparat à son chef nouvellement étoilé :

« Votre nomination au grade de Général de Brigade a constitué un heureux évènement au sein de la xème division. Aussi le privilège du grade et de l’ancienneté dans le grade, me vaut il l’honneur de vous demander de bien vouloir agréer les félicitations les plus vives et les plus respectueuses de tous les officiers de notre grande unité.

Les us et coutumes militaires veulent que les compliments adressés par un subordonné à un supérieur soient aussi sobres que possible. Je ne céderai donc pas à la tentation de vouloir tenir en quelque sorte le rôle de coryphée dans le théâtre antique, pour vous exprimer tous les sentiments que nous inspire la distinction dont vous venez de faire l’objet. Toutefois, je ne puis m’empêcher de porter témoignage de l’élan de satisfaction qu’a emporté parmi tous vos officiers votre accession aux étoiles. Tous mes camarades, en effet, s’accordent à reconnaître que votre passage dans le corps des officiers généraux est la juste récompense de vos mérites et de vos qualités réelles de chef. Personnellement, en raison des liens de camaraderie, voire même d’amitié qui nous unissent depuis plus de vingt cinq années, j’ajoute que votre nomination m’a réjoui.

Mon Général, les officiers de la xème division ont tenu à concrétiser tous les sentiments que je viens de décrire. C’est la raison pour laquelle, ils vous offrent votre képi brodé, symbole de votre nouvel état d’officier. » Ultimes conseils pour les arrivistes qui resserviraient le discours : ne pas oublier les fleurs pour l’épouse (ou pour le concubin si le général est gai et pacsé).

Général de Créativité ?

Dans la Gendarmerie, les généraux ne commandent pas vraiment puisque leurs troupes sont aux ordres des procureurs et des préfets qui notent les officiers. Ils inspectent. C’est la raison pour laquelle les postes en administration centrale sont les plus prestigieux. On y traite des dossiers d’organisation de la gendarmerie. Ainsi, un ami pandore me contait l’angoisse existentielle de son général directeur des personnels qui devait donner son avis sur l’effectif d’une brigade de gendarmerie proposé à 8 par le directeur des opérations compte tenu de la délinquance et de la population du secteur, puis confirmé au même effectif par le directeur de la logistique qui gère le logement des gendarmes. Pas question bien sûr de contrer les autres services de la direction générale. Pas question non plus de mettre un avis conforme ou une formule passe partout du style « vu et transmis ». Que faire alors pour montrer qu’il avait un tant soit peu étudié le dossier ? Eclair de génie après vingt quatre heures de réflexion qui s’est traduit par ce modèle de transmission à conserver tout comme le discours précédent : « neuf, c’est trop, sept, ce n’est pas assez ! » CQFD. On n’est jamais trop créatif, et en plus, la formule peut resservir pour tout problème d’effectifs !

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Bien sûr, les généraux ne sont pas tous des sots ou des veules, mais il n’y rien de pire dans une armée que l’autorité qui se déconsidère. Que faire dès lors pour sauver les généraux ?

Notre site étant beaucoup lu dans les hautes sphères, je ferai, en guise de conclusion quelques suggestions à notre Ministre :

