Pour qui, et surtout pour quoi, mourir à Bouaké ?

Il est, a posteriori, toujours facile de critiquer ou de poser les questions qui fâchent, mais ceci n’implique pas forcément que celui qui les pose a le beau rôle.
En effet, il est des niveaux de décision où l’homme de la base a parfois du mal à saisir l’importance d’une décision ou d’une absence de réaction, du moins officielle. Mais cela ne fait pas de lui un imbécile, tout au plus une victime du manque d’information qui le relègue au rang de spectateur passif à qui on ne demande pas de comprendre, mais d’obéir. Or, pour bien obéir, il faut d’abord bien comprendre et là nos chefs de très haut niveau, civils et militaires, seraient bien inspirés de comprendre qu’il en va de même pour bien commander et bien défendre.

Et c’est justement de bien défendre dont il est question ici, car, si nous étions mieux défendus par nos chefs (rappelons ici que nos statuts leur en font obligation de par l’article 10) nous serions peut-être mieux considérés et de ce fait plus respectés à l’intérieur comme à l’extérieur, tout en sachant qu’à travers ses soldats, c’est la France qui est visée.
Le gouvernement israélien, imperméable aux critiques et aux pressions extérieures, n’a jamais laissé impunie la mort d’un de ses citoyens civil ou militaire. La riposte, même si dans de rares cas elle n’est pas immédiate, sanctionne toujours l’agression. Or, que s’est-t-il passé chez nous et en particulier en Côte d’Ivoire ?

La France, copieusement injuriée par des bandes plus ou moins armées et incitées en cela par leur gouvernement, n’a pas bronché, ou alors tellement mollement lorsque un premier soldat a été tué en juin, que cette première victime est passée quasi inaperçue auprès du grand publique. Pour preuve, dans l’édition des DNA (Dernières Nouvelles d’Alsace) cet événement est relaté dans la rubrique des chiens écrasés sous la forme d’un article à peine plus grand qu’un galon de poitrine, alors que dans la même édition, un étudiant a eu droit au même espace pour avoir pris des claques à la sortie de l’université à…Bruxelles. Ce qui nous donne une échelle de valeur pour situer notre place dans la société, du moins dans le journalisme local. Ceci étant dit, un certain député maire régional, appartenant à la majorité et rapporteur de la défense entre autre, ne s’est pas particulièrement ému de cette situation.
Il n’est peut-être pas faux de penser que si à l’époque la mort de ce soldat avait eu des suites un peu plus fermes de la part de la France, l’escalade aurait pu être évitée.

Bien entendu, lorsque quelques semaines plus tard des imbéciles ont cru bon de se servir dans les caisses de la banque qu’ils étaient censés protéger, ils ont eu droit aux gros titres et un espace autrement plus étendu dans le même journal et là, nos chefs, tout à fait légitimement, soit, ont insisté sur les sanctions qui seraient prises.

Comment espérer être respecté par les autres, à l’extérieur de nos frontières, si déjà à l’intérieur nous sommes, sinon méprisés, du moins ignorés par ceux-là même qui sont censés nous défendre ?

Une fois par an, la république daigne nous accorder quelques heures de reconnaissance éphémères à l’occasion du défilé du 14 juillet. La belle affaire ! Bien que cet événement d’une autre époque permette à une infime partie de notre parc de véhicules à être remis sur pied (la plupart du temps dans l’urgence) et même d’être repeints, combien d’autres auraient pu quitter les ateliers où ils sont en attente de pièces ? Combien d’heures d’entraînement au vol, de jours de terrain ou de renouvellement de matériels vétustes pourrions-nous gagner pour le prix d’un 14 juillet ?
Mais déjà la fête est finie. A l’heure des petits fours à l’Elysée, l’armée replie déjà ses gaules et se prépare à hiberner pendant un an en attendant les pièces pour la prochaine édition.

Les opérations extérieures redorent-elles notre blason ou suscitent-elles un regain de reconnaissance de la part de nos chefs lointains ?

