Quand le règlement succombe devant la justice

Le Chef qui veille serait, selon l’antienne, la garantie nécessaire et suffisante aux intérêts du subordonné.

Malheur à l’impétrant qui, en désespoir de cause, demande l’appui de la Justice pour rappeler à ce Chef bienveillant l’essentiel de son devoir. Une chose est sûre : il y laissera des plumes.

Ceci est particulièrement détestable quand, face aux dégâts irréversibles occasionnés par une application bornée, voire erronée, du Règlement, la Justice lui donne ultérieurement raison.

L’histoire de l’Adjudant R., celle de médiocres revanchards et de chefs frileux qui s’alignent sur eux pour respecter l’obligation institutionnelle de ne pas faire de vagues, vient alimenter une rubrique déjà bien fournie.

Des états de service élogieux.

Entré en service en 80, RICHAUD aligne hors l’année du massacre, les appréciations les plus flatteuses.

Professionnel compétent, consciencieux, travailleur serviable et opiniâtre, sous-officier au comportement militaire irréprochable, lettre de félicitations à l’appui, notre malheureuse victime d’aujourd’hui avait acquis, au fil d’une bonne vingtaine d’années de service, l’entière confiance de ses chefs.

Certes, ne pouvant distribuer de 13e mois, l’institution n’est pas avare de ces gratifications élogieuses qui n’engagent en rien l’alignement ultérieur des effectifs budgétaires. Toutefois RICHAUD était le seul, avec tous les autres, à les mériter pleinement.

Un examen de sa notation montrait toutefois au lecteur attentif que l’Adjudant n’était pas un inconditionnel de ces tracasseries qui font la grandeur de la servitude militaire. Derrière un conformisme de bonne composition il n’en pensait pas moins. Il était clair qu’il faudrait avoir des billes si l’on voulait le chatouiller de ce côté là.

Le coup de pied de l’âne.

La première et seule banderille de sa longue et belle carrière fut lancée par un petit personnel féminin.

Peu encline à recevoir des ordres, la jeune enfant du haut de ses deux années d’armée remet en cause en 2002 les vingt-deux ans de bons et loyaux services de son chef hiérarchique. Pour elle, arrivée à reculons dans le service, recevoir des ordres, et les remarques nécessaires quand ceux-ci ne sont pas suivis d’effet, est assimilable à du harcèlement moral.

RICHAUD a vent de l’affaire qui gonflait bien avant qu’elle ne lui soit signifiée. Il estime que la prétendue atteinte à la dignité de cette personne aurait dû inciter leur Chef de corps, avant toute décision de mutation interne hautement significative, à l’auditionner en premier sur la réalité des faits. C’est au prix de cette chronologie que la fonction de Chef de service et de chef tout court sera respectée. Peut- être ne le savait-il pas.

Déçu, inquiet et blessé par la facilité avec laquelle la demoiselle avait l’oreille du Chef, constatant que ses notes avaient déjà baissé, craignant que la mauvaise odeur ne prospère davantage derrière son dos, en homme averti que la meilleure des défenses est l’attaque, le sous-officier porte plainte en dénonciation calomnieuse.

« La hiérarchie semble ne tenir compte que des dires de l’intéressée« . S’emparant de ce sentiment exprimé par un message de Gendarmerie (et non par un procès-verbal d’audition signé du plaignant), l’autorité militaire de premier niveau punit l’Adjudant pour réflexion ou attitude déplacée.

Cette punition, après deux recours, est annulée par le Général commandant la Région. Le brave homme lui explique cependant qu’il n’est pas exclu qu’une punition plus sévère, vienne s’y substituer.

Bref, le rouleau compresseur est sur son erre, d’autant que bien conseillée, la jeune engagée poursuit à son tour l’Adjudant devant le Tribunal de Grande Instance pour harcèlement, calomnie et mise en péril de sa carrière. Ce n’est plus le théâtre aux Armées, c’est DALLAS.

La mémoire de l’âne.

La prescience étant le propre de tout bon Général, la nouvelle punition tombe effectivement le 5 mars 2003. Cette fois, enfin serait-on tenté de dire, le sous-officier émarge pour le prétendu harcèlement moral : 20 jours d’arrêts = carrière brisée.

Six mois se sont passés dira l’étoilé, depuis les racontars de la jeune enfant. Mais ajoutera-t-il comme pour s’excuser, c’était pour les besoins de l’enquête. En oubliant que l’une de ces enquêtes avait été demandée par l’Adjudant lui-même pour permettre au Tribunal de le blanchir. Se hasarder à punir au vu des seuls rapports intermédiaires de Gendarmerie (et de laquelle des deux enquêtes SVP ?), sans attendre leur interprétation par la Justice, est-ce un comportement de Chef qui veille aux intérêts du subordonné ?

