Si internet a beaucoup à offrir à qui sait ce qu’il cherche, le même Internet est tout aussi capable de compléter l’abrutissement de ceux qui y naviguent sans boussole.
Laurent Laplante. Ignorant par abus d’information.
Comme la plupart d’entre nous, j’ai été quelque peu étonné de la « réponse » de la cellule com du SSA aux différents communiqués de presse qui sont sortis au mois d’octobre en écho au rapport de la cour des comptes. En fait, il n’y a pas eu de réponse. Plusieurs réponses possibles à cela : – Premièrement (et plus probable) devoir de réserve oblige, le SSA n’a pas communiqué. Soit. Cependant, si le SSA a une cellule communication (je dis bien « si »), à quoi sert-elle ? Par ailleurs, il me semble avoir débusqué quelques incohérences çà et là qui poussent à penser que certaines conclusions sont gravement erronées ou souffrent d’un manque cruel de discernement. Deux exemples à ce propos : le « déficit hors norme », ou la comparaison avec le CHU Rangueil-Toulouse, thèmes que j’ai déjà développés antérieurement.
– Deuxièmement, on estime que les conclusions correspondent à la réalité, et dans ce cas, il est vrai qu’il n’y a rien à dire. Donc, oui les hôpitaux du SSA souffrent d’une disparité extraordinaire d’équipement (le VDG thésaurise 40 % des investissements lourds du SSA), oui les médecins militaires consultent en moyenne 6 patients par jour, et oui les hôpitaux du SSA sont dépensiers et sous-exploités.
– Troisièmement, un mix des deux premières hypothèses (et je n’ose pas imaginer que ce soit possible), c’est à dire que le SSA doit rester muet devant un rapport montrant des évidences connues de tous, et que le meilleur profil à adopter est celui du mutisme akinétique. C’est le prix à payer pour l’absence totale de mesure tangible prise suite au premier rapport de la cour des comptes de 2002, tant le SSA a été empêtré dans des réformes dont on n’a pas vraiment conscience de l’efficacité (fin de la conscription, LOLF, bases de défense, transformation du SSA, réforme de l’internat, …).
– Quatrièmement, tout le monde s’en tape de ce rapport.
– Cinquièmement, le SSA n’a pas de cellule Com.
Allons sur Google
Vous me connaissez, taquin comme je suis, je vais tester ma dernière hypothèse. Je suis donc allé dans ma fameuse base ultra-secrète (Google), et j’ai tapé des mots clés ultra confidentiels que je vais vous révéler : médecin militaire, hôpitaux militaires, Service de Santé des Armées. Ensemble, nous analyserons la première page de réponses que nous proposera Google. A titre d’information, l’ordre dans lequel apparaissent ces réponses est conditionné (en partie) par le « page rank™ ». Ce page rank™ est une sorte de note (sur 10, comme à l’école primaire) définie entre autres par des mots clés de référencement, et le nombre de liens web qui pointent vers cette page. Les requêtes ont été faites « entre guillemets », ce qui signifie sur Google que je veux l’expression exacte contenue dans ces guillemets. Je ne citerai que les 6 premiers résultats obtenus qui en général représentent bien la tendance des résultats globaux.
Alors, commençons par « Médecin militaire » :
1- http://forums.remede.org/essa/sujet_6754.html Page datée du 12/10/2003 sur le Forum Remede.org où chacun peut écrire n’importe quoi. Et du n’importe quoi, on en trouve beaucoup sur Remede.org. Une citation in extenso : « De ce fait la Défense Nationale pourrait se passer des hôpitaux militaires, qui en nombre de lits ne représentent « qu’une goutte » dans la carte sanitaire […] D’ailleurs des plans ont existé dans les états majors, et peut-être existent-ils encore, pour fonctionner sans hôpitaux militaires ». Eh bien tout ça se passe de commentaire… Bien sûr, aucune réponse de la cellule Com du SSA.