Que nenni. Il suffit pour s’en persuader de voir les tiraillements (pour ne pas dire les batailles de chiffonniers) qu’a déclenché la question du financement des dites opérations, à l’intérieur du gouvernement et des conséquences sur le budget de la Défense.
Le coût des opérations extérieures devrait être supporté par le seul budget de la défense, comme si c’étaient les militaires et eux seuls qui décidaient de se projeter de ci de là au gré des envies du moment. A moins que ce soit pour se soustraire momentanément à la misère habituelle de leurs garnisons et de se remonter le moral en allant voir que c’est pire ailleurs ?

De plus, il est apparu nécessaire de rogner encore un peu plus sur le complément de solde OPEX (prévu pour janvier 2005) déjà régulièrement amputé ces dernières années sans que cela n’émeuve outre mesure ceux qui ont pour mission de veiller à nos intérêts. Allez risquer de mourir à l’extérieur sans poser de questions, mais de grâce, que cela nous revienne le moins cher possible.
Comme ne les a pas encore ému la perte régulière, depuis des années, de notre pouvoir d’achat en général. Il faut croire que le fait de veiller à leurs propres intérêts les occupe déjà à plein temps et ne leur laisse guère de temps pour se pencher sur le sort de leurs subordonnés.
Il suffit pour s’en convaincre de jeter un petit coup d’oeil sur l’évolution (?) de la NBI qui crée de toute pièce une situation de rupture d’égalité au sein des armées en excluant les unités stationnées hors métropole, comme si le poids des responsabilités, à l’instar du nuage de Tchernobyl, s’arrêtait aux frontières.

Toujours dans le domaine de la reconnaissance, il n’est peut-être pas inutile ici de rappeler le calvaire de nos camarades victimes de la Guerre du Golfe ou devrais-je dire comme pendant des années pour l’Algérie, des « évènements du Golfe » ? Car, déjà durement touchés dans leur chair, ils doivent en outre faire face au mépris de l’état qui tente de se soustraire à ses responsabilités en se retranchant derrière une dialectique qui a de quoi faire pâlir d’envie les disciples de Lénine les plus chevronnés. Non content de laisser aux victimes déjà mises en situation précaire le soin de faire la preuve de la relation de cause à effet et ce face à la toute puissance de l’état, ce dernier refuse de reconnaître cette guerre comme telle avec toutes les conséquences que cela entraîne, en particulier la reconnaissance de la campagne double. Si cet engagement n’a été qu’un maintien de l’ordre, comme le soutien madame la ministre de la défense, que l’Etat verse, à titre rétroactif et avec les intérêts, la prime de police afférente à ce genre d’opération.
Et si ce conflit n’était pas une guerre, pourquoi, en signe de reconnaissance, avoir donné des croix de guerre ? Et quand je dis « donné, » c’est une contre vérité car, là aussi la mesquinerie et la petitesse n’ont pas de limites et l’Etat ne connaît pas la honte. Il nous récompense non pas par une médaille, mais uniquement par le droit de la porter… si nous la payons nous-même.
Et en ce qui concerne les décorations étrangères, c’est encore pire ! Que l’on soit soumis à l’approbation de la chancellerie de la Légion d’Honneur pour les porter j’en conviens et c’est tout à fait normal si on ne veut pas voir tout et n’importe quoi sur nos tenues, mais il y a des pratiques qu’on a du mal à comprendre. A partir du moment où un type de décoration a été reconnu et autorisé une première fois, pourquoi obliger chaque récipiendaire ultérieur à refaire individuellement la même demande si ce n’est pour leur soutirer de l’argent ? Si tu me verses une prime, je protège ton magasin. Ca s’appelle du racket. Si tu me verses une prime, je t’autorise à porter ce que tu as gagné par ton comportement méritoire. Ca s’appelle comment ça ?

On pourrait ainsi prolonger à volonté la liste des petites mesquineries de tous les jours qui n’empêchent pas de vivre mais qui pourrissent la vie. Encore seraient-elles plus supportables si, dans la plupart des cas, elles n’apparaissaient pas comme une trahison de nos chefs, de tous nos chefs, car ne vous déplaise, mesdames et messieurs nos chefs civils, en tant que tels, vous êtes, vous aussi, concernés par l’article 10 de nos statuts.

Major Cambrone

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