Quinze ans.
Comment, depuis quinze ans l’institution militaire n’a-t-elle pas su apporter la bonne réponse au désarroi d’une mère de deux enfants, après le décès de son mari en Opex ? Comment, quinze ans après cette mort en est-elle encore à le pleurer comme aux premiers jours et à accuser l’Administration de la Défense de l’avoir délaissée, ceci expliquant cela ?
Le parcours de la Veuve du Caporal Chef O…, est l’exemple même d’une dérive dont notre institution ne devrait jamais être complice. Individuellement, ceux qui à la base ont eu à connaître de son dossier, du moins à ses débuts, ne furent pas foncièrement mauvais, bien qu’ils ne transmirent plus qu’ils ne proposèrent. Mais collectivement, combien inefficaces devinrent-ils, une fois réunis dans ce bunker institutionnel sans visage qui, jugeant de loin, ne peut voir ni le coeur, ni les larmes, ni même comme dans ce cas, l’estomac trop souvent vide de celle qu’il était chargé d’accompagner, de réconforter et de consolider.
Quinze ans. Plus d’une centaine de lettres échangées jusqu’au Conseil d’Etat, deux au Président de la République, des appels téléphoniques à ne plus pouvoir les compter, de rares entrevues. Pour quel résultat ? Pas de pension mais une simple retraite de réversion liquidée sur la base des quelques années de service de son mari, et rien de cet emploi en milieu militaire traditionnellement consenti en pareille circonstance, avec pour corollaire des enfants ballottés, séparés, médicalisés, un psychisme en danger.
Madame Veuve O…pouvait-elle, ce sera le noeud gordien de l’affaire, d’un côté ester contre le Service des Pensions de l’armée sans avoir obtenu d’elle, et pour cause, les éléments de preuve susceptibles de la faire succomber, et de l’autre attendre de cette même Armée qu’elle lui procurât un emploi ? Ceci, chère Madame, est un crime de lèse-majesté caractérisée. On ne vous le dira surtout pas. Mais vous l’apprendrez à vos dépens, dussiez-vous mettre quinze ans pour le comprendre.
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Comment mourir au mieux, au regard du droit à pension ?
Quand les troupes partent en Opex, les autorités assurent aux familles que le Ministère de la Défense ne les abandonnera pas en cas de disparition tragique de l’être cher.
Au-delà de l’aide psychologique initiale par nature éphémère, sont implicitement évoqués une juste pension et un emploi au sein du ministère, ces deux éléments s’inscrivant dans la durée. Ce discours est du reste prégnant au sein du foyer familial.
Dans ce contexte, en décembre 1988, deux mois après la disparition de son mari, sans encore bénéficier de l’emploi attendu et qu’elle n’aura jamais, Mme Vve O…, toute confiante dans les perspectives qui lui étaient présentées, demande au Service des Pensions des Armées le bénéfice d’une pension au titre du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre du chef de son mari décédé en Opex.
La réponse ne se fait pas attendre. Elle est négative, « la preuve étant fournie que le décès est dû à un fait personnel entièrement détachable de l’exécution du service ». Il faut dire que si son mari était certes mort en Opex, ce n’était pas au combat, mais dans la piscine de l’hôtel où son Régiment avait ses habitudes. Ce fait était-il pour autant entièrement détachable de l’exécution du service ? Pas si sûr, nous l’allons voir…
Un accident survenu entre le début et la fin d’une mission sur un théâtre d’opération extérieure ne serait-il pas par nature en relation directe avec le service, puisque la victime ne se serait pas trouvée au lieu et dans les circonstances de cet accident si elle n’avait été en mission ? Dès lors que vaudrait une « permission » signée en Opex si le « permissionnaire » est obligé de rester sur le site de l’Opex ? Ne serait-ce plutôt pas un petit jeu d’écritures destiné à limiter par abus de droit la garantie que l’Etat doit à ses militaires projetés ?
N’existerait-il pas de Note, de Consigne permanente ou d’incitation verbale invitant le militaire à entretenir sa forme physique chaque fois qu’il en aura la possibilité ? D’ailleurs dans ce cas précis le doute subsiste et les versions ont varié au fil du temps :
Le Chef de Corps évoque « un exercice de natation », et non une simple baignade. La presse, pas toujours mal informée vu le nombre de lièvres qu’elle lève régulièrement avec succès (dernier en date celui de la réfection pour 500 000 euros du bureau du CEMAT, à comparer aux 236 euros du principal de la retraite de réversion de celle qui lui écrit souvent), relate une séance sportive, voire une séance d’instruction dirigée par le Caporal Chef O…, considéré comme le meilleur nageur du Régiment. Malheureusement le Registre des constatations dit que l’affaire s’est passée hors service, sans répondre le moindrement à cette question de savoir quand commence et quand se termine le «service » en Opex. Comme de son vivant, il est déjà difficile de maîtriser ce qui s’inscrit sur le Registre des constatations, il ne faut pas s’attendre à ce que la signature d’un mort vienne authentifier quoi que ce soit des circonstances de sa disparition.
