Guillaume Ancel : officier et citoyen
A propos de son livre : « Rwanda, la fin du silence »
Guillaume Ancel est saint-cyrien de la promotion 1985-1988 « Cadets de la France libre ».
Il vient de publier aux Editions « Les Belles Lettres », dans la collection « Mémoires de guerre » : « Rwanda, la fin du silence ».
Artilleur de formation, il a quitté l’uniforme en 2005 pour rejoindre le monde de l’entreprise.
Son livre tout à fait remarquable est indispensable pour réfléchir sur la genèse et la finalité de certaines interventions en Afrique. Il permet de comprendre ce qu’il s’est passé au Rwanda en 1994 et ce qu’on peut reprocher à la France, à ses dirigeants de l’époque et aux militaires coopérants et à ceux envoyés tardivement sur place.
Le génocide des Tutsi, minoritaires dans le pays (leur pourcentage est estimé à environ 25% de la population avant le génocide), a commencé le 7 avril 1994 au lendemain de l’attentat qui a tué le Président Juvénal Habyarimana.
La France, autorisée par le Conseil de sécurité de l’ONU, a envoyé une force d’intervention à compter du 22 juin.
La participation de Guillaume Ancel à l’opération Turquoise.
Initialement, Guillaume Ancel, jeune capitaine, participe à l’intervention française en tant que contrôleur aérien avancé. Il quitte sa garnison le 22 juin pour arriver à Goma au Zaïre, le 24 juin 1994. Il est chargé de guider les frappes des avions contre les troupes du Front Patriotique Rwandais de Paul Kagamé, qui viennent de l’Ouganda. La France a, en effet, développée une coopération militaire importante et variée avec les Forces Armées Rwandaises depuis plusieurs années (cf article très bien documenté de Wikipedia « Rôle de la France dans la génocide au Rwanda » ainsi que l’enquête de David Servenay parue dans Le Monde à compter du 16 mars 2018).
Le 1er juillet alors que les hélicos pour la mise en place de l’élément de guidage sont sur le point de décoller, la mission est brutalement stoppée. Plus question d’action offensive. La zone ouest du pays est déclarée zone humanitaire.
Ancel, détaché auprès du groupement sud commandé par un officier supérieur et composé d’unités de Légion, effectue alors diverses missions de protection, de sauvetage, de récupération de personnes en danger. Il est sur le terrain toujours accompagné de légionnaires qui constituent une force de protection et d’intervention. Il quitte l’opération, le 5 août.
Pendant la quarantaine de jours passés sur le terrain, il va constater que des armes sont discrètement réexpédiées aux membres des FAR réfugiés dans les camps zaïrois.
Dans un village isolé, il verra un corps écrasé sans qu’il lui soit possible de trouver une explication plausible sur les conditions de la mort de cette personne.
Il y aura aussi un incident avec quelques éléments des forces spéciales égarés dans le secteur « Légion » : une sorte de remake rwando-zaïrois de la guerre des polices. L’absence de commandement unique ne pouvait que générer un manque de coordination. Il cite un camarade de la Légion qui lui explique qu’à « forces spéciales, conneries spéciales ». Cette réflexion va prendre tout son sens trois ans plus tard.
Comprendre et témoigner en reconstituant le puzzle de l’opération de l’armée française.
Guillaume Ancel a vu. Il a participé à la protection des réfugiés, au désarmement des miliciens hutu. Il a été un témoin engagé, mais comme Fabrice del Dongo à Waterloo, il n’a pas tout compris.
Alors dans les années qui suivent, au fil de sa carrière qui se poursuit, il se rend compte que l’intervention française au Rwanda était pour le moins ambiguë. Il raconte avec sobriété comment il a, petit à petit, progressé dans sa compréhension de ce qu’il s’est passé au Rwanda à cette époque.
Sa conclusion est extrêmement dérangeante :
Sous couvert du mandat de l’ONU, les forces d’intervention auraient poursuivi la politique de soutien aux FAR par la livraison d’armes à « des génocidaires dans des camps de réfugiés pendant une opération humanitaire et alors que nous étions sous embargo de l’Onu ».