2- http://forums.futura-sciences.com/orientation-apres-bac/16949-medecine-militaire.html Page datée du 14/10/2004 sur le forum du site Futura Sciences. Encore un forum… Cette page est celle d’un paumé qui cherche à savoir comment on devient médecin militaire, et ce qu’on fait quand on l’est devenu. Franchement, de vous à moi, si vous cherchez à savoir ce que fait un médecin militaire, vous allez sur le forum services du site Futura Sciences, vous ? Non, moi non plus, je vous rassure. Pourtant, cette page est la 2ème réponse de Google…
3- Page d’accès aux vidéos correspondant aux mots clés. Un reportage pour France 5 sur l’action des médecins militaires en Afghanistan (Le magazine de la santé, Michel Cimes), puis un reportage de Télé Lyon Metropole sur la rentrée scolaire à l’ESSA, puis un reportage sur l’Aiglon (sorte de fête rituelle à Bordeaux).
4- http://www.armees.com/forums/topic/79027-devenir-medecin-militaire/ Page datée du 17/10/2009. Encore une page de forum. Renseignement pris, le site Armee.com est détenu par Monster Worlwide SAS, qui est une boite de recrutement. Etrange, vous ne trouvez pas ? Citation : « Pour faire simple, on peut intégrer l’école de santé:- en début de première année de médecine – en début de troisième année de médecine. Ensuite, il est possible de s’engager alors que l’on a déjà effectué l’ensemble de ses études dans le civils« . Ca, c’est de l’info de premier choix.
5- http://fr.wikipedia.org/wiki/Cat%C3%A9gorie:M%C3%A9decin_militaire Ah, enfin, du Wikipedia, donc du fiable et du costaud ! (oui, c’est de l’humour). Savez-vous que 60 % des journalistes accèdent à Wikipedia pour prendre les premiers renseignements d’un sujet qu’ils ne connaissent pas (alors même que c’est interdit par leur déontologie). Malheureusement, la page Wikipedia à laquelle nous allons est celle d’une simple catégorie regroupant les médecins militaires connus. Rien sur la carrière, rien sur le service de santé.
6- http://www.droit-medical.com/actualites/4-evolution/243-deontologie-medecin-militaire Site de droit médical, cette page nous conduit vers une interprétation du code de déontologie des médecins militaires. « Ce n’est pas le caractère médical qui prime dans la déontologie médicale, mais l’esprit militaire ». Comme vous le voyez, leur interprétation de notre code de déontologie est très… personnelle.
Continuons avec « hôpitaux militaires » :
1- http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2010/10/07/01016-20101007ARTFIG00819-la-cour-des-comptes-epingle-les-hopitaux-militaires.php Article du 08/10/2010 du site du Figaro, à propos du rapport de la cour des comptes. Une jolie photo du VDG avec en commentaire « Le Val-de-Grâce, à Paris, s’est fait spécialiste de l’accueil des hommes politiques« . Ah oui ? C’est surement inscrit dans l’IM 500, au chapitre Val de Grâce, on doit y trouver la mention « spécialisé en hommes politiques ». Car, vous êtes sans ignorer qu’être homme politique, selon le Figaro, est une maladie. L’institut Gustave Roussy, ce sont les maladies cancéreuses, le VDG, ce sont donc les hommes politiques. Laissons de côté ce genre de commentaire particulièrement creux, et concentrons-nous sur le fond de l’article. Le premier lien qui est communiqué par Google lorsqu’on tape « hôpitaux militaires » est donc une polémique sur le rapport de la cour des comptes.
2- http://fr.wikipedia.org/wiki/H%C3%B4pital_militaire Article Wikipedia sur les hôpitaux militaires. Enfin ! Espérons que ce soit pertinent. En introduction, on commence fort avec une phrase que je me dois de citer intégralement : « Un hôpital militaire est un hôpital tenu par une armée et dont la vocation première est de soigner les soldats et anciens soldats. » Bon, après une pareille définition, vous serez d’accord avec moi, les informations qui vont suivre vont être d’une fiabilité exemplaire. En suivant le plan, alors qu’on est sur une page Wikipedia française, on aborde les hôpitaux militaires en Belgique, et … en Côte d’Ivoire !!! Vient ensuite un long inventaire des hôpitaux militaires français qui n’existent plus, puis des HIA actuels (juste cités, avec pour certains des liens directs). La photo de l’article est celle du cloitre du Val de Grâce (qui n’est pas l’hôpital). En guise de conclusion, qui est de la même veine que l’introduction, je vous cite en intégralité aussi : « Avec un déficit de 281 millions d’euros pour un budget de 800 millions en 2009, les hôpitaux militaires Français affichent un déficit record« . C’est tout. Voilà la page Wikipedia des hôpitaux militaires.
