Il a quitté l’armée : la triste colère d’un officier

(Cet article de Henri LANGEAU est extrait de l’hebdomadaire MINUTE n° 2215 du mercredi 20 juillet 2005 et reproduit sur le site de l’ADEFDROMIL avec l’autorisation du directeur de publication de ce journal) (1)

Jeune officier et saint-cyrien, Didier X a récemment démissionné de l’armée. Il explique à « Minute » ses raisons.

Minute : En tant que jeune officier, comment avez-vous vécu le passage à la professionnalisation ?

Didier X : J’étais contre la professionnalisation parce qu’il était facile de prévoir ce qui s’ensuivrait. L’exemple de la Grande-Bretagne montrait que, dans un premier temps au moins, nous affronterions des difficultés de recrutement, à la fois qualitatives et quantitatives.
Nous aurions d’abord une armée « anti-chômage », qui, contrairement à ce qu’on nous affirmait, coûterait plus cher et dont la motivation serait très basse.

L’état des matériels s’est-il trouvé amélioré du fait de la professionnalisation ?

Non. Même les véhicules ne sont plus en état de disponibilité matérielle. En théorie, je commandais une section de véhicules de l’avant blindés (VAB) ; en réalité, nous en avons manqué pendant deux ans. Nous marchions.

Dans ces conditions, comment parveniez-vous à motiver vos hommes ?

Dans les sections que j’ai commandées, un sixième seulement des hommes s’étaient engagés parce qu’ils étaient attirés par l’armée elle-même ou par patriotisme. Le reste était composé de paumés, ou de gens qui ne voulaient plus vivre avec papa-maman…
Si l’on veut motiver les gens pour en faire de bons soldats, à qui l’on peut confier une arme, il faut les tirer vers le haut. Sans la discipline et l’esprit de corps, on n’y arrive pas. Or, la professionnalisation s’est accompagnée de ce qu’ils appellent un « mouvement d’ouverture de l’armée » : en l’occurrence, il s’agissait de l’ouvrir sur le monde qui l’entoure, de ne pas couper l’armée de la nation, etc.
Parallèlement, on a épuré les traditions et affaibli la discipline. Aujourd’hui, un soldat que l’on met aux arrêts pour avoir fait consommer de la drogue à ses camarades refusera de signer la feuille que vous lui présentez et vous dira : j’ai 10 jours pour réunir des témoins qui infirmeront votre décision en affirmant que je n’étais pas là à ce moment-là… Les lieutenants et capitaines qui sont chargés de motiver les gars et de leur donner un esprit de corps n’ont plus de poids : les gars vont directement frapper chez le colonel ou le général et sont reçus immédiatement.

Pourquoi ?

L’armée professionnelle a un problème de recrutement, donc on fait du quantitatif et pas du qualitatif. Ce qu’il faut, c’est garder les gens, et les jeunes officiers sont notés sur le taux d’attrition. Si vous avez réussi à garder l’ensemble de vos gens, c’est très bien. Mais si vingt d’entre eux sont partis, c’est très mal, même si ces vingt-là sont des crevures intégrales qui n’avaient rien à faire là. Tout ça porte atteinte au moral des officiers, qui se disent : je ne suis qu’un maillon de la chaîne et non seulement je ne suis plus considéré, je ne suis plus le maître à bord, mais je suis obligé de garder des gars qui n’ont rien à faire là, à qui je vais confier des armes et qu’on me demande de motiver, de former et surtout de retenir, quel que soit leur niveau, leur esprit et la valeur ajoutée qu’ils apportent à l’ensemble de l’institution.
Quand vous sentez que l’institution ne vous appuie plus pour bâtir un esprit, faire respecter la discipline et certaines valeurs, en premier lieu le patriotisme et le respect de la France, au bout d’un moment, même si vous partez gonflé à bloc et saint-cyrien, vous finissez par être mentalement fatigué. Pour qui et pour quoi travaillons-nous ? Moi, je me suis engagé pour la France.
J’étais contre la professionnalisation parce que le service militaire donnait à des gens des raisons de ne pas désespérer de la France. Je me souviens d’un fils de harki qui me disait : mon lieutenant, ça n’a plus rien à voir avec l’armée dont me parlait mon père. En revanche, ce sont les autres, parfois fils d’anciens fellaghas, qui imposent leurs propres valeurs.
Nous n’avons plus les moyens du rapport de forces. Nous ne nous respectons plus nous-mêmes.
Plusieurs choses m’ont donc conduit à démissionner de l’armée : premièrement des problèmes structurels, liés au manque de moyens et au matériel en mauvais état ; deuxièmement, un problème de personnels : on nous oblige à faire du quantitatif et plus du qualitatif ; et troisièmement, un problème de valeurs et d’esprit. L’armée, en fait, nous quitte bien avant que nous ne la quittions. Et cette analyse est partagée par un grand nombre d’officiers de ma génération.

Propos recueillis par Henri Langeau

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