Lettre ouverte au Président de la République

Abidjan le 04 mai 2005

Monsieur le Président,

Les familles du 43ème Bataillon d’Infanterie de Marine de Port Bouet à Abidjan vivent actuellement une période contrariante et pénible. En effet, il leur est demandé, par les autorités militaires françaises, de quitter la Côte d’Ivoire contre leur gré.
Nous avons appris, ce matin, avec certitude la réalité de la décision. Elle a été rapportée par le chef de corps du camp militaire et nous sera confirmée, dans les jours proches à venir, par le Chef d’Etat Major des Armées qui fera le voyage dans ce but.

Il a été annoncé que la volonté de faire partir les familles des militaires est une décision politique, prise au niveau de la présidence de la République.
Nous n’en croyons rien !

La réalité est plus simple.

Vous le savez, Monsieur le Président, la situation extrême vécue au cours du mois de novembre dernier a vu le départ volontaire de nombre de familles de militaires. Celles qui ont décidé de rester ont donné le meilleur d’elles-mêmes. Toutes ont participé par leur soutien moral, leur aide, leur assistance, leur hébergement, à ce que cette évacuation d’expatriés en grande souffrance morale se fasse dans les meilleures conditions. Ce fut le cas.
De cette épreuve, les épouses en sont ressorties plus fortes, plus soudées. Une structure a même été mise en place dans le 43ème BIMA afin que la scolarité de tous les enfants encore présents se poursuive au mieux.
Personne ne s’est jamais plaint, aucune épouse, aucun enfant; ni d’ailleurs aucun militaire à cet instant.

Nous ignorons ce qui vous est directement communiqué par les autorités militaires et administratives sur l’insécurité actuelle autour du 43ème BIMA, mais il n’est pas impossible que la vérité vous soit quelque peu altérée et noircie.
Aujourd’hui la situation est revenue à son calme, même s’il peut s’agir d’un calme précaire.
Aujourd’hui, circuler, se promener, aller en discothèque ou au restaurant se fait à nouveau et depuis plusieurs mois sans difficulté dans la zone autorisée d’Abidjan. Les sorties sur les plages et les week-ends à l’hôtel au bord de mer sont habituels.

Alors pourquoi aujourd’hui veut-on nous faire partir sans que notre séjour de deux ans soit terminé ? Où est l’urgence d’un tel départ ?

Il nous est donné comme raison principale d’un tel départ, l’insécurité grandissante en ville qui pourrait y avoir à l’approche des élections fin octobre. Il n’y a pas à Abidjan, lieu plus sûr que le camp militaire français qui a vu transiter environ 6.000 expatriés en novembre. Si telle était réellement cette raison, à savoir l’insécurité en ville, pourquoi alors, par exemple, les familles des militaires français de l’Ambassade de France ne sont-elles pas obligées, comme nous, de quitter la Côte d’Ivoire, tout en sachant qu’elles résident au coeur d’Abidjan.

Qui veut voir absolument un camp militaire sans familles ? Je ne crois pas, Monsieur le Président, que cela soit une volonté de votre part, comme on veut bien nous le faire penser.

Ici, nous connaissons la vérité. Elle est brutale, civilement incorrecte, presque inhumaine. Mon devoir est de vous la faire connaître : le départ des familles, épouses et enfants, va libérer une quantité non négligeable de résidences dans le camp. L’officier supérieur commandant la force Licorne a de tout temps voulu, il ne s’en est jamais caché, que ses subordonnés officiers puissent bénéficier de ces logements afin de passer leur mission de courte durée dans de meilleures conditions. Bravo, il vient de réussir.

Le dernier point sur lequel je voudrais attirer votre attention, Monsieur le Président, est l’éclatement des familles. Séparer, contre leur gré, les hommes des femmes et des enfants est une pratique que les français ne s’étaient plus vus infliger depuis la dernière guerre mondiale.

J’espère qu’il y a encore quelque chose à faire afin d’éviter une telle maladresse humaine. Aucune épouse, aucun enfant ne veut partir. Chaque militaire ici présent est venu avec en poche un ordre de mutation en famille et pour un certain nombre d’années. Nous vivons bien à Abidjan, nous aimons la Côte d’Ivoire et les ivoiriens aiment les familles du 43ème BIMA.

Nous avons ici l’impression d’être quelque peu délaissées et que les familles sont véritablement des grains de sable dans le rouage que veut imposer une autorité militaire peu reconnaissante.
C’est la raison pour laquelle, Monsieur le Président, nous osons vous adresser directement une telle lettre

En espérant vraiment que ce courrier arrive jusqu’à vous, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération.

Une épouse du 43ème BIMA parmi d’autres

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