Règlement, peut-être. De comptes, sûrement.

Remerciements au Ministre

Il n’est pas bon pour le subordonné de réveiller un Chef qui dort, surtout pour l’alerter sur les dysfonctionnements dont il pourrait s’accommoder. Ces colonnes en témoignent régulièrement.

Comme aurait pu le dire Sun Zi, on a beau être Chef, on n’en est pas moins homme. L’imprudent qui aurait oublié cette évidence intemporelle, soigneusement occultée par le Statut pour bien des décennies encore, risque de découvrir à ses dépens, qu’un Chef ainsi dérangé peut se mettre à veiller, d’une manière dont il se serait bien passé, sur les intérêts de l’homme de devoir, ayant eu l’outrecuidance de troubler son repos.

Au programme des réjouissances on peut citer pêle-mêle la mutation-promotion de Marseille à Limoges. Ou le retour rapide des Caraïbes vers un joli port de pêche en Périgord. Le Congé de Longue Durée à répétition pour une prétendue maladie mentale peut tout autant conduire à la réforme définitive sur les rivages de son choix. Les joies de la sortie de prison et de l’établissement psychiatrique ne seront pas davantage refusées à celui dont on s’apercevra, une fois la poussière retombée et le ménage soigneusement fait, qu’il avait été enfermé un peu vite.

Le récit qui va suivre est un triste exemple de détournement des dispositions statutaires auquel certains chefs indélicats n’hésitent pas à recourir pour régler le compte d’un personnel refusant d’être complice de leurs manquements.

Après sept années de vaines procédures, cette histoire de l’Adjudant T. connaîtra toutefois un happy end par l’annulation d’une mise à la retraite sanctionnant des fautes non commises… quatre jours avant l’échéance fatale ! Au plus haut niveau Cruella, pour une fois magnanime, a en effet réhabilité partiellement (« partiellement » car même en cas de dénouement favorable, certains dégâts collatéraux sont hélas irréversibles) le gêneur par qui le scandale prenait corps.

Magnanime…ou prudente, car la mystification aurait explosé concomitamment à un autre scandale. Celui de l’incarcération pénale puis psychiatrique de l’artificier Le Tohic. On se souvient du sort réservé à ce premier Adjudant qui, désespéré de ne pas avoir pu faire reconnaître son préjudice de notation selon les procédures régulières, avait choisi quelques jours avant la retraite-sanction d’occuper pacifiquement sa soute à munitions pour tenter d’y parvenir.

Ayant complètement loupé la première de ces deux affaires d’un même type, extrêmement sensible et prégnant chez les Sous-officiers en limite d’âge, Cruella devait se refaire une santé et se rattraper par une meilleure gestion de la seconde.

C’est fait. Qu’elle en soit remerciée. Mais pas de méprise.

Ce remerciement ne s’adresse qu’au Ministre et aux civils de son Cabinet. Lorsqu’ils sont directement saisis d’une injustice par un assujetti ou l’ADEFDROMIL, ils réagissent avec l’intelligence de la situation et celle du coeur.

Ceci ne semble pas être le cas lorsque l’affaire reste cantonnée en des mains militaires. Là, le règlement s’applique à la lettre, au point, à la virgule, au silence près, avec force timbres, tampons, cachets (comme la lettre du même nom), sceaux, formules majestueuses et ampoulées tendant à faire douter la victime elle-même sur l’iniquité qu’elle conteste. A ce règlement, les basses couches ne dédaigneront pas d’instiller cette petite dose de règlement de comptes qui fait leur charme. Le haut de la hiérarchie ne saurait les désavouer, au nom du dogme l’infaillibilité du chef, ce fondement de la discipline militaire.

La notation, instrument de revanche

Le grade d’Adjudant a quelque chose de fatal.

Le grade de Major fut créé pour offrir aux Sous-officiers supérieurs de nouvelles perspectives de carrière en trompe l’oeil. Le tour de passe-passe s’étant fait à bilan financier nul, alors qu’un nouvel échelon de solde suffisait pour acheter de l’Adjudant-chef. L’encombrement financier est maintenant descendu d’un cran et c’est au tour des Adjudants de servir de variable d’ajustement au regard de l’effectif budgétaire global du Corps des Sous-officiers.

