Statut 2005 : syndrome du beaujolais nouveau

Le Statut Général des Militaires cuvée 2005 (SGM 2005) qui vient d’être adopté par le Parlement et le beaujolais nouveau ont en commun le rite qui accompagne leur commercialisation même sachant toutefois que si la sortie du Beaujolais est annuelle, celle du statut ne l’est pas !

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Côté primeur, le carnaval consiste à promouvoir telle ou telle vertu papillaire prétendument nouvelle d’un breuvage qui, par essence, a peu de chances de changer, tant la même vigne, implantée dans le même terroir, ne peut produire qu’un même vin. Alors, marketing aidant, on lui trouvera d’une année sur l’autre, tantôt le goût de fraise, tantôt celui de la groseille ou de l’abricot. La veine étant inépuisable l’émerveillement annuel est garanti.

Côté statut 2005, le nouveau produit alambiqué dans les chais de l’Hostellerie de Brienne relève de la même pub : comme la bibine précédente avait 33 ans d’âge, et que la nouvelle n’a pas davantage de nez ni de bouche, il a bien fallu forcer sur la chaptalisation de ce triste vin de messe. Et de s’émerveiller à la radio, à la télé, dans les journaux, à l’Assemblée et prochainement à la garden-party du 14 juillet, sur le crû du nouveau statut 2005 que tout le monde nous envie et qui, cette année, aurait un goût de banane assez prononcé, et même de peau de banane, puisque ses tannins et saveurs seraient ceux de la professionnalisation.

« Professionnalisation », que de sornettes n’a-t-on point dit en ton nom ! Selon les oracles le SGM 2005 procéderaient de ta magie. Donc avant toi nos Armées n’étaient point professionnelles. Etaient-elles amateurs ? Cela mérite débat. Etaient-elles bénévoles ? Pas loin, au regard de certaines fiches de solde. En fait, ce qui a changé c’est qu’avant toi il y avait le Contingent. Ce serait donc à l’occasion de sa disparition que la Grande Muette aurait recouvré la parole et pourrait enfin défendre ses droits professionnels et sociaux ? Foutaises !

Examinons en quoi cette « modernisation rendue nécessaire par l’évolution de la société et la… professionnalisation des armées », et ce « dépoussiérage d’un statut qui datait de 1972 » sont une « grande oeuvre », et un « texte fondamental ». Excusez du peu et fermez le ban !
Dorénavant le militaire peut s’exprimer sur des sujets internationaux et politiques sans autorisation préalable. Il se trouve que l’absence de cette possibilité n’avait pas empêché le Capitaine De Gaulle de produire en 1934 « Vers l’armée de métier » puis quelques autres ouvrages de haute portée, soulignant par différence la stérilité de la pensée militaire chez ceux qui n’ont pas assuré la relève. L’avancement étant plus que jamais réservé aux bien-pensants, il est clair que les auteurs iconoclastes dont l’armée a besoin pour se sortir de son ghetto ne se précipiteront pas davantage chez les éditeurs.

Toujours dans le domaine de la communication, les interdictions d’adhérer à un parti politique, à un syndicat et de faire grève étant maintenues, la défense des intérêts professionnels et sociaux continuera d’être assurée par Le Canard Enchaîné, par « Stop Arnaque » de Julien Courbet sur TF1 et par l’Adefdromil, avec le succès que l’on sait, plutôt que par les sept généraux de la Commission des recours des militaires. Donc rien de changé là non plus.

Le mariage d’un militaire avec une personne de nationalité étrangère n’étant plus soumis à autorisation (alignement sur une jurisprudence du Conseil d’état), la profession du conjoint n’étant plus à déclarer, montrent à quel degré de soumission il faut être descendu pour devoir se réjouir de pareilles miettes.

Autre évolution prétendument majeure : la protection sociale et juridique des militaires en opérations extérieures est renforcée. Les accidents seront désormais considérés comme imputables au service durant toute la durée de la mission et donneront droit à réparation. Que faisait donc le chef qui veille aux intérêts du subordonné pour ne pas avoir exigé cette disposition offerte par le moindre chef d’entreprise à son personnel en déplacement à l’étranger, et ceci depuis le siècle dernier ? Rien. Il convient donc de la jouer modeste.

