Une grogne citoyenne

Cet article à été écrit le 1er novembre avant les réunions du CFMG et du CSFM (NdlR).

La grogne des gendarmes est, dit-on, manifeste; les medias bien informés n’hésitent pas à prédire que le prochain Conseil de la Fonction Militaire Gendarmerie sera agité. Moins que quiconque nous sommes en mesure de pronostiquer, de prévoir la teneur de cette instance.

Même si, aux yeux de certains, le moment est mal choisi : la tension internationale se fait sentir sur toute l’activité du pays, on peut au contraire répondre que le moment n’est pas choisi par la fonction militaire Gendarmerie mais est imposé à la gendarmerie comme au reste des armées par suite de mauvaises habitudes antérieures.

Jusqu’en 1989, c’est à dire jusqu’à la première manifestation publique de la grogne des gendarmes, le pouvoir exécutif s’en tirait toujours grâce à de belles promesses très vite oubliées après un apparent retour au calme, à la situation quo ante. Il était encore à l’époque relativement facile de rappeler aux gendarmes et, de façon générale, aux personnels militaires que le silence dans les rangs était la règle sacrée, que le statut leur interdisait de façon absolue le droit de grève et que depuis 1969 la loi les avait dotés de structures officielles d’acheminement de leurs réclamations ou doléances; l’article 5 du statut du 13 juillet 1972 imposant aux Chefs quel que soit leur échelon de veiller aux intérêts de leurs subordonnés, ils n’avaient aucun souci à se faire.

C’était ainsi dans l’ancien temps, mais depuis les temps ont changé. Le 22 février 1996, le Chef des armées a de façon souveraine décidé de mettre fin au service militaire devenu depuis plusieurs années déja service national. Ainsi, suivi par le Parlement – qui entre-temps avait changé d’orientation – le Chef des Armées a réussi à imposer à la France une armée dite professionnelle et faire suspendre le régime de la conscription, c’est à dire de l’impôt en temps jusque là mis à la charge de tout citoyen français quelques mois ou années après qu’il eut obtenu sa carte d’électeur.

Dans ce bref article, il ne saurait être question de remettre en cause une décision passsée en force de loi, par contre pour comprendre la situation de grogne dont on parle plus ou moins officiellement depuis plusieurs mois ou même années, il nous semble indispensable d’attirer l’attention sur un point qu’aucun membre du pouvoir exécutif ne souhaite régler en dépit de promesses ou de voeux formulés en début d’année par le Chef des armées.

Depuis le vote de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires, les personnels militaires d’active dont font partie les gendarmes et les sapeurs pompiers d’au moins deux grandes villes ont été de façon plus implicite qu’explicite assimilés aux fonctionnaires civils. L’article 19 du statut, a t-on fait croire aux intéressés, régle définitivement cette question en affirmant qu’en matière de rémunération les personnels militaires bénéficient des mêmes avantages que les fonctionnaires civils.

Lorsque les accords dits Durafour ont été adoptés à l’issue d’une négociation entre le Gouvernement et les principaux syndicats de la fonction publique, ils ont été « transposés » aux militaires sans que ceux-ci aient été consultés ou, a fortiori, associés à la négociation. C’était à nouveau une façon affirmative de leur dire et faire comprendre qu’ils n’étaient pas sur ce point différents du reste des autres personnels de la fonction publique, tout en l’étant puisqu’ils n’avaient pas à prendre part à la discussion.

A partir du moment où le Parlement a, suivant l’initiative du Chef de l’Etat, Chef des armées selon l’article 15 de la Constitution, pris la décision de mettre fin à l’impôt du service national – car c’était un véritable impôt même s’il était inégalitaire dans son application par suite de maints défauts bien connus et voulus, la situation a totalement changé. Les personnels des armées dont la gendarmerie sont devenus des fonctionnaires au sens noble du terme et ont naturellement tendance à revendiquer les mêmes droits que les autres membres de la fonction publique notamment pour exprimer leurs légitimes revendications dans la société d’aujourd’hui; la principale revendication de la société civile ne se réduit plus à une simple question de rémunération.
Pourquoi vouloir continuer à imposer aux personnels militaires des obligations qui, soit ne sont pas imposées aux autres catégories de la fonction publique, soit, si elles le leur sont partiellement, tolérer qu’elles ne soient pas respectées par ces mêmes catégories de la fonction publique.

La raison de cette anomalie est simple : la pleine citoyenneté continue toujours d’être refusée aux militaires en application de règles posées à la fin du 18ème siècle. Jusqu’à la décision du 22 février 1996 sanctionnée par la loi du 28 octobre 1997, les militaires d’active se trouvaient, en quelque sorte investis d’une mission de formation et d’encadrement de la jeunesse française pendant la durée imposée du service militaire. Il était tout à fait naturel que l’encadrement ne fut pas soumis à des règles différentes de celles imposées aux contribuables en temps au service de la défense de la nation.
Dans quelques jours, les derniers appelés vont rendre l’uniforme sans que les conséquences de la professionnalisation aient été tirées par les responsables.
Il n’y a plus, aujourd’hui, aucune raison pour que les militaires ne jouissent pas de la pleine citoyenneté comme tous les autres Français. La fonction militaire n’est qu’une forme particulière de la fonction publique. Comme la fonction hospitalière et comme certaines catégories de la fonction publique civile, la fonction militaire a des astreintes spécifiques, mais celles-ci ne doivent pas aboutir à en faire des citoyens de seconde zone notamment en leur imposant des servitudes sans comparaison avec celles imposées à d’autres catégories participant à des missions de même nature. Les militaires tout comme les autres citoyens soumis à des astreintes particulières auront à coeur de ne pas se montrer inférieurs aux autres dans l’exécution des nobles missions que la nation leur confie.
Lorsque la loi créée des avantages particuliers au profit des autres catégories de citoyens (secteur public et secteur privé confondus), quelles que soient les difficultés réelles d’application, les membres de la fonction militaire qualifiée « professionnelle » ne sauraient en être écartés par principe. Il appartenait seulement aux responsables, en l’occurence au gouvernement et au Parlement, de bien mesurer l’incidence citoyenne des mesures proposées et adoptées.

Le principe d’égalité de tous les citoyens est tout à fait compatible avec l’existence de régimes d’astreintes spécifiques, mais, en contrepartie, ces astreintes spécifiques, raisonnablement limitées, doivent, sauf circonstances graves, comme dans les autres professions de la fonction publique donner lieu à justes compensations et ne pas se transformer en modes ou rythmes de vie comme ce fut le cas dans le passé dans le milieu militaire dont la gendarmerie.
La société par la voix de ses représentants officiels réunis en Parlement a entériné de nouveaux objectifs pour la nation, en particulier celui de réduire à 35 heures le temps de travail; elle ne saurait sans se contredire en exclure par principe des catégories entières d’agents dont la mission est essentielle pour le maintien d’une relative paix citoyenne; le coût de la mesure a peut-être été mal étudié ou mal calculé mais la mesure ne peut désormais être appliquée qu’en respectant les principes fondamentaux de notre démocratie.

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