Comment procéder autrement dès lors qu’il y avait, dans cet exemple Terre, 1292 Adjudants inscrits au TA pour le grade d’Adjudant-chef au titre de l’année 2003, sur un nombre de 5136 candidats dont bon nombre devront être placés en position de retraite prématurée. On peut se demander si un tel désordre ne ferait pas descendre la fonction publique dans la rue si d’aventure elle était ainsi gérée, afin que cela ne se reproduise plus. Non mais des fois, il y a quand même une famille à nourrir et une maison à acheter !

L’Adjudant T. n’ignorait rien des subtilités méritocratiques conduisant à la retraite-sanction par limite d’âge de militaires de bonne valeur, jeunes encore, mais ayant commis la faute rédhibitoire d’être en surnombre. Mais il ne craignait rien : Ses notes étaient en béton.

Qualifié plongeur, parachutiste, instructeur commando, sept décorations, une dizaine de séjours outre-mer, aucune faute professionnelle ni sanction en 31 ans de service, ses notes TE échelon 1 de 93 à 98, couronnées par l’appréciation littérale de « collaborateur précieux », étaient celles d’un Maréchal de France.

C’était sans compter sur la frilosité d’un roitelet local (nous sommes en Afrique !). T. le met en garde contre de graves irrégularités liées à la sécurité des matériels routiers et fluviaux, à la qualification insuffisante de leurs conducteurs, au déroulement des exercices de tir à proximité des populations et des plages de ponte pour les tortues (deux domaines médiatiquement sensibles). En vain. Aussi, comme c’était son devoir et son intérêt au plan pénal, il effectue un signalement auprès de la Prévôté.

La réponse du Chef qui veille à son intérêt est immédiate : L’homme de terrain trop compétant est remisé dans un local exigu, sans bureau ni chaise, pour se commettre dans une prospective au regard de laquelle peigner la girafe eut été d’une consistance rare. Une baisse d’échelon dans sa notation 99 lâchement sévère couronnant cette bienveillance, toute prétention au grade supérieur devenait irréaliste.

Prenant la piétaille pour ce qu’elle est, la hiérarchie lui assure la main sur le coeur que les notes d’une année A+n sont libres et indépendantes de celles d’une année A! Sornette. Affublées d’un récurrent et insuffisamment dithyrambique « Mérite de passer au grade supérieur » alors que selon l’usage il était écarté du TA, les notes 2000 à 2003 en ne lui attribuant plus le niveau exceptionnel-très élevé, acheminaient T. vers une retraite prématurée.

Le Tribunal Administratif a annulé la notation 99. Cruella, avec l’enthousiasme que l’on devine, ne la révisa a minima qu’en 2003. Trop tard, partiel et inadapté. Au regard de l’avancement perdu, le mal était fait. Irréversible.

Bon recours et recours militaire

L’entourant de toute sa sollicitude, le Chef qui veille avec bienveillance (puisqu’on nous le redit) sur les intérêts de T., poursuivit son oeuvre en polluant consciencieusement les voies de recours militaires. Ils échouèrent tous. Par la suite, des recours plus civils condamneront la hiérarchie et ses éminents juristes à réviser leurs copies!

Du syndrome Cruella à traîner les galoches.

Concernant la notation et son refus de la réviser, la Défense oppose l’inaccessibilité au Tribunal Administratif par un amalgame entre recours en révision, recours gracieux et recours contentieux. Or, dans ses différentes notifications à l’intéressé, elle n’avait cessé de lui rappeler la possibilité de le saisir.

Classement sans suite par la Magistrate Colonelle du Tribunal aux Armées de la plainte de T. contre ses premier et dernier noteurs. Comme elle avait classé sans suite une affaire de sécurité routière impliquant les mêmes personnages, décidément pas malheureux du tout.

L’Etat-major de l’armée de terre dit avoir exécuté le 27/3/2003 le jugement en date du 23/1/03 lui ordonnant de réviser la notation. En droit fil de la jurisprudence administrative et non par pure bonté comme il le prétend pour se refaire une virginité, il dit aussi avoir réuni la commission de révision du dossier d’avancement le 22/4/03. Or la feuille des notes refaites est validée au 12/5/03 ! Que croire ? Sept mois après cette révision, pas un de moins, T. apprendra que « face à une forte concurrence, vous avez été primé par meilleurs que vous« . Ce que confirmera la Commission de Recours des Militaires et le cabinet du Ministre le 21/4/2004. Ben voyons.

Conformément à la loi qui, cela fait partie de son mode opératoire dans ce genre d’affaire, dut être rappelée à l’Etat-major par la Commission d’Accès aux Documents Administratifs, T. demande que les documents relatifs à la tenue de ladite commission d’avancement, qui l’assaillait de doutes, lui soient enfin communiqués. En vain : L’armée au-dessus de la loi ?