Afin d’instruire son nouveau recours, car les faits – la justice civile le dira – ne sont pas avérés, l’intéressé demande, conformément aux dispositions réglementaires, la consultation des pièces au vu desquelles il fut décidé de le punir. Il n’y en a pas, le bulletin de punition, selon le Grand Commandeur semblant tout ignorer de l’article 33 paragraphe II du RDG, se suffirait à lui-même! Ou si d’aventure il devait y en avoir, c’est du côté de l’instruction des plaintes civiles (naturellement les PV de la Gendarmerie ne purent lui être communiqués) qu’il est invité à se tourner. Or, l’autorité judiciaire civile le lavera de tout soupçon. Ubuesque !

Ubuesque et imparable. Dans ces conditions léonines aucun recours militaire ne lui semble rationnel. RICHAUD effectue sa punition.

Enfin les choses sérieuses.

A ce stade de l’affaire, on constate que la présomption d’innocence et les droits élémentaires d’une défense contradictoire sur pièces n’ont pas toujours cours dans l’Armée.

Le Général punit en violation de l’article 33 du RDG, de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905 et de l’arrêt CASALTA, en laissant aux juristes de la Défense, en toute bonne foi n’en doutons pas, le soin de le sortir de ce bourbier. (CASALTA, qui c’est celui-là ? N’est-il pas suffisant d’avoir à se bourrer la tête de Georges GUYNEMER, héros légendaire tombé en plein ciel de gloire le 11 septembre 1917 à POELCAPELLE, restera le plus pur symbole des qualités de la race etc. ? Alors pour CASALTA ! Il n’y avait plus la place pour lui.).

Comme par hasard, des plaintes de l’Adjudant et de la jeune femme, seule celle de cette dernière sera instruite. Le plaignant RICHAUD devient ainsi « le prévenu RICHAUD, jamais condamné, comparant libre par-devant le Tribunal de Grande Instance, pour jugement correctionnel« . Sa victoire n’en sera que plus éclatante.

Le tribunal relaxe RICHAUD des faits qui lui sont reprochés et déboute la plaignante de toutes ses demandes.

Considérant que par ce jugement les faits à l’origine de sa sanction de 20 jours d’arrêts doivent être regardés comme n’étant pas établis, l’Adjudant saisit le Tribunal Administratif.

C’est ainsi que la Justice de son Pays, meilleure enfant que le Règlement de Discipline Générale dans les Armées, condamne la Défense à annuler cette punition et à verser à Monsieur RICHAUD la somme de 500€.

Ce ne sont là que deux amères victoires puisque devant des notes 2003 calamiteuses, une carrière brisée, une mutation promotion à PARIS où l’air pur et les loyers pas chers donnent à réfléchir, l’Adjudant RICHAUD avait pris les devants. Il était devenu Monsieur RICHAUD.

Epilogue.

Aux dernières nouvelles la jeune engagée continue avec courage à faire face à des règles douloureuses. La dernière est d’apprendre que pour commander, il faut d’abord savoir obéir.

Les débats ont dévoilé que sa conseillère et celle du Commandement, ouvrière civile à forte corpulence, forte ancienneté dans la place, et surtout forte influence car fortement syndiquée, n’aurait pas dédaigné prendre la place de l’Adjudant.

Le Chef de corps, en guide bienveillant, se réjouit d’avoir su montrer aux générations montantes que dans notre Armée, une sanction disciplinaire peut être prononcée, quand le Juge civil, dont c’est le métier, dit que la relaxe s’impose.

Le Général qui, comme son nom l’indique, n’a pas fait dans le détail, se commet dans un ouvrage sur l’accès des non-voyants au pilotage à vue. Nul doute qu’il a toutes les qualités requises pour réussir pleinement dans sa nouvelle tâche.

Dans une société soucieuse de son apparence, l’autocensure fonctionne à merveille. La société militaire n’échappe pas à la règle. Les nouveaux statuts ministériels viennent en effet de reconduire l’interdiction de faire défendre ses intérêts par un organisme indépendant de la hiérarchie. Sinon, la Patrie serait en danger.

Le Chef, juge et partie, avec les conséquences que cela implique comme dans notre exemple du jour, voilà de quoi donner du grain à moudre à l’ADEFDROMIL pour quelque temps encore.

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