LE BLUES DU BRIGADIER Par G.R (gendarme en reconversion)

Note de l’Adefdromil.

Beaucoup de militaires des trois armées ne comprennent pas le malaise des gendarmes.  Car, voici des militaires, qui expriment régulièrement leur mécontentement, leur mal être, leur ras le bol ; alors qu’ils sont tous sous-officiers, tous « de carrière » -sauf pendant les premières années de service- qu’ils sont globalement mieux payés que les militaires des autres armées à grade équivalent, et en plus, logés gratuitement.  Et, pourtant, près de la moitié des dossiers traités par l’Adefdromil  concerne des gendarmes. C’est dire qu’il y a de véritables problèmes dans cette institution. Cet article rédigé par un gendarme de terrain explique avec précision et sans excès comment toutes les taches d’exécution convergent vers « le brigadier » de base, broyé par les instructions multiples et variées de ses chefs, son devoir au service de la population et du citoyen et les contraintes des différents codes qu’il se doit d’appliquer sous le contrôle de l’autorité judiciaire. On comprend mieux qu’il ait le blues !

LE BLUES DU BRIGADIER

Par G.R (gendarme en reconversion)

Nous serons bientôt en 2011, et à l’heure où la RGPP taille dans les effectifs de la Police et de la Gendarmerie, on continue de décharger tout le boulot sur le personnel des unités territoriales.

Leurs personnels doivent savoir tout faire, le faire bien (…voire mieux que les services qui en ont la charge supposée et qui bénéficient de toute leur journée pour le faire, parfois à plusieurs !) et surtout, le faire avant qu’on leur demande et sans qu’on veuille bien leur en donner les moyens matériels ou humains.

Faisons donc un rapide état des lieux du quotidien de « l’exécutant » de l’Unité Fonctionnelle Elémentaire.

D’abord, il y a le boulot « normal » (…même si, à la lumière de mes récentes interventions, je ne sais plus très bien, ce qui est « normal » de ce qui ne l’est pas !… mais passons…), citons, pêle-mêle :

– le planton où vous êtes en charge de l’accueil des personnes (…avec courtoisie…) et le cas échéant, de recueillir leur doléance et/ou plainte avec le téléphone qui ne cesse de sonner (appels d’autres victimes, de nouvelles doléances, sollicitations du secrétariat de la Compagnie qui rappelle la non-transmission de « je ne sais » quel tableau, prévision ou message journalier, hebdomadaire, bihebdomadaire, mensuel, bimensuel, semestriel ou annuel !), vous obligeant, sans cesse, à délaisser votre victime (…bonjour, la charte de l’Accueil !) puis de vous « ré-imprégner » des faits à chaque reprise en vous excusant et en tentant de bâtir une audition cohérente (… car aucune faute d’orthographe ou erreur de syntaxe, ne vous sera pardonnée par l’échelon correcteur et celui du dessus qui, depuis qu’il a subi sa formation à l’EOGN de MELUN n’a pas plus de considération pour vous que n’en a une pintade pour la barrière de corail ! N’est-il pas exact d’ailleurs que le S/Officier n’est, aux yeux de ces « sachants », qu’un PIM : Personnel à Intelligence Minime !??… Mais, l’intelligence et l’instruction ne sont-elles pas des entités différentes ? Je n’en dirai pas plus…) ;

– les auditions diverses liées aux poursuites d’enquêtes (… soit-transmis, plaintes ou procédures … d’initiatives -mais de moins en moins pour ces dernières, il est vrai, allez savoir pourquoi…!?!-), effectuées parfois en gérant simultanément le planton (… attention de ne pas faire entendre plus de 10 sonneries à un « sachant » qui se chargera aussi sec de vous rappeler de « basculer » l’appel sur un autre poste… où, bien entendu, vous ne serez pas puisque vous êtes … seul au bureau en cette maudite journée !!… vos camarades tentant de jouir au mieux d’une récupération physique méritée après un marathon nocturne passé au cœur de la misère sociale.