Sans ces pièces T. n’avait pas la possibilité de défendre son avancement auprès du Tribunal Administratif, pour erreur manifeste d’appréciation de ses mérites. Or il était urgent d’attendre…

En jouant la montre, les fins chicaniers de la Défense se dirigeaient tout doucettement vers l’échéance de mise à la retraite du 31/12/2004. Elle se profilait à l’horizon. L’affaire serait bientôt entendue. Selon une pratique ayant fait ses preuves, T. allait s’essouffler. Ou mieux, péter les plombs dans une énième procédure, une lettre insultante ou un geste de désespoir à la Le Tohic. La preuve serait alors faite qu’il ne valait rien. Ce que ses chefs avaient bien vu. Classique.

Etat-major et Cabinet militaire déjugés.

Par décision du Tribunal Administratif, la notation 1999 et le refus des Chefs bienveillants de la réviser sont annulés pour vice de forme dans la notification (gêne pour la lui monter ?), et inexistence des faits reprochés quant au fond. Le tribunal, dans sa grande sagesse, a considéré que ce montage était une sanction disciplinaire déguisée.

Directement saisie par T. dans une lettre émouvante à 8 jours de l’échéance fatale, Madame ALLIOT-MARIE ordonne aux képis réfractaires de le promouvoir Adjudant-chef et, ce faisant, d’annuler l’arrêté portant son placement en position de retraite.

Les mêmes cachets, timbres, tampons, sceaux, seings, marques, griffes, attaches à rallonge et glorieuses signatures qui l’avaient définitivement condamné, le réhabilitent sans vergogne le 27 décembre 2004. Sans mot d’excuse ni bouquet pour son épouse.

Cerise sur le gâteau, pour assurer sa condamnation morale sans équivoque, l’institution tentera de faire signer à l’intéressé son renoncement à engager toute poursuite en réparation de préjudice. Quel milieu !

La lettre au Ministre

Des mots forts lui sont enfin parvenus. T., écoeuré, n’a pas pété les plombs.

Dans cette lettre, l’esprit de corps de certains officiers peu scrupuleux a été comparé à ce que la mafia fait de mieux.

« Ma hiérarchie, par des moyens détournés, va s’acharner à m’enlever ce que la justice m’avait restitué« 

« C’est dans de telles conditions que je suis renvoyé de l’armée« 

« Je me permets simplement de vous remettre, en signe de protestation, toutes mes décorations. C’est là le plus grand sacrifice auquel je pouvais consentir« 

« Certains, victimes de cette même injustice et poussés au désespoir emploient d’autres moyens« . Cette allusion à Le Tohic, en cette fin d’année sensible, a pu faire son chemin.

De pareils propos, s’affranchissant de la voie hiérarchique, valent habituellement une punition à leur auteur. Ici, T. a été récompensé par sa nomination au grade supérieur.

S’adressant à l’ADEFDROMIL, il écrit :

« …je ne saurais cependant oublier la somme de souffrances que ma famille et moi-même avons dû supporter durant ces sept dernières années.

De plus, il m’est difficile de penser que ceux qui ont monté (ou qui se sont par la suite rendus complices) cette cabale, continuent à servir et recevoir honneurs et promotions sans avoir de compte à rendre.

Il me semble que le plus important est de faire en sorte que mon exemple puisse servir à tous ceux qui sont, aujourd’hui encore, victimes d’une pareille situation, et dont je crains malheureusement que leurs rangs ne s’étoffent chaque jour davantage« .

Mon Adjudant-chef, c’est fait.

En regrettant la méthode, conséquence directe de l’obstination du Ministre de la Défense – dans son nouveau rôle de pompière pyromane – à refuser, dans le « nouveau » statut 2005 (1), cet organisme de défense des droits des militaires, indépendant de la hiérarchie, apolitique et sans esprit syndical dévoyé que l’ADEFDROMIL appelle de ses voeux, le seul susceptible de veiller efficacement sur les intérêts du subordonné.

Cet organisme, dont sont dotées de nombreuses armées comparables à la nôtre, manque paradoxalement au « modèle social français » que l’on voudrait exporter.

Mariallio

(1) La Grande OEuvre, le Texte Fondamental que d’autres armées ne nous envient pas, va être promulgué en grandes pompes le 14 juillet prochain. A ne pas manquer.

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