3- http://www.defense.gouv.fr/sante/a-la-une/hopitaux-militaires Site du ministère de la défense sur les hôpitaux militaires. Ah, enfin, du sérieux. Jolie carte interactive indexant les HIA. Sur les pages consacrées aux HIA, on trouve l’adresse géographique de l’établissement et un annuaire sommaire (à jour) des principaux secrétariats. Page partageable sur les principaux réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Myspace).
4- http://lci.tf1.fr/economie/entreprise/2010-10/deficit-competences-les-hopitaux-militaires-pointes-du-doigt-6093522.html Article du 08/10/2010, du même acabit que celui du Figaro. La similarité des commentaires montre qu’un dossier de presse (AFP ? Cour des comptes ?) a été transmis aux journalistes qui, fiers de leur métier d’investigation, ont recopié mot pour mot les commentaires qu’on leur a demandé de retranscrire, tels des perroquets mécaniques. Seule la photo diffère du Figaro : elle ne ressemble à rien, pour tout vous dire, je ne vois pas ce que c’est (sas d’accueil des ambulances du VDG ?). « Pour autant [la cour des comptes] n’a pas remis en cause la spécificité de l’hôpital du Val-de-Grâce à Paris, qui reçoit personnalités de la République et étrangères en toute discrétion« . C’est vrai que les autres hôpitaux militaires reçoivent les personnalités publiques en toute indiscrétion…
5- http://www.lepoint.fr/actualites-sante/le-bon-plan-des-hopitaux-militaires/1409/0/205765 Article du journal Le Point du 21/06/2007. Cette page est excellente, et résume assez bien la situation des hôpitaux militaires. J’ignore pourquoi cette page arrive en cinquième position, au regard de son ancienneté. D’autres pages du Point ont été consacrées au rapport de la cour des comptes, si on cherche bien. On y trouve cette phrase cocasse : « les hôpitaux militaires sont obligés de débaucher des médecins civils pour fonctionner dans de bonnes conditions« . Débaucher ??? Quand on connaît les médecins embauchés par les HIA, on sait pertinemment que ces praticiens n’ont pas été débauchés. Proximité géographique de l’établissement, validation de 2 ans de clinicat (intéressant pour qui veut s’installer en secteur 2) sont les principales motivations.
6- http://www.lemonde.fr/cgi-bin/ACHATS/acheter.cgi offre=ARCHIVES&type_item=ART_ARCH_30J&objet_id=1120301&clef=ARC-TRK-NC_01 Version Le Monde de la récitation du communiqué de presse lors de la sortie du rapport de la cour des comptes. Triste et sans photo à brocarder, rien à ajouter par rapport aux commentaires faits à propos du Figaro et LCI, sinon, que l’article est étonnamment daté du 09/04/2010. Soit 6 mois avant les autres. Des fuites, dites-vous ? Ben oui, depuis le temps que je vous le dis que la sortie de ce rapport a été orchestrée avec beaucoup d’application.
Terminons avec « Service de Santé des Armées » :
1- http://www.defense.gouv.fr/sante Site du SSA du ministère de la défense. Enfin de la pertinence dans le résultat et la position des réponses de Google. Plusieurs onglets nous guident vers les données essentielles du SSA (5 composantes, missions, chiffres clés, etc…), à gauche, des liens privilégiés (devenir médecin militaire, des hôpitaux militaires ouverts à tous, nous rejoindre), puis les articles (à la une, actualités, formation, Actu Santé, Médecine & Armées), le tout selon la charte graphique du ministère de la défense. Je ne peux pas résister à cliquer sur le lien « Un robot chirurgical de dernière génération », où on apprend que da Vinci, robot chirurgical de dernière génération, a été inauguré le 22/11/2010 au Val de Grâce. Et comme la cour des comptes avait fait remarquer que le VDG thésaurisait un peu beaucoup les moyens du SSA, on apprend que ce robot sera également disponible pour les patients de Bégin et Percy. Oui, sauf que les patients devront être opérés au VDG., non ? Entre 1 et 2 millions d’euros l’appareil. Utilité opérationnelle ? Mystère. Les internes de mon service, quant à eux, ont dû payer leur tampon faute de moyens
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