Dernière avancée de la Grande OEuvre, le Texte Fondamental autorise les militaires à occuper des responsabilités associatives. On pourra donc tenir le secrétariat de son Club de tennis sans risquer la Cour Martiale. On succombe d’extase devant pareille audace du législateur.

C’est donc cette bibine qui est pompeusement qualifiée de modernisation rendue nécessaire par l’évolution de la société et la professionnalisation des armées ! Les pauvres gens.

En fait, la réelle modernisation attendue par les militaires a été une nouvelle fois contournée, celle de pouvoir faire défendre leurs droits sociaux et professionnels par un organisme indépendant d’une hiérarchie qui devait, à cette occasion, cesser d’être juge et partie. Le décalage important constaté par rapport à la société globale en général et la Fonction publique en particulier et les dysfonctionnements que l’attitude de l’institution nous contraint d’étaler dans ces colonnes, ne feront qu’empirer et les discours, outrageusement laudatifs, sur le mérite du «nouveau » statut ne changent rien à l’affaire. En fait ils la rendent suspecte.

Ceux qui, paraît-il, étaient en droit d’attendre reconnaissance et considération pour l’esprit de sacrifice, la discipline, disponibilité, loyauté et la neutralité auxquels ils sont tenus, apprécieront au fil des alignements qu’on leur refuse et des avantages acquis qu’on leur retire (1).

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« La Grande Muette recouvre la parole » titrent un peu facilement les journaux pour faire du scoop sans vérifications préalables. Bof !

A supposer que l’armée ne soit plus la Grande Muette, a-t-elle véritablement gagné au change avec le SGM 2005, en devenant la Grande Dupe ?

(1) Il est dans la culture des Parlementaires de considérer que le chef qui veille aux intérêts des subordonnés ne demande jamais rien de sonnant et trébuchant, ce serait humiliant, d’autant que les médailles sont dans la tradition de l’armée pour reconnaître les mérites.

Extrait du Journal officiel des débats parlementaires :

[…]
M. le Rapporteur – La communauté militaire forme une société très hiérarchisée, dans laquelle chacun, homme de rang, sous-officier ou officier, est habitué à avancer en partie au mérite. Les décorations sont également là pour le récompenser. Nous parlons ici d’une prime financière, mais nous pouvons là aussi faire confiance à la hiérarchie pour déterminer les critères sur lesquels elle se fondera. A priori plutôt sur des objectifs opérationnels pour tout un ensemble – brigade, régiment, compagnie – que des objectifs individualisés. Des objectifs, donc, plutôt de nature à souder la communauté. La prime donnée à titre individuel sera exceptionnelle, par exemple pour acte de bravoure.
Vous dites que les militaires ne demandaient pas cela. Mais vous savez bien que les militaires ne demandent rien. Est-ce une raison pour ne rien leur donner ?
M. Maxime Gremetz – Tout de même, c’est désobligeant pour eux. Leur dignité est mise à mal.
M. le Rapporteur – Je rappelle que nous parlons d’un complément de salaire. Vous devriez être pour.
M. Maxime Gremetz – Vous nous dites que dans l’armée, il y a des décorations et autres témoignages de reconnaissance. Pour les civils, cela n’existe pas, mis à part des mérites et des légions d’honneur attribués d’ailleurs selon des critères que l’on a parfois du mal à comprendre. Ces civils qui produisent des richesses ne reçoivent pas de décorations, eux, pour leurs actes de bravoure au travail…
M. le Rapporteur – La médaille du travail ?
M. Maxime Gremetz – Vous savez combien de temps il faut avoir travaillé pour l’obtenir ?
Les civils reçoivent un salaire. Dans l’armée, par contre, le mérite est reconnu par des décorations et d’autres marques spécifiques, et il me semble que c’est plus dans la tradition de l’armée qu’il en soit ainsi.
Je demande un scrutin public.

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