Qui a donné l’ordre ? Il cite la Revue XXI de Patrick de Saint Exupéry de juin 2017, qui affirme que des officiers – Ancel n’en faisait pas partie- ont menacé de se retirer si l’ordre de livrer des armes était maintenu. Il cite également un « acteur clé de la politique rwandaise de la France » qui à l’époque « l’aurait confirmé de sa main ». Le même rebondira en 2014 devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale en affirmant que « le capitaine n’avait pas connaissance des éléments de la mission au poste auquel il se trouvait », en s’appuyant sur un article dénigrant Ancel, complaisamment publié sur un blog consacré à la défense.
Il n’est donc pas étonnant que son témoignage et ses interrogations soient systématiquement critiqués par ceux que la vérité dérange, y compris par des attaques ad hominem : sa mémoire serait défaillante, son intelligence perfectible et il affabulerait..A chacun de juger. Son récit est précis et clair. Il ne dénigre personne. Il s’en tient aux faits. Et les faits sont têtus. Ceux qui se sentent concernés, préfèreraient évidemment l’oubli de leurs propres fautes, qui est, selon le mot de Konrad Adenauer, la meilleure des absolutions !
Le dernier avatar de cette sorte d’ostracisme pratiqué envers Guillaume Ancel est la lettre ouverte grotesque publiée par « mon jeune camarade » – jeune, car sorti de Cyr quatre promotions après moi- Bruno Dary, président de la vénérable et compassée association « La Saint-Cyrienne», que je m’honore d’avoir quittée en… 1994 (c’est un pur hasard). Dary confond ainsi allègrement devoir de discrétion professionnelle et omerta. Il invente pour la cause un prétendu serment prêté par les Saint-Cyriens lors de la cérémonie dite du baptême : « A genoux les hommes, debout les officiers ». Ancel aurait donc commis une forme de parjure en usant de la liberté d’expression…
A la lecture de cette lettre, on se demande si les valeurs de Saint-Cyr, école « spéciale », sont les mêmes que celles de la République, que celles inscrites dans la Constitution, les lois, la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales. Fâcheux et grave ! L’image ainsi donnée à la Nation, à la société française et à nos alliés et voisins européens par cette lettre est affligeante. Il est urgent de retirer le mot « spécial » du nom de l’école.
S’agissant de l’attentat contre le Président rwandais, déclencheur du génocide, Guillaume Ancel, artilleur et spécialiste des missiles, a analysé le rapport d’expertise commandité par les juges. Pour lui, les deux missiles ont été tirés du camp militaire où stationnait le bataillon d’élite des FAR entraîné par des militaires français. La disparition de l’enregistreur de vol (boîte noire) de l’avion présidentiel ne serait pas un hasard. Il émet donc des hypothèses sur les commanditaires. Celui qui a commis le crime est celui auquel il profite selon l’adage latin bien connu : « Is fecit qui prodest ».
Nous laissons au lecteur le soin d’apprécier ces hypothèses.
Le livre de Guillaume Ancel mériterait d’être étudié à Saint-Cyr et à l’Ecole de guerre parce qu’il parle de l’éthique à différents niveaux : celui de la classe politique qui oriente la politique étrangère de la France, celui des chefs militaires, responsables de l’intervention, enfin celui des exécutants, qui peuvent payer de leur vie leur engagement.
Ce bel ouvrage, passionnant et dense, incarne d’une certaine manière cet esprit de résistance français, dont a parlé le Président de la République lors de l’hommage national rendu au Colonel Beltrame, héros malheureux de la prise d’otages à Trèbes dans l’Aude.
Guillaume Ancel a été officier. Il n’en est pas moins resté un citoyen lucide et courageux.
Il mérite le respect.
Merci à lui de nous apporter un peu de lumière.
Jacques Bessy
31 mars 2018
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lettre au lieutenant-colonel ANCEL :