Ptêt ben qu’OUI, ptêt ben qu’NON

Le « NON » à la constitution européenne s’affirme dans les sondages alors que ce referendum devait passer comme une lettre à la poste, quand cette dernière n’est pas en grève. Un défilé de politiciens satisfaits et, pour une fois, en apparente harmonie, nous en avaient convaincus. Pour peu que les électeurs se déplacent, la France allait dire OUI à l’Europe, à 80%. Du tout cuit.

Il semble que, dans les officines des partis, on ait désormais peur qu’ils se déplacent.

En y regardant de plus près, un même consensus politique s’était réuni sur le projet de loi portant statut des militaires. La lecture des interventions lors des débats à l’Assemblée sur ce texte dévoile même quelques plaisanteries bon enfant, un peu comme si nos députés s’étaient laissés aller, pour l’occasion, à une douce euphorie récréative. Comme si le sujet n’était pas très important, ou ne présentait pas grand risque.

Il est évident que le militaire n’étant ni lycéen, ni agriculteur, ni routier, ni cégétiste, on pouvait prendre des dispositions, en toute liberté d’esprit et sur son dos, sans craindre qu’il n’exprime son mécontentement en bloquant le fonctionnement d’une institution de la république. Ouf!

En rêvant un peu, on pourrait imaginer que ces deux consensus, européen et militaire, dévoilent un nouveau pragmatisme politique où les idéologies et les intérêts catégoriels ne prendraient plus systématiquement le pas sur la raison collective. Si les élus ont applaudi, et la constitution européenne, et le nouveau carcan de la condition militaire, c’est que l’un et l’autre sont nécessaires au peuple et à la bonne administration de ce Pays. Amen!

Ne nous emballons pas.

Les députés, toutes obédiences confondues, se sont mis au garde à vous devant un ministre de la défense en jupon, parce que pas un d’entre eux n’a mesuré l’importance du moment, et qu’ils furent persuadés que le militaire est heureux quand ses matériels fonctionnent, que la popote est acceptable et que ses chefs se voient récompensés, en son nom, des efforts de tous.

A quoi bon dès lors le faire accéder à des libertés qu’il ne réclame pas, voire qu’il récuse, tant elles pourraient diluer ce ciment merveilleux qui l’unit aux autres?

En votant d’une seule voix, sans élever la moindre protestation contre l’état de sous citoyenneté dans lequel la ministre enferme à nouveau ses soldats, nos élus ont trahi leur mandat. C’est une belle victoire de la communication officielle sur l’intelligence, mais pareillement celle du désintérêt pour un monde des armes, limité à la vision archaïque d’un soldat « marionnette » sans âme et sans aspiration autre que diffuse et collective.

Si quelques médias se sont gaussés d’un droit retrouvé à libre épousailles, tous ont salué la nouvelle liberté d’expression et le droit d’association, sans remarquer que ces trois « acquis » modernes existaient déjà largement et depuis des lustres. Pour peu que le courage exista d’en user.

Ainsi, l’ordre de démissionner qui fut donné aux membres du conseil d’administration de l’ADEFDROMIL vient-il d’être annulé par le ministère de la défense (lire la décision du ministre). De même les poursuites disciplinaires, relatives à l’expression télévisuelle de ses membres et intentées par des chefs, à tous les niveaux et aux ordres, ont-elles été abandonnées « sans suite » (lire la réponse du général).

Pour peu que le courage (et l’envie) exista, on pouvait donc déjà se pacser avec le maire d’une grande ville, adhérer à une association et s’exprimer publiquement et librement sans en référer à des supérieurs hiérarchiques (qui n’en avaient d’ailleurs strictement rien à faire).

Non, le plus curieux restera que les députés, et les journalistes, qui trouvent justifiée la subordination absolue du militaire vis-à-vis de ses chefs, sont les mêmes qui s’étonnent que ces militaires finissent par obéir à des ordres totalement illégaux comme de foutre le feu à des paillotes, ou de placer les citoyens sur écoutes.

Et il y a certainement eu pire… et nous réserve encore de bons moments.

Mais la constitution européenne dans tout ça me direz-vous ?

Et bien justement, mes chers camarades. Tout ce petit monde politique qui s’entend si bien pour vous interdire ce que la constitution française et la convention européenne des droits de l’homme vous garantissaient déjà, vous incite à adopter une constitution qui prévoit dans son article II-71: la liberté d’expression et d’information sans ingérence d’autorités publiques (même a posteriori), et dans son article II-72: la liberté de réunion et d’association, impliquant pour toute personne le droit de fonder des syndicats.

Allez y comprendre quelque chose au moment où ces mêmes tartuffes viennent de vous interdire l’un et l’autre en votant un texte hors d’âge présenté par la ministre de la défense des intérêts de la haute hiérarchie militaire comme une évolution sociale sans précédent.

En dehors de la schizophrénie, il n’y a plus qu’une seule explication possible: pas plus qu’il n’est aujourd’hui un citoyen à part entière, le militaire français n’a vocation à devenir, demain, un véritable citoyen européen.

Mais là, on peut se risquer à une question toute bête: comment nos députés entendent-ils empêcher ces mêmes militaires de se prévaloir, demain, des droits et libertés garantis par la constitution européenne? Et donc: » de fonder, avec d’autres, des syndicats et de s’y affilier pour la défense de ses intérêts « ?

Et bien, à y réfléchir, c’est sans doute là toute la problématique qui oppose le OUI au NON. Car, soit la constitution européenne sera inopérante à imposer tout ou partie de ses fondements universels aux pouvoirs nationaux, et on ne voit pas très bien où réside son utilité, soit la constitution européenne l’emportera sur les décisions (à l’unanimité) de la représentation nationale et c’en est bien fini de notre souveraineté, y compris pour d’autres décisions bien plus dignes d’intérêt.

Si les français, dont les militaires et les anciens militaires (ce qui fait déjà pas mal de monde) disent OUI à cette Europe là, les députés devront, demain, défaire ce qu’ils ont tricoté ensemble aujourd’hui. En revanche, si les gens qu’ils prennent pour des imbéciles depuis des lustres en décident autrement, nos éminences, à tout niveau, seront ridiculisées et décrédibilisées à jamais.

Et là, ça risque de faire beaucoup trop de monde.

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