– la surveillance générale, de plus en plus grevée par les liaisons routières diverses (communauté de brigades –COB-, centre-médical, parquet pour dépôt de scellés, atelier auto, instruction collective, instruction COB, formations PSC1 –formation au secourisme-, poursuite enquêtes, recensement des ROMS, des MENS –minorités ethniques non sédentarisées-, des « vieux », des chiens méchants, des concierges de plus de 40 ans, convocations de personnes à auditionner, rappel de convocation, rappel du rappel de la convocation…) ;

– occasionnellement, voir TRES occasionnellement, voir TRES, TRES, occasionnellement, le relationnel lié aux visites chez nos retraités, nos veuves (…vous savez les braves « petites vieilles » à qui vous apportez un panier de confiseries en fin d’année, pour vous donner bonne conscience !…), les élus, les « Agents de Renseignement » (A.R.) -espèce, cependant, en voie d’extinction à cause du fameux « 51 km/heure retenu  et 1 point ! »-, des seniors (… si d’aventure, un ancien s’est fait agressé à Tataouine-les-Bains…), mais seulement pour prendre son nom, son âge, son adresse et son numéro de téléphone afin …d’alimenter un classeur quelconque entreposé dans le bureau du CCB –commandant de la communauté de brigade-, placé entre celui destiné à l’opération « Tranquillité Vacances » et celui des « Permissions », que je n’ai plus touché depuis trop longtemps à mon goût…

Depuis quelques années, sont venues se greffer au boulot « normal », les tâches dues et indues (c’est selon…), et les fameux messages liés à la remontée statistique ; … j’en profite, à cet effet, pour saluer la naissance du petit dernier, le « CRE » (Compte Rendu d’Evènement) qui est venu « compléter » (… et non, « remplacer » !) la grande famille des messages parasites ; citons pêle-mêle :

– le CRI (Compte Rendu d’Intervention),
– le MIJ (Message d’Information Judiciaire) par ERIDAN,
– le MIS (Message d’Information Statistique),
– le MPJ (Message de Police Judiciaire),
– Message de compte-rendu « PLAN PRIMEVERE », « Opération CORNEED BEEF », etc…
– Message ORC (Opération Recherche Malfaiteurs) …SIC !,
…et depuis peu, son « cousin », le Message ORC J-2 : celui que l’on envoie 48 heures avant pour mentionner quels seront les effectifs présents sur le contrôle (la hiérarchie le sait déjà puisque c’est …elle qui en a décidée ainsi à la vue des effectifs précédemment remontés par … message mensuel !!), avec quels moyens, à quels emplacements (RE-SIC car ce sont toujours les mêmes, ceux qui ont déjà été transmis à la Cie en début d’année… par message annuel !!),
– Message d’Arrestation,
– Message de demande de Moyens, sollicitation du port de la tenue civile, …
– Message d’Etat des Consommables (comptabilisation des kits de prélèvement buccaux, kits de dépistage stupéfiants « urinaires », kits de dépistages stupéfiants « salivaires », kit de prélèvement « alcoolémie », barquettes d’alimentation de gardés à vue (SIC !), éthylotests chimiques ou autres, DVD d’audition de personnes gardées à vue, …
etc, etc, etc…(liste non exhaustive car il me faudrait 4 pages !!)…

…Servant à informer votre commandant de compagnie, votre officier PJ (OAPJ), et, le cas échéant, votre officier renseignement (SDIJ) et votre officier opération (DEA) pour que chacun ait la primeur des informations.