Dans ce long combat aux multiples correspondances, Madame Veuve O…n’a pas gagné. Les pièces et les appuis lui ont fait défaut. Le seul conseil qui lui fut donné par un certain DMD fort mal inspiré fut d’attaquer au Tribunal des Pensions Militaires, alors que son pourvoi introduit dix neuf mois après la date de notification de refus de pension n’avait aucune chance d’aboutir. Ce pourvoi pour être recevable devait être formé dans les six mois. Du reste le Ministère de la Défense (nationale, pas la défense des militaires) ne s’y était pas trompé et défendit l’irrecevabilité du pourvoi comme tardif, sans examiner l’affaire au fond.
Fallait-il s’attendre à autre chose de la part d’un Ministère qui, autre exemple, doit se faire attraire en Conseil d’Etat pour comprendre que la Guerre du Golfe était une guerre et non une opération de maintien de l’ordre, ce qu’il soutenait vraisemblablement pour s’épargner d’avoir à décompter le bénéfice de la campagne double aux militaires y ayant participé.
Les nouveaux statuts en gestation se sont émus de l’absence de clarté des règles relatives à l’imputabilité au service des blessures et décès. Aussi se proposent-ils de faire reconnaître comme « imputable au service toute blessure résultant d’un accident survenu entre le début et la fin d’une mission opérationnelle, y compris les opérations d’expertise ou d’essais, ou d’entraînement, ou en escale, sauf si l’accident résulte d’une faute de la victime détachable du service ». Alors piscine ou pas piscine en Opex ?
Décidément on n’avancera pas. Et la Défense continuera, avec le zèle, la célérité et l’impartialité qu’on lui connaît, à interpréter avec plus ou moins de bienveillance si la vie personnelle du militaire en Opex doit s’imbriquer avec le service. Ou en être totalement absorbée, ou en rester complètement détachable, comme elle le soutient dans ce cas concret. Comme dit Linda, sans un petit coup (de piston, n’allez pas imaginer autre chose), je ne pouvait rien obtenir, ni pension, ni emploi.
Cette « nouvelle » pseudo protection restera donc en deçà de la législation sur les accidents du travail pour laquelle un acte de la vie courante d’un salarié en mission pour son employeur (comme aller à la piscine) est couvert. Sauf s’il a interrompu sa mission pour un motif personnel. En Opex cela serait du refus d’obéissance, donc facile à traiter. Quant à la piscine, il ne semble pas qu’elle devienne dans un proche avenir un acte de la vie courante du militaire au repos en Opex. Au train où vont les choses les victimes du paludisme devront bientôt apporter la preuve qu’ils l’ont bien contracté en opération, et non au bord de la piscine.
Comment mourir au mieux, au regard du droit à pension était la question ? Eh bien ! cela dépend essentiellement à qui l’on veut faire plaisir, soit à son ayant droit soit à l’organisme payeur qui concède la pension, car leurs intérêts s’opposent. En attendant Madame Vve O…perçoit le plus réglementairement du monde un principal de retraite de réversion de 236 euros par mois. Pas de quoi refaire son bureau. Fort heureusement, elle n’en a pas.
Suite à sa seconde démarche effectuée auprès du Président de la République, Linda apprenait que cette pension ne pouvant être inférieure au total cumulé de l’allocation servie aux vieux travailleurs salariés augmentée de l’allocation supplémentaire du fonds national de solidarité, pouvait être majorée de 342 euros.
C’est donc grâce à sa ténacité et à elle seule qu’elle perçoit maintenant 578 euros par mois. Malheureusement pour Linda les services de Cruella viennent d’estimer qu’avec de pareilles ressources l’équilibre de son foyer n’était pas compromis et qu’il n’y avait donc plus lieu de lui fournir un emploi. Ceci alors qu’elle ne dispose pas même du minimum de revenus exigé dans tout bail locatif. Car pour arranger les choses, Linda est sommée de quitter son actuel logement depuis le 1er mars…
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Formulez une demande d’emploi, nous vous aiderons à vous en passer .