Nommer un général chargé de la reconversion des généraux n’était pas une bonne idée. Sur le fond, elle est même saugrenue lorsqu’on connaît le marasme de la situation de l’emploi pour les plus de cinquante ans. S’il s’agit de reclasser ces messieurs dans des emplois publics ou parapublics avec des contrats de « différence », ainsi appelés car ils rémunèrent la seule différence entre la solde d’active et celle de la 2ème section, faut-il y consacrer un officier général à plein temps ? Nul doute qu’à la faveur d’une revue d’effectifs, le poste soit supprimé et que la fonction en soit confiée au bureau des officiers généraux du ministère.
En son temps, un intendant militaire posté en Afrique avait, paraît-il, obtenu une pension d’invalidité pour « sénilité précoce coloniale ». Une bonne mesure alternative à l’objectif de reconversion des généraux serait d’augmenter le budget des pensions militaires d’invalidité et de permettre la concession de pensions aux seuls officiers généraux pour « séquelles post-traumatiques du retour à la vie civile ». Il n’y aurait alors plus besoin de les reconvertir. Diminuer le nombre de postes de généraux et allonger le temps passé dans le grade de Général. Il suffit de comparer ce temps avec la durée des fonctions des cadres supérieurs de la fonction publique ou du privé pour comprendre que cette ronde des étoiles décrédibilise l’autorité et la fonction militaire. Adapter le nombre d’élèves officiers d’active entrant dans les grandes écoles militaires aux besoins réels des armées en encadrement supérieur après sélection. Pour ne prendre qu’un exemple, comment expliquer que l’effectif des promotions de Saint-Cyr n’ait jamais varié -ou si peu- depuis le milieu des années soixante : 180 cyrards environ alors que le modèle d’armée n’est plus le même depuis belle lurette. Est-ce pour faire défiler chaque année deux bataillons en casoar et gants blancs le 14 juillet ? Et se retrouver trente plus tard avec la ronde des étoiles et toutes les mesures de gestion de fin de carrière qui grèvent le grand livre de la dette publique du poids des retraites ? Tout cela relève-t-il d’une saine gestion de la France, c’est-à-dire d’une bonne politique ? Poser la question, c’est évidemment y répondre. La fonction publique civile n’est d’ailleurs pas en reste qui crée des postes de directeurs pour donner des débouchés à ses énarques trop nombreux qui n’ont pu pantoufler dans la banque, l’assurance ou devenir politichien.

Bref, il y a du pain sur la planche pour sauver non seulement les généraux, mais aussi la République !

(1) André Brouillard dit Pierre Nord
1900-1985
André Brouillard est né en 1900 au Cateau (Nord), d’où le choix de son pseudonyme. Arrêté à Saint-Quentin par les Allemands pendant la première guerre mondiale (19l6) pour faits de résistance, condamné à mort, gracié, Il est déporté dans un Strafbataillon. Elève à Saint-Cyr (1920-1922), à l’Ecole supérieure de guerre (1932-1934), il est breveté d’état-major et diplômé de l’Ecole libre des sciences politiques. Officier des chars, il fait campagne au Maroc, est blessé dans le Rif et fait chevalier de la Légion d’honneur. Spécialisé dans le Deuxième Bureau, il est en 1939-1940 chef’ des Services spéciaux des 9ème et 10ème Armées. Prisonnier en 1940, il s’évade et devient un des animateurs de l’Armée secrète. Il finit la guerre comme colonel, titulaire de nombreuses décorations françaises (Commandeur de la Légion d’honneur, Croix de Guerre 1939-1945 et Croix de Guerre des théâtres d’opérations extérieures, six citations, Médaille de la Résistance avec rosette, etc.) et étrangères (Croix de Guerre belge avec palme, ordre des Barricades de Prague, etc.). Il quitte l’armée en 1946 pour se consacrer à la littérature où il a fait ses débuts en 1936 avec Double crime sur la ligne Maginot. Le Grand Prix du roman d’aventures lui a été attribué pour Terre d’angoisse (1937) et le Grand Prix Vérité pour son ouvrage sur La Guerre secrète 1940-1945 : Mes Camarades sont morts (considéré comme un manuel du renseignement et inscrit au programme de la Special Warfare School de Fort Bragg (Caroline du Nord). Pierre Nord est lauréat de l’Académie française pour Charles de Foucauld, Français d’Afrique. Sept de ses soixante-dix romans ont été portés à l’écran. Un huitième, tiré du Treizième Suicidé, a obtenu un vif succès sous le titre Le Serpent.

Source : Le Livre de Poche, LGF

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