Profitons-en, également, pour remercier le PAGRE (Plan d’Adaptation des Grades aux Responsabilités Exercées, …non, non, ne riez pas !…) qui a fait « exploser » le nombre d’officiers au détriment des « Petites Mains » et qui a généré la création de divers services pourvoyeurs en messages et tableaux divers…

Puisque nous sommes à parler du PAGRE et pour ne pas faire d’anti élitisme primaire, parlons aussi des S/Officiers, vous savez, ceux que vous côtoyez tous les jours et qui en ont profité pour usurper un ou deux galons qui leurs permettent de fonctionner comme leurs Ancêtres, qu’ils n’avaient de cesse jusqu’à peu, de critiquer parce qu’ils ne prenaient plus le planton et qui ne voulaient plus des PAM (Premiers à Marcher), estimant qu’ « ils » … avaient assez donné !!!!! (… Mais qui « gardera bientôt les gosses » sur une carrière actuelle moyenne de 36 années -et bientôt plus !-, lorsque après seulement 6 années de Gie, on peut devenir « Chef » et après 8 années, Adjudant !!).

Penchons-nous, un instant, sur le fonctionnement d’une majorité de COB :

– Le CCB (un officier, la plupart du temps…) est « OUT » pour le « service ordinaire » (relations publiques, notations, service mensuel, service journalier et attributions des délégations en tout genre : référent VIF – violences intra-familiales- (…renforcé dernièrement par le référent A-VIF pour les « seniors »), référent Scolaire, référent Stupéfiants, référent chiens méchants, … en sachant que l’on peut coiffer simultanément 5 ou 6 casquettes, sans compter celle de Commandant de Brigade « dans l’urgence » en cas de clash et lorsque vous avez un petit galon de plus que votre camarade ! ),

– Le CCBA (A pour adjoint, major ou adjudant-chef) n’est pas plus disponible par le service, empêtré qu’il est, dans les charges administratives de toute nature que le CCB lui a gentiment déléguées,

– Le CBTP (adjudant, la plupart du temps…), aussi appelé « commandant de brigade de proximité », ou « commandant de caserne », qui, lui, ne souhaite plus participer au service car il est … adjudant et, de surcroît, …commandant de brigade (SIC !), dans la réalité, il est bien souvent en charge des états des lieux des arrivants et des partants (RE-SIC !),

… Il reste donc les « Chefs », Gendarmes OPJ, Gendarmes APJ et, si vous êtes riches, quelques Gendarmes Adjoints Volontaires ou autres Réservistes (…dont on connaît l’aide non négligeable que cela apporte en terme d’établissement de … procédures !)

Pour résumer, là où le boulot se faisait à 14 autrefois (2 brigades de 8 personnels, moins les 2 commandants de brigade chargés de l’administratif), on ne peut plus compter que sur, tout au plus, 4 ou 5 guerriers capables de monter un dossier présentable en Justice… en honorant au mieux les diverses sollicitations journalières !…

Depuis mon entrée en Gendarmerie (plus de 20 ans), j’ai toujours entendu parler de « la simplification des écritures » et de l’ « allégement des procédures », vaste serpent de mer qu’on aperçoit parfois au détour d’une instance de concertation… Mais, en réalité, qu’en est-il ?

– les divers messages mentionnés ci-dessus sont venus alourdir la charrette des tâches parasites,
– il y a plus de documents à joindre à la procédure judiciaire que DANS la procédure elle-même (Fiche de liaison parquet, fiche auteur mineur ou majeur, COPJ –convocation par officier de police judiciaire-, CRPC –convocation sur reconnaissance préalable de culpabilité-, convocation devant le médiateur, le délégué du procureur,…, avis à victime, fiche suivi judiciaire, mémoires de frais, photos anthropo, relevés dactylo, etc…),
– la dématérialisation des procédures, mise au point pour favoriser la transmission et diminuer la consommation de papier, a aussi fait son apparition avec son lot de désagréments : fichiers trop lourds, obligation de scanner certaines pièces et …trop souvent… BUG de l’ordinateur qui, LUI AUSSI, se trouve saturé, trop sollicité qu’il est, pour ses capacités d’un autre temps !
– INTRANET a vu le jour : censé lui-aussi, favoriser la rapidité dans les tâches incontournables telles que la consultation des divers fichiers et favoriser les échanges d’informations d’une unité à une autre, d’un échelon hiérarchique à un autre.  Il est actuellement pollué par les divers messages émanant de tous ces services que j’évoquais tout à l’heure, sollicitant leurs lots d’informations et lançant leurs directives, notes de service et autres transmis « pour exécution », dont on ne se rappelle plus exactement à quoi  ils servent… et dont il nous faut ingurgiter la consistance en 10 minutes, entre deux services externes ou entre deux appels téléphoniques ou plaintes, lorsqu’on a la chance d’assurer le planton …avec le sourire, conformément à la Charte qui envahit notre espace visuel depuis le matin ! Il est  inutile de préciser, que lorsqu’un message intéressant figure dans les 76 messages qui vous attendent fermement à votre retour d’une semaine de permission (… vous n’aviez qu’à travailler, me direz-vous !), il se peut qu’il disparaisse à « l’essorage », las que vous êtes après 3 minutes de contemplation de toutes ses nouvelles directives alors que vous n’aviez pas assimilé les précédentes… L’excès d’information nuit à l’information… Qui s’en soucie ?