Après le fiasco de l’épisode de la pension, Mme Vve O…n’était pas au bout de ses peines. L’institution militaire aurait voulu lui refuser un emploi qu’elle ne s’y serait pas prise autrement.
Les dates du bref aller-retour de 1988 à titre gratuit à destination de Nouméa pour assister à l’inhumation de son mari étant «bétonnées », la demande de prolongation de séjour qu’elle formula pour trouver un emploi dans son pays d’origine lui fut refusée. Il fallait rentrer puisqu’en métropole, n’est-ce pas, tout était prévu et que c’était en métropole que les papiers devaient se faire.
Effectivement, en marge d’une attestation du Centre de Documentation de l’Armée de Terre local, une embauche était prévue au 1er mars 89. Elle ne se fit pas .
Pareillement, sa demande d’engagement « en temps que Veuve de militaire » fut rejetée par la Direction des Personnels à Paris. Elle n’avait cependant pas tout perdu puisque le Bureau de Marseille lui délivra une Carte de Service National dont elle se demande encore aujourd’hui à quoi elle pouvait bien servir, vu qu’elle n’endossa jamais l’uniforme.
S’ensuit une impressionnante série de courriers qu’elle adressa tous azimuts pour quémander l’emploi auquel elle pensait avoir droit. Sa ténacité et l’éclectisme de ses choix sont éloquents. La Polynésie, la DPMAT, le Président de la République, le Ministère de la Défense (nationale, pas la défense des militaires), le Maire de Paris, le Gouverneur Militaire de Marseille, celui de Lyon, le BARD régional, le Commandement Supérieur des Forces Armées de la Nouvelle-Calédonie, celui des Antilles, le COS de Taverny, le Premier Ministre, l’Etat major de la Région Terre Sud Est, d’autres encore qui m’excuseront de ne pas les avoir cités. Toutes ces éminences attestent en fait de la dégradation du dossier par son émiettement.
Toutes les réponses la lanternent, la font repartir dans de nouvelles directions qui aboutissent aux interlocuteurs précédents, lesquels lui rappellent à l’envi les références de leurs précédentes fins de non recevoir. En se trompant ici sur l’année du décès, là en lui trouvant un enfant de 6 ans alors qu’il en a plus de 21, en évoquant tel ce 5 mars 2004 les deux aides financières de l’année passée. D’origine plus associative que ministérielle, l’habile présentation de ces aides pourraient faire accroire qu’elles étaient pérennes depuis le décès, ce qui est loin d’être le cas.
Pourquoi d’ailleurs dénaturer ces négociations étalées sur quinze ans pour aboutir à l’obole d’un jour ? Depuis 1988 sa situation étant inchangée, Linda continue inlassablement à demander aujourd’hui ce qui ne lui a pas été consenti hier et qui est habituellement donné sans barguigner à la veuve d’un militaire décédé en service, à savoir un emploi, an employment, ein arbeitsplatz, un empleo, um emprego, un’occupazione. Vu ? Un travail , pas une obole. « J’ai le regret de vous faire connaître que satisfaction ne peut vous être donnée… ». Combien de fois n’a-t-elle pas lu cette phrase et ravalant ses larmes, combien de fois ne s’est-elle pas remise à redemander la même chose, en réécrivant encore et encore sa longue plainte.
Dans ces palinodies, une deuxième lueur d’espoir pour une embauche au 1/5/2003, quatorze ans après l’espoir de mars 89. Très sensible à cette douloureuse affaire le 2ème REP lui ouvre à Calvi un poste administratif (la Corse, où elle était déjà allée chercher du travail, est le pays des parents adoptifs de son défunt mari). Linda ne l’aura pas . Contre toute attente la DFP a bloqué le dossier, sans donner d’explications.
Linda peut rappeler dans ses lettres qu’elle a déjà travaillé pour le 23ème BIMA, à Dakar en 1983 où elle avait suivi son mari, puis dans la Marine. Rien n’y fait. La Défense ne lui aura finalement offert un emploi que lorsque son mari était vivant, pour le lui refuser à sa mort. C’est à dire lorsqu’elle en avait le plus besoin. Nous sommes bien là dans la logique militaire.
Toujours tenace, voici qu’elle s’adresse pour l’énième fois à la DFP les 31 décembre 2003, des 10, 15 et 19 janvier 2004. Cette fois la DFP semble accrocher. Elle diligentera une étude sur sa situation sociale et fera instruire un dossier de demande d’emploi au sein du ministère. Avec un peu de chance l’emploi de Calvi initialement refusé sera encore vacant ! Linda reprend espoir. Las ! En mars 2004, la réponse kafkaïenne tombe : avis défavorable , « les recrutements exceptionnels de ce type sont destinés à permettre, dans l’urgence, aux veuves de militaires décédés, qui ne disposent pas de ressources de remplacement, de faire face à leurs responsabilités familiales ». Parce qu’en octobre 1988, au lendemain de la mort de son mari, peut-être n’était-elle pas dans ce cas ?
Affligeantes furent certaines réponses, pour ne pas dire honteuses. Auparavant, avec la permission de l’intéressée, deux mots sur ses capacités épistolaires : Linda écrit comme elle parle. Sa calligraphie est difficile à déchiffrer. Elle s’adresse aux plus hautes autorités de l’Etat sur du papier d’écolier à gros carreaux. Les fautes d’orthographes sont nombreuses. Les phrases ne se terminent pas toutes. Elle se redit. Elle accuse. Elle crie, elle pleure, elle appelle à l’aide. Bref, l’usure du temps la délégitimise, enfin le but est atteint, la preuve est établie, elle indispose, qu’on se le dise. Aussi quand un Administrateur civil Adjoint au Sous-Directeur de la gestion du personnel civil et-d’autres-lieux-découverts-à-marée-basse l’invite, « compte tenu de votre formation », à se présenter aux différents concours ouverts au titre du ministère de la défense , on a envie de donner des baffes. A la décharge du brave homme, il aura quand même l’obligeance de joindre un calendrier prévisionnel des dits concours, accompagné d’une notice des carrières civiles rappelant les modalités de recrutement des personnels en cause. Fermez le ban !
Et puis cette façon qu’a Linda d’appeler «tournante » la noria des relèves en Opex. Rendez-vous compte de l’effet produit si la presse venait à apprendre que la veuve d’un militaire mort à l’occasion d’une tournante, était indemnisée par l’armée. Avec tout ce qui se passe dans les caves de nos banlieues. Comme si l’affaire du bureau du CEMAT n’était pas déjà suffisante ?
Après quinze années de vaines démarches, alors qu’elle continue à mener son combat, quel triste spectacle que cette débauche de paperasserie pour ne pas avoir vu qu’il fallait donner à Mme Vve O…en 1988, cette place de technicienne de surface, ou de serveuse au mess, ou de secrétaire comme à Dakar, qui aurait coupé court à cette pantalonnade dans laquelle la hiérarchie semble se complaire. Et quelle mauvaise foi quand en 2004, alors que la professionnalisation de l’armée implique une embauche croissante de civils, on prétend qu’il n’y a pas d’emploi vacant pour elle. Pour débloquer la situation, ne pourrait-on pas s’inspirer, dans une pieuse approximation, des méthodes d’embauche de l’arsenal de Toulon ?
Mais surtout quel manquement à l’obligation de dignité de la part d’une institution par ailleurs si sourcilleuse de l’image qu’elle veut donner.
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Déontologie .
Au terme de l’exposé de ce cas concret, on se plaira à rappeler que la déontologie du fonctionnaire dans sa vie privée l’oblige à protéger «l’image » de l’administration qui l’emploie. Son épouse elle-même y est tenue . En retour, on pourra s’interroger sur l’image que se sera donnée l’administration militaire dans le traitement du cas de Mme Vve O…
Tous les ingrédients furent réunis pour que cette veuve de militaire devienne un exemple emblématique de la vanité de la chanson « il appartient au chef à tous les échelons, de veiller aux intérêts de ses subordonnés ». Le « chef », juge et partie n’obtient rien dans ce genre d’affaire. Seul un organisme de défense des intérêts des militaires indépendant de la hiérarchie aurait été efficace en pareil cas.
Naturellement l’ADEFDROMIL a plaidé la cause de Linda auprès de l’Etat major, puis par deux fois auprès de la Ministre.
Sans réponse à ce jour, nous ne pouvions qu’alerter le milieu militaire des difficultés que chacun pourrait éprouver en pareil cas.
Et rappeler une fois encore qu’une médiation sera toujours meilleure qu’une médiatisation.
Nous en verrons d’autres exemples.
Aux dernières nouvelle Linda écrit toujours. Cette fois elle est en contact avec un animateur pour témoigner dans une émission de real TV dont la spécialité est la surmédiatisation de la misère. Bonne chance Linda .
Pour copie conforme, Mariallio