Interrogation sur l’égalité statutaire

De temps à autre, quand vous passez devant ou sous les frontons des principaux édifices publics ornés de la trilogie : « Liberté, Egalité, Fraternité », vous vous prenez à rêver et vous vous demandez ce que représente cet enchaînement de mots dont la signification est pourtant si profonde pour la bonne marche de notre démocratie.

Si par hasard, réfléchissant au 2ème terme « Egalité » il vous vient à l’idée de savoir comment sont traités les agents de l’Etat – car il ne faut pas l’oublier, les militaires sont avant tout, des agents de l’Etat, et fiers de cette mission – du seul point de vue de la rémunération vous allez vous trouver à peu près devant la situation suivante :

Tout d’abord, comme vous le savez, il n’y a pas un statut des Agents de l’Etat, mais des statuts et ces statuts sont loin de se ressembler ; pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Mr Denoix de Saint Marc, président de la commission de révision du statut, a du reste, en son temps, précisé que la commission n’a pas cherché à unifier en copiant le statut de la fonction publique.

Si vous avez la curiosité et surtout le courage ou la patience d’interroger le site Internet Legifrance vous allez découvrir que les statuts de la Fonction publique sont multiples.

Il existe au moins trois grandes branches dans la fonction publique : la Fonction publique générale dite aussi d’Etat, la Fonction publique hospitalière, la fonction publique territoriale.
Jadis, c’est-à-dire entre 1946 et 1983, il n’y avait qu’un seul statut, mais depuis cette dernière date, pour des raisons faciles à deviner, deux grandes catégories se sont ajoutées : la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière.
Un autre statut, celui de la magistrature, objet de l’ordonnance du 22 décembre 1958 peut être tenu pour une sorte de code de déontologie, mais le texte créateur le qualifie de statut.
Le cinquième statut est celui des militaires que vous connaissez bien, sa nouvelle mouture a été promulguée le 22 mars 2005 et vous l’avez, bien évidemment, tous lue ou vous êtes supposé l’avoir lue : « nul n’est censé ignorer la loi » et c’est à vous qu’elle s’applique, comme en ont décidé les représentants élus de la nation.

Mais il y a aussi un décret portant statut particulier des corps de maîtrise de la police nationale.

Pour la seule fonction publique hospitalière, on ne compte pas moins de 18 décrets portant la mention « statut particulier », c’est dire s’il est difficile de procéder à des comparaisons. Dans quelques jours vous saurez sans doute le nombre exact de statuts particuliers pris pour l’application de la loi du 22 mars 2005, mais n’anticipons pas, puisque la loi a confié aux décrets le soin de régler le sort de toute un chacun.

Sans entrer dans le détail, examinons comment, dans ces principaux statuts sont traitées les questions de rémunération.

L’article 20 du statut de la Fonction publique et du statut de la fonction publique territoriale, est ainsi libellé dans sa partie principale :
« Les fonctionnaires ont droit , après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l’indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire. S’y ajoutent les prestations familiales obligatoires.
Le montant du traitement est fixé en fonction du grade de l’agent et de l’échelon auquel il est parvenu ou de l’emploi auquel il a été nommé.
Les fonctionnaires sont affiliés à des régimes spéciaux de retraite et de sécurité sociale ».

Cet article, court, aurait pu devenir en quelque sorte « universel » pour toute la fonction publique. C’eût été trop simple ; c’est la raison pour laquelle l’article 10 du SGM du 22 mars 2005 est ainsi longuement rédigé :
« Les militaires ont droit à une rémunération comportant notamment la solde dont le montant est fixé en fonction soit du grade, de l’échelon et de la qualification ou des titres obtenus, soit de l’emploi auquel ils ont été nommés. Il peut y être ajouté des prestations en nature.
Le classement indiciaire des corps, grades et emplois qui est applicable aux militaires tient compte des sujétions et obligations particulières auxquelles ils sont soumis.
A la solde des militaires s’ajoutent l’indemnité de résidence et, le cas échéant, les suppléments pour charges de famille. Une indemnité pour charges militaires tenant compte des sujétions propres à l’état militaire leur est également allouée dans des conditions fixées par décret.
Peuvent également s’ajouter des indemnités particulières allouées en raison des fonctions exercées, des risques courus, du lieu d’exercice du service ou de la qualité des services rendus.
Les statuts particuliers fixent les règles de classement et d’avancement dans les échelons d’un grade. Ils peuvent prévoir des échelons exceptionnels ou spéciaux.
Toute mesure de portée générale affectant la rémunération des fonctionnaires civils de l’Etat est, sous réserve des mesures d’adaptation nécessaires, appliquée avec effet simultané aux militaires.
Lorsque l’affectation entraîne des difficultés de logement, les militaires bénéficient d’une aide appropriée. »

Face à ce très long article 10 (dont le dernier alinéa n’est pas reproduit), vous pouvez avoir au moins une attitude positive : c’est détaillé du coté militaire et c’est donc protecteur tandis que du coté « civil » c’est mou, adaptable.

Certes cet article 10 ne fait que reprendre une partie de l’article 19 de l’ancien SGM, mais de ce fait et dans le contexte actuel il confirme la subordination de facto et de jure à la fonction publique civile ! « toute mesure de portée générale affectant la rémunération des fonctionnaires civils. » : cette disposition confirme bien que les militaires sont des fonctionnaires, c’est-à-dire des agents de l’Etat, mais que celui qui sait ce qu’est une mesure de portée générale lève le doigt quand on se souvient des affaires de frais de déplacement et de solde en opex.
Mesure de portée générale signifie donc que tout dépend du degré de combativité des syndicats de la fonction publique. La combativité des syndicats de la FP c’est tout simplement la capacité de pression de groupes professionnels. Or les militaires en sont totalement privés. De façon délibérée, les représentants élus de la nation ont refusé de doter les militaires d’organismes capables de défendre leurs intérêts professionnels sous prétexte qu’ : « il appartient au chef, à tous les échelons, de veiller aux intérêts de ses subordonnés.. » formule qui n’est pas sans rappeler le très ancien règlement de discipline générale et le petit doigt collé sur la couture du pantalon !

L’article 10 du SGM introduit un classement indiciaire autonome pour les militaires et envoie aux oubliettes de l’histoire le décret du 10 juillet 1948 portant classement hiérarchique des agents civils et militaires de l’Etat. Or il faut que vous sachiez qu’à la fin de l’année 2003, ce fameux décret de 1948 avait fait l’objet de plus de 500 décrets modificatifs et que personne n’était en mesure de présenter une version à jour de ce classement hiérarchique devenu « obsolète ».

Du reste, si vous avez la curiosité de regarder les visas du décret portant statut particulier du corps de maîtrise de la police, vous remarquerez que ce texte règlementaire omet délibérément de viser le décret portant classement hiérarchique des agents de l’Etat. !!

Quel dommage que les éminents membres de la commission de révision du SGM n’aient pas relu l’ouvrage de Roger Grégoire « la Fonction publique » qui fut directeur général de la Fonction publique, ils auraient lu cette sage remarque : « L’affaire se complique lorsqu’il s’agit de comparer des grades ou des postes appartenant à des hiérarchies différentes : personnels militaires, administratifs, techniques, magistrature, corps enseignant, etc. On ne peut cependant passer outre : qu’on le veuille ou non, l’établissement de parités s’impose ; il correspond non seulement à une règle de bonne administration, mais encore au sentiment de justice sociale, inhérent à la psychologie de tout groupe professionnel »- (page 250 de l’édition de 1954).

Sans exagérer en quoi que ce soit, on peut donc dire, que l’article 10 est pour les militaires un costume corseté alors que l’article 20 des deux principaux statuts de la Fonction publique est amplement taillé et permet une adaptation aisée à toutes les situations sans apporter la garantie de transparence. Vous remarquerez que habilement dans ces articles relatifs à la rémunération dans les statuts l’article portant sur la rémunération n’évoque en aucun cas la NBI qui est, à certains niveaux, devenue un élément non négligeable de la rémunération, mais tout à fait temporaire ; cet élément est parfois distribué de façon , semble-t-il, très libre. Et surtout n’oubliez pas l’inflation des indemnités de toutes sortes : qui débrouillera l’écheveau des primes dans la fonction publique ou plutôt qui oserait le faire ?! Dans son guide des primes de la fonction territoriale, Mr Lesaint prévient : « « l’étendue du dispositif indemnitaire de la fonction publique territoriale correspond davantage à un maquis obscur qu’à des règles claires au contour régulier » ; ce n’est sûrement pas une prérogative de cette seule fonction publique !!
Mais , là comme ailleurs, mieux vaut ne pas chercher à voir clair et pourquoi faire simple et transparent quand on peut faire abscons et compliqué ?!

Mais puisque le CSFM (et sans doute les CFM d’armée) ont donné leur accord plein et entier, comme n’a pas manqué de le souligner le Chef des Armées, au nouveau statut : que demande le peuple ? Tout le monde il est beau tout le monde il est gentil, dit la chanson !

Mais une question fondamentale domine tout ce débat : est-ce que les membres du CSFM et des CFM ont reçu une formation leur permettant non pas de percer mais tout au moins de survoler les arcanes juridiques du nouveau monument qui va pour des années figer la vie des militaires ? C’est sans doute la plus grave des questions que seuls les militaires d’active peuvent se poser.

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