Lorsque enfin, vous allez vraiment avoir besoin de votre INTRANET pour consulter « dans l’urgence » un fichier, il se rebellera sous le joug des interventions des STI qui tentent de lui faire ingurgiter une énième mise à jour parfois même, alors que, vous-même, vous êtes en pleine …audition !…

…Je pense, à cet effet, qu’il serait envisageable de prendre les auditions le vendredi avant 10 heures le matin ou après 16 heures le soir , créneau où les services sont « hors service » pour des raisons professionnelles avérées : café, journal, re-café et, en fin de journée TAOPM –les RTT forfaitisés des militaires- (!?), le truc qui permet de récupérer de toutes ces heures parfaitement rentabilisées !…

Tout cela donc, au détriment du dernier échelon, l’UFE (Unité Fonctionnelle Elémentaire, même s’il est vrai qu’elle l’est de moins en moins, fonctionnelle… Je propose donc de remplacer le sigle par le suivant : Unité à Fort Emploi), chargée de faire face à toutes ces besognes puis, la nuit venue, de repartir pour je ne sais quelle « intervention sociale sur fond d’alcool » (…comme on écrit souvent dans nos …messages de Compte-Rendu d’Intervention !), en plongeant dans les égouts de la société pour quelques heures encore, avec de moins en moins de récupérations nocturnes, rognées par la rédaction des écrits de service (…dont le Bulletin de Service -BS- sur lequel on raconte une troisième fois, la guerre que l’on a menée…) puis, le cas échéant, par  la rédaction des procédures « dans l’urgence », procédures qui, soit-dit en passant atterriront pour une bonne majorité d’entre elles, dans la « poubelle » du parquetier, étonné d’être informé de ce « peu de chose »… qui vous, vous aura pris quelques heures… composées de multiples « Faut le faire, cela ne prendra que 5 minutes », …heures de récupération physique qui manqueront à chacun, le soir venu, pour partager un peu de douceur avec sa famille !)

Las de devoir faire ce constat, jour après jour, j’ai décidé de « tourner les talons » (… ou talonnettes, c’est selon…) à ces cadences d’un autre Age et de vous abandonner  pour la vie civile où je ne désespère pas de me faire recruter par une administration quelconque (…vous savez, une de celles qui vous sollicite en permanence pour faire le boulot qu’elle n’a plus le temps de faire, astreinte qu’elle est, aux 35, voir 32 et même 28 heures hebdomadaires et où ses membres font « pointer » leur carton de présence par un de leur collègue pendant qu’ils vaquent à des distractions sociales avec leurs enfants…), car j’ai compris depuis peu que le principe du « travailler plus pour gagner plus », est plus facile à mettre en perspective  lorsqu’on est assujetti aux 35 heures que lorsqu’on est contraint aux … 70, voir 90 heures hebdomadaires TTC … ou plutôt TAC (Toutes Astreintes